Yourtes interdites, jusqu'à quand...
Le Lot en Action n°72 (14 juin 2013), par Thyeff
Tout avait pourtant bien commencé dans ce petit village des hautes Corbières, non loin du mont Bugarach. En 2010, à Cubières-sur-Cinoble dans l'Aude, un groupement de six personnes avait eu un projet d'installation de yourtes et de jardins collectifs, premier pas pour la réalisation d'un éco-hameau social et solidaire. Ils décidèrent dès le début, d’agir en totale transparence auprès des diverses administrations : DDTM, CAUE, Conseil général, Conseil régional, Sous-préfecture. Ces différents organismes participèrent même aux comités de pilotage organisés par la mairie, qui soutenait à fond cette opération. Madame Sylvie Romieu, maire du village, qui compte très peu d'âmes, était ravie de cette opération, entraînant dans son sillage, grâce à son enthousiasme, l'adhésion de toute la population. Sa seule exigence était que l'implantation ne pèse pas financièrement sur la commune. Il fut demandé aux nouveaux arrivants d'être indépendants des réseaux de distribution d'eau et d'électricité, évitant à la municipalité les travaux et frais de raccordement, souhait qui correspondait complètement à leur démarche d'autonomie. Quatre yourtes privées furent montées ainsi que cinq collectives : la cuisine, l'entrepôt des marchandises, un lieu d'activités diverses et de festivités, ainsi que deux unités pour recevoir les visiteurs de passage. Un magnifique jardin fut créé sur les principes de la permaculture. L'eau était pompée à la rivière toute proche et redistribuée dans toutes les yourtes grâce à un ingénieux système de tuyaux. Chacune était équipée d'un poêle à bois, combustible facile à trouver dans cette région très boisée, de panneaux solaires fournissant le courant pour la lumière, l'ordinateur et les appareils de musique. Enfin, un sanitaire commun équipé en toilettes sèches terminait l'implantation.
Même le sous-préfet voyait cette expérience d'un bon œil, bien qu'il eût dû accepter le procès-verbal de la DDTM locale, signalant que les yourtes avaient été montées sans permis de construire et n'étaient donc pas dans la légalité, au sens strict de la loi. Le dossier restait simplement dans les tiroirs et tout se passait le mieux du monde. Les six habitants vivaient d'une manière simple, écologiquement responsable, en harmonie avec la terre et le paysage, dans le respect mutuel entre les membres du collectif et en parfaite intelligence avec les villageois. Une splendide sobriété heureuse comme ils aimaient à le rappeler. Dans une zone rurale pauvre et fortement désertifiée, ce projet était porteur d'avenir, de développement, et d'exemple à suivre face aux graves problèmes de pollution et de logement que connaît notre époque. D'autant que nos pionniers, par le biais de leur association, avaient lancé un atelier de fabrication de yourtes et fourni des emplois salariés à trois de leurs membres.
Oui mais voilà, après deux ans d'activité, le sous-préfet bienveillant a été muté, comme il est de règle dans cette administration. Et son remplaçant est un tout autre personnage. La malchance a voulu que les événements de Bugarach, qui ont tenu en émoi les médias de toute la planète à la fin de l'année 2012, précipitent la chute de ce beau projet. Il a suffi que Monsieur le nouveau sous-préfet, l'esprit échauffé par la tempête médiatique, survole en hélicoptère la région de la montagne incriminée, qu'il repère ce campement au milieu des bois, et qu'il amalgame ses occupants à une secte, sans avoir eu connaissance du dossier en cours les concernant. Cerise sur le gâteau, quelque temps avant cette « affaire de la fin du monde », madame le maire de Cubières avait reçu la visite de l'inquisitoriale et très puissante Miviludes, qui lui avait reproché d'accueillir sur sa commune des individus douteux et de les protéger, tant il est vrai que pour ces ardents défenseurs de notre liberté de penser, vivre en yourte au milieu d'un pré constitue une preuve tangible d'appartenance à un mouvement sectaire dangereux qu'il convient d'éradiquer.
Ainsi le représentant de l'État, zélé et désireux de traiter radicalement ce dossier sensible, a eu tôt fait de ressortir le procès-verbal oublié et d'alerter son supérieur, le préfet de l'Aude. Ce dernier s'est montré inflexible et a porté l'affaire en justice, malgré les arguments avancés par la mairie de Cubières, sur l'originalité et la nécessité de l'expérience, le remaillage du tissu social, avec en prime de précieuses créations d'emplois. En avril, le tribunal de Carcassonne, suivant les injonctions du représentant départemental de la République et de son subordonné, a condamné les habitants des yourtes pour infraction au Code de l’Urbanisme à cause d'installations d'habitats sans permis de construire, avec l'obligation de destruction pure et simple, assortie d'amendes et d'astreintes.
Les personnes que j'ai pu rencontrer n'ont pas, pour le moment, l'envie de mener le combat, car ce genre d'attitude, et c'est fort respectable, n'entre pas dans leur philosophie de vie. Elles ont donc décidé d'abandonner le lieu. Beaucoup sont fatiguées d'avoir dû pendant trois ans, se démener avec passion pour mener à bien leur projet, démêler l'écheveau administratif, créer les structures d'habitat, aménager le jardin, tâche bien difficile dans cette région très ventée, et soumise à de fortes amplitudes thermiques, mettre en place un système de vie commune, réussir à établir un système pérenne, pour voir leurs efforts si peu récompensés par l'aveuglement des hauts représentants de l'État. Ils ont néanmoins fait appel du jugement, juste pour repousser la date butoir du 22 juin, afin de réaliser le démontage de leurs yourtes en toute « sérénité » durant l'été.
Voilà donc une jolie expérience qui s'arrête, à cause de l'ignorance et de l'incompréhension de certains qui ont encore du pouvoir, fermés aux grands changements sociétaux qui sont en train de s'opérer, entraînant des modifications profondes de nos comportements, et de nos rapports à l'autre et à la nature. Il faut savoir que près de 10 000 personnes vivent actuellement dans des yourtes en France, et que 400 000 vivent dans des campings, incapables financièrement de se loger autrement.
On peut comprendre que les autorités s'inquiètent de l'essaimage d'habitats dispersés dans les campagnes, d'une manière sauvage et anarchique, avec tous les risques environnementaux qui pourraient en découler. L'intérêt du projet de Cubières est qu'il s'est fait en totale transparence, que les règles écologiques ont été suivies à la lettre pour respecter au mieux l'environnement et limiter l'impact de l'homme sur ce dernier. Tout a été consigné et le dossier peut constituer une base solide afin d'établir un code d'installation pour ce genre d'habitat, utile à chaque commune rurale qui voudra bien soutenir une telle action. Même, les habitants des yourtes étaient disposés à payer une taxe foncière, ce qui en l'état actuel des choses, s'avère infaisable. Mais il n'est jamais impossible, s'il y a une volonté politique, de modifier ou d'aménager les cadres de la loi.
Madame le maire de Cubières a cependant décidé de continuer la lutte et de défendre le projet d'éco-hameau, espérant faire bouger les lignes.
Il serait donc temps que nos chers gouvernants prennent enfin conscience du problème et qu'ils soutiennent les solutions alternatives et salutaires, telle celle qui vient d'être décrite, plutôt que de détruire dans l'œuf toute tentative, sans aucun discernement, qualité qui manque cruellement aujourd'hui à notre classe politique, et qui devrait, en toute logique, être l'apanage de tout « responsable » ou qui se prétend tel. Affaire à suivre et vaste programme.
Vous pouvez écouter l'interview réalisée avec une des occupantes des yourtes sur le site du LEA.
Lien pour le site des habitants des yourtes :
Lien Miviludes wiki
Dérives de la Miviludes Agoravox
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