Vols d’eau, jacuzzis percés,
golfs rebouchés…
La guerre de l’eau a commencé
en France
« On a détruit des zones humides, on a détruit des haies, on a rééquilibré des cours d’eau, on a appauvri les sols avec le modèle agricole productiviste de ces dernières années. »
17 août 2022 - Maïté Debove
Cet été 2022, à la suite d’une troisième vague de chaleur, l’hexagone est entièrement passé en vigilance « sécheresse », et plus d’une centaine de communes ont mis en place des restrictions d’eau. Les températures mensuelles en juillet s’élevaient à 4,7 ° au-dessus de la moyenne, le niveau des nappes phréatiques est de bas à très bas, et plus de 50 % des départements subissent des déficits de pluie. Après des débuts de vols d’eau, des jacuzzis percés et des contestations face à la gestion parfois privilégiée de l’eau, les questions de la gestion de l’eau et d’une potentielle guerre de l’eau se posent. Le 12 août, France Inter a réuni des spécialistes dans une émission sur le sujet.
Le 16 juillet, une réserve remplie d’eau d’une capacité de 600 m³ de la communauté de communes du bassin d’Aubenas (CCBA), en Ardèche, ne contenait plus que 200 m³ au petit matin, du fait d’un vol. La collectivité à déposé une plainte fin juillet. Le bassin en question est destiné à assurer la sécurité incendie. Max Tourvieilhe, président de la CCBA, s’est exprimé pour le Dauphiné Libéré :
« Après les incendies que nous venons de vivre, il faut qu’il y ait une vraie prise de conscience. Le vol d’eau n’est pas acceptable. Il en va de la sécurité de tous. »
L’affaire a finalement été résolue : le club de moto-cross s’est dénoncé le 7 août. Roger Kappel, le président du club, a expliqué pour France Bleu que l’eau était destinée à l’arrosage de la piste, mais également à la sécurité, pendant un événement qui réunit 2000 personnes. Il développe :
« Il y a 2000 personnes. Il y a quelques années, il y a eu un incendie sur une piste de moto cross. » Le club a déjà commencé à remplir de nouveau le bassin.
Selon Novethic, dans le massif des Vosges, plusieurs jacuzzis ont été percés ou éventrés. Des mots ont été laissés aux propriétaires ; ils dénoncent un gaspillage d’eau : « L’eau, c’est fait pour boire. »
En période de sécheresse, les greens des golfs continuent à être arrosés de nuit, et la consommation d’eau à cet effet ne doit être réduite que de 20 %. Des sentiments d’injustice s’élèvent. A Toulouse, des militants se sont introduits dans deux golfs pour dégrader les pelouses et remplir les trous avec du ciment. Des panneaux ont été plantés à leurs abords :
« Ce trou boit 227 000 litres d’eau par jour. En buvez-vous autant ? » ou bien encore « Ce trou aurait pu abriter des racines, le plaisir bourgeois en a décidé autrement »
Dans un tel contexte, les méga bassines posent également un problème majeur. En moyenne de huit hectares, soit environ huit terrains de foot, elles pompent dans les cours d’eau et les nappes phréatiques, par d’importants financements provenant de l’argent public. Leur mise en place se fait au détriment de la biodiversité, dans un contexte de nécessité de réparation des milieux. Antoine Gatet, vice-président de France Nature Environnement, s’exprime pour l’émission de France Inter :
« On a détruit des zones humides, on a détruit des haies, on a rééquilibré des cours d’eau, on a appauvri les sols avec le modèle agricole productiviste de ces dernières années. »
Il explique qu’auparavant, les milieux naturels s’autogéraient dans la conservation des eaux d’hiver et leur relargage progressif dans les eaux d’été, en particulier grâce aux sols. Dans le domaine agricole productiviste, l’eau n’est pas restituée aux milieux et s’évapore, ce qui pose un problème fondamental dans sa gestion.
D’après lui, la gestion de l’eau, même hors période de sécheresse, relève ainsi d’un problème social et politique et une réflexion sur sa priorisation s’impose, même hors période de crise. Aujourd’hui, l’anticipation de la mesure du niveau des cours d’eau n’est pas encore tout à fait bonne, faute de moyens pour ce mécanisme de suivi des sécheresses, qui a été réformé en juin 2021. Il explique : « La sécheresse est révélatrice de l’échec de la politique de gestion de l’eau en France depuis 30 ans »
Sylvain Barone, spécialiste des politiques de l’eau à l’Institut National de Recherche pour l’agriculture, l’Alimentation et l’Environnement, estime : « La consommation nette d’eau concerne à 45 % l’agriculture et cela monte à 80 % l’été. Il faut revoir notre modèle agricole, d’autant que si les eaux utilisées par les particuliers sont rejetées, les eaux agricoles sont absorbées. »
Pour Marie Pettenati, hydrogéologue au Bureau de Recherches Géologique et Minières, il faut repenser la gestion de l’eau sur chaque filière agricole : « Ça va passer par des mesures qui vont directement concerner des échanges, comme des choses qui se font déjà sur Clermont-Ferrand, [telle que] l’irrigation des cultures à partir d’eaux usées traitées (…) C’est aussi des mesures de révision du matériel d’irrigation, et des changements de pratiques de culture. C’est sûr que ça va prendre du temps. Il faut qu’il y ait de la pédagogie, de la formation pour qu’on arrive à progresser dans les futures années pour agir sur cette demande en eau qui doit absolument diminuer. »
Pour l’hydrogéologue, la restriction est la première solution. D’après elle, le dernier bulletin hydrologique a montré que les restrictions qui ont été mises en place ont eu une incidence sur le ralentissement de la baisse du niveau des nappes. Il est important également de rassembler des données sur les prélèvements pour comprendre comment vont réagir les systèmes, sans créer de nouvelles ressources.
Pour Antoine Gatet, aujourd’hui, les principaux consommateurs ne paient pas l’eau en France :
« Il faudrait commencer par taxer les usages de consommation massive, et en particulier l’agriculture irriguée. Il faut des mécanismes de sanction. »
Il ajoute :
« Un certain nombre de lobbies, et en particulier le lobby agricole productiviste, posent de vrais problèmes sur la définition des volumes prélevables, sur les mesures à mettre en œuvre, donc on a aussi ce problème là qui fait que la justice sociale aujourd’hui n’est pas effective. »
D’après Magali Reghezza, géographe et membre du conseil pour le climat pour Novethic, les acteurs des territoires sont accompagnés et soutenus, la guerre de l’eau n’est donc pas pour tout de suite, et ce malgré certains conflits locaux.
Elle estime cependant que les tensions en relation avec l’eau sont un signe indicateur à ne pas ignorer : « Ce qui est préoccupant, c’est le degré d’exaspération dans certains territoires. Ce n’est pas propice à un dialogue apaisé sur la gestion durable de la ressource, et cela laisse peu de marge de manœuvre pour réaliser des transitions indispensables. Le conflit est toujours un révélateur des tensions préexistantes. Si guerre de l’eau il y a, le changement climatique n’en est pas la cause unique. Ce sont les vulnérabilités aggravées par l’accumulation des crises, l’inaction et le statu quo, qui le sont. »
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