En cas de SNU obligatoire,
des familles se préparent
à désobéir
« même s’il y a des risques »
Le Service national universel (SNU) deviendra-t-il obligatoire ?
Emmanuel Macron doit trancher d’ici l’été. Mais l’idée d’une forme
« d’embrigadement » des jeunes sur le temps scolaire fait bondir de
nombreux parents, prêts à la désobéissance.
Je ne veux pas qu’on mette la petite graine de l’ordre absolu dans la tête de ma fille. Il y a quelque chose de délétère là-dedans. Et je ne veux pas de militaires autour du champ de l’éducation, ces gens-là ne sont pas des émancipateurs. » Ainsi parle Sylvain, père d’une adolescente de 14 ans, qui avoue « une réaction épidermique » à la suite de l’article de nos collègues de Politis, dévoilant une possible généralisation à caractère obligatoire du SNU (Service national universel) pour tous les élèves de seconde générale et en première année de CAP. Une seconde option serait de conserver un SNU sur la base du volontariat, mais attractif, en offrant par exemple le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa) ou le permis de conduire.
Le gouvernement a, pour l’instant, mis un frein à cette velléité de « généraliser » le SNU, pour ne pas alimenter la contestation sociale, en particulier dans la jeunesse. Mais l’idée de le rendre obligatoire conserve la préférence de Sarah El Haïry, la secrétaire d’État en charge de la Jeunesse, et d’Emmanuel Macron. Ce dernier devrait trancher d’ici l’été sur la poursuite du projet et sa forme.
Pour promouvoir le SNU sur les réseaux sociaux, la communication du gouvernement est, au mieux, maladroite. La diffusion de vidéos de jeunes sautillant en groupe, casquette bleu marine vissée sur la tête, fait face à un déferlement de critiques. En cause principalement, le séjour de cohésion de 12 jours en centre d’hébergement, en dehors du département de résidence, l’une des deux étapes pour un SNU complet.
La seconde étape consiste en une mission d’intérêt général de 84 heures dans une association, un établissement de santé ou une collectivité locale par exemple. Ensuite, il sera proposé un engagement volontaire et facultatif de trois mois pour les 16-25 ans (bénévolat, service civique, pompier bénévole, réservistes des armées...). Ledit séjour de cohésion serait en théorie encadré par des personnels de l’Éducation nationale et de l’éducation populaire, et des militaires à la retraite.
800 000 jeunes par an seraient concernés, avec toute la logistique que cela impliquerait. Un rapport sénatorial interroge déjà la faisabilité de l’affaire, au vu du nombre de centres d’hébergement nécessaires et des encadrants à recruter. Quant aux syndicats, ils grincent des dents depuis le début. Le Syndicat national de l’enseignement secondaire (Snes-FSU) considère le SNU comme « l’expression d’une conception de l’éducation à la citoyenneté qui fait de l’organisation militaire un modèle à suivre », « un dispositif de domestication » qui représente « une menace contre l’enseignement moral et civique ».
Des sanctions pour les jeunes qui ne se plieraient pas
Quand les images de jeunes en uniforme bien propre digne d’une école paramilitaire, chantant la Marseillaise sous un lever de drapeau, font le « bad buzz » sur Twitter, les parents oscillent entre inquiétude et énervement. Pas tant par l’idée d’un moment de vie collective que par son caractère obligatoire et militarisé sur le temps scolaire, et l’énormité de la somme dépensée : deux milliards d’euros annuels sont évoqués, là où les inégalités du système scolaire français se creusent chaque année un peu plus.
« Qu’il y ait besoin d’un moment en communauté dans la vie d’un enfant, oui, reconnaît Benjamin, père d’un enfant et installé à Argenteuil (Val-d’Oise). Mais il y a l’éducation populaire pour ça ! Qu’on lui donne donc cet argent. Et puis l’uniforme ne crée pas du commun, c’est par l’action qu’on crée du commun. » Son fils de 12 ans a « halluciné » quand il a vu les images du séjour de cohésion. « Ce n’est pas possible pour lui, vraiment pas. Leur faire croire que leur construction de citoyen doit en passer par-là... », soupire le père.
Benjamin s’alarme surtout des sanctions possibles pour les jeunes qui ne se plieraient pas au SNU obligatoire. L’interdiction de passer le bac ou le permis pendant une certaine durée, ou la valorisation accrue du SNU sur Parcoursup – et donc mise à l’index par l’algorithme de celles et ceux qui ne l’auront pas effectué – ont notamment été évoquées aux ministères de l’Éducation nationale et de la Jeunesse . Contrairement au service militaire d’antan, il ne pourra y avoir d’objection de conscience au prétexte de refuser le port d’une arme, les jeunes du SNU n’étant pas armés. « Nous, on soutiendra notre fils dans son choix, quoi qu’il arrive, même s’il y a des risques », assure Benjamin.
Une position partagée par Matthieu, un Nantais qui travaille dans l’édition et père de deux enfants, pour qui l’argument « brassage » ne tient pas la route : « C’est dans les bahuts qu’il faut revoir la mixité ! La mixité, elle se joue à l’école, dans les clubs de sport, en colonie de vacances, dans les associations... » Lui se questionne sur le contenu du séjour de cohésion, en plus du folklore patriotique qui le caractérise. « Ce n’est pas gagné au niveau constitutionnel, mais admettons qu’ils y arrivent… On parle ici de symboles de droite dure. C’est un projet insidieux, sous lequel se cache une forme de fascisme rampant », s’inquiète-t-il.
Plus qu’une initiation à la protection civile ou à l’exercice d’une citoyenneté collective, la forme que prend le SNU semble alimenter le projet d’une société où la jeunesse serait obéissante, lisse, sans aspérités ni velléités de contestation. « Les arguments me gênent, explique Véronique, directrice d’école et mère de trois enfants concernés par un éventuel SNU obligatoire, agacée qu’aucun débat public ne soit envisagé. Les valeurs proposées ne sont pas celles de tous les parents. Or, nous sommes censés être les premiers éducateurs de nos enfants. Là, ça fait plutôt propagande. C’est juste un embrigadement en fait. »
Une critique partagée par Benjamin Lucas, député Génération-s et de la Nupes des Yvelines, qui a récemment interpellé la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et du SNU, Sarah El Haïry. « Ce ne sont pas les régimes les plus démocratiques au monde qui considèrent qu’on acquiert des valeurs avec un lever de drapeau… C’est une vision politique en réalité assez grave, en plus d’être un crachat supplémentaire à l’encontre de la communauté éducative », estime-t-il.
Pour éviter la confrontation de son fils à cette nouvelle lubie gouvernementale, Matthieu se dit prêt à aller jusqu’en procès s’il le faut. « Je dirai à mon gamin de ne pas y aller. J’attendrai le courrier qui ne manquera pas d’arriver. » Véronique quant à elle s’agace aussi des éventuelles punitions liées au refus : « Ils seraient vraiment prêts à priver certains gamins de leurs droits ? Ce n’est pas qu’un combat de la jeunesse, c’est aussi un combat pour moi, en tant que citoyenne. »
Depuis 2019, 50 000 jeunes volontaires
Ce projet de SNU obligatoire a-t-il des chances d’être contesté légalement ? Même s’il est un peu tôt pour envisager les options judiciaires, un tel projet ne se construira pas sans réserve juridique. Se pose notamment la question de l’autorité parentale s’agissant de mineurs. Une participation contrainte au SNU semble de ce point de vue difficile dès lors que seul un juge peut retirer aux parents ladite autorité, et ce dans des conditions très précises.
« Ce ne sera donc pas si simple à instaurer, il y aura beaucoup de filtres à passer », estime l’avocate Aïnoha Pascual. Les parlementaires pourront saisir le Conseil constitutionnel avant l’entrée en vigueur de la loi. Et si celui-ci valide tout de même le caractère obligatoire du SNU, les recours pourront se faire au cas par cas. » Pour la juriste, il sera probablement notifié, comme pour la journée de défense citoyenneté, des cas de « force majeure » ou encore des cas d’inaptitude pour les personnes en situation de handicap. Reste à définir ce qu’est une force majeure aux yeux de la loi…
Les sanctions prévues détermineront également le chemin à suivre. C’est là que pourront s’opérer les recours. En d’autres termes, si on empêche le jeune de passer son permis ou son bac, il sera possible de contester le refus d’inscription devant le tribunal administratif. « En droit français, tout s’attaque. Des recours sont toujours possibles. Le plus efficace sera sûrement de refuser la participation au SNU, puis de contester les décisions négatives qui en découleront », précise l’avocate.
Sans compter les médecins bienveillants qui délivreront des certificats médicaux à la pelle. Mathias n’enverra pas non plus sa fille, aujourd’hui âgée de 13 ans. Enseignant, il s’agace de voir autant d’argent envisagé pour ce projet alors que les moyens manquent cruellement à l’Éducation nationale. « Je ne vois pas l’intérêt du SNU. À part des choses qui me ramènent à de sombres moments de l’histoire… Des “anciens des corps en uniforme” pour les encadrer, c’est pas fait pour me rassurer ! Et puis les images de com’, on dirait “Les Charlots”... »
Depuis 2019, environ 50 000 jeunes volontaires ont participé au SNU sur la base du volontariat, dont un sur trois ayant un parent exerçant dans « les corps en uniforme » (police, gendarmerie, armée). Les contenus sont denses avec des journées s’étalant de 6 h 30 à 22 h 30 : journée de défense et de mémoire, atelier culture locale, histoire et patrimoine, atelier sécurité routière, module institution et culture, forum de l’engagement, module sur la liberté d’expression ou la sécurité intérieure…
Benjamin Lucas explique que le SNU est « en complet décalage avec la réalité et les aspirations de cette jeunesse engagée contre le sexisme et les LGBTphobies et investie pour le climat. On la présente comme une génération moins civique que les précédentes. Ce n’est pas le cas ! C’est un véritable mépris de la jeunesse et de sa lucidité ». Lui bataille dur contre les idées « ringardes et paternalistes » véhiculées par ce qu’il perçoit comme une tentative d’endoctrinement de la jeunesse.
Services publics plutôt que SNU
Du côté des quartiers populaires, le débat semble abstrait, et loin des réelles préoccupations. Aly Diouara, militant des quartiers populaires et président de l’association La Seine-Saint-Denis au Cœur, côtoie une population angoissée par le chômage, l’inflation, l’école et les retraites. Des jeunes déjà soucieux face à l’approche du bac, à une possible alternance à trouver, aux CV et lettres de motivation à rédiger avant l’été, dans l’espoir de trouver un petit boulot. « Ces gens crèvent la dalle, et on leur parle SNU. Ici, tout le monde s’en fiche, sur le terrain militant et associatif, ce n’est même pas un sujet. Le problème, c’est que cela va nous tomber dessus, c’est ça le souci. On ne peut pas taper ainsi sur la jeunesse et les quartiers populaires ! »
L’ancien directeur de l’association Actions de solidarité et pour l’autonomie durable souhaiterait que le gouvernement se questionne plutôt sur « la mort lente du bénévolat » faute de valorisation et reconnaissance, et cesse de remettre en cause l’engagement des jeunes.
Un avis que partage Goundo Diawara, secrétaire nationale du syndicat de parents Front de mères, qui constate qu’une fois de plus on ne s’adresse pas aux jeunes des quartiers populaires. Ceux-ci représentaient environ 5 % des volontaires en 2022. « C’est une question de priorité. Et les principales priorités en quartier populaire sont liées à la très grande précarité, au chômage, au logement… Il faut arrêter de se moquer du monde en disant que des jeunes en uniforme vont se sentir habiter d’une fierté républicaine alors qu’au quotidien ils ne disposent pas des mêmes libertés, égalités et fraternités que les autres. »
Conseiller principal d’éducation prioritaire, Goundo Diawara aimerait déjà que le service public soit à la hauteur des enjeux. Et pense, comme tant d’autres, que cet argent serait plus profitable aux établissements scolaires qui en ont besoin. « Les jeunes s’engagent déjà. Antiracisme, égalité… Mais ces formes d’engagements ne sont pas valorisées. La seule forme d’engagement valide pour le gouvernement c’est de faire chanter la Marseillaise avec l’idée qu’on va les mettre au pas. »
En voulant passer son projet aux forceps, contre l’avis de la jeunesse, des parents, des syndicats et de la communauté éducative, Emmanuel Macron risque d’attiser des braises déjà bien rougeoyantes. « Cette volonté de “mixité” sur 12 jours, ça va juste venir mettre davantage en lumière les inégalités entre jeunes. Cela va confirmer qu’une grande partie d’entre eux vivent dans la précarité », conclut Goundo Diawara.
« Le SNU, c’est vraiment un républicanisme à la française, ce n’est pas une histoire d’engagement, c’est une idéologie gouvernementale, une sorte de nouvelle forme du ministère de l’Identité nationale », résume Aly Diouara. Il redoute également que ce projet « qui relève davantage de l’identification, de l’amour de la patrie » ne serve à terme que les intérêts de Marine Le Pen.
Une crainte partagée par le député Benjamin Lucas, qui se demande comment une contrainte peut faire office d’adhésion. « On a renoncé à faire république, on fait juste injonction. Emmanuel Macron mène la bataille culturelle pour Marine Le Pen. Il démontre juste qu’il prépare son arrivée. La jeunesse doit entrer dans la danse de la contestation, se mettre en mouvement. » Pour Benjamin, père d’un garçon de 12 ans, « on est clairement dans une injonction du système qui vient nous dire “Voilà la bonne manière de se comporter, les autres, non”. Ça s’appelle très clairement de la domination ». Pas sûr donc que la jeunesse, et leurs parents décident de se tenir sages.
Elsa Gambin
Photo : CC BY-NC-SA 2.0 Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg via flickr.
Source : https://basta.media/en-cas-de-snu-obligatoire-des-familles-se-preparent-a-desobeir-meme-s-il-y-a
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