Fermes, potagers,
jardins partagés…
l’agriculture urbaine
essaime à Marseille
Publié le 28/07/22
SPÉCIAL MARSEILLE — Faire pousser légumes et fleurs au cœur du bitume et offrir des produits sains et ultra-locaux aux habitants : c’est le credo de Yazid Bendaif, Marion Schnorf ou Marie-Laure Wavelet. Des quartiers nord au 15e arrondissement, rencontre avec d’opiniâtres artisans de la transition écologique.
Contre la voie ferrée, des courges escaladent les grillages, à deux pas des rangs de concombres et de piments, des plants de sauge et des néfliers. Combien la France compte-t-elle de potagers nichés au cœur des villes ? Celui-ci a jailli en contrebas de la cité SNCF, improbable oasis au milieu du bitume des quartiers nord de Marseille. Yazid Bendaif l’appelle son « paradis », et aussi son « frigo ». Six ans déjà que lui et sa femme, Samia, vivent en autosuffisance alimentaire grâce à leurs deux parcelles. « On ne jette rien, on a appris à tout utiliser, dit-il, voix baignée de soleil. Même les graines des capucines, on en fait des condiments en bocaux, comme des câpres, et on se régale. » Rien, pourtant, ne prédestinait cet ancien carrossier de 62 ans à plonger les mains dans la terre, lui qui est né dans le béton des cités, qui a fait « 50 métiers, 50 misères » et connu « pas mal d’emmerdes », dont un passage par les Baumettes. Rien, sinon le besoin d’oublier « les péripéties de la vie ». En 2016, quand le couple emménage ici, tous deux enchaînent les problèmes de santé — deux cancers pour Samia et deux opérations pour Yazid. On avait besoin d’un projet, pour nous soigner mais aussi pour ramener de la vie dans la cité. Le bailleur nous a attribué des parcelles. Et c’est devenu un plaisir, d’autant que la terre nous le rendait au centuple. »
“Une société tient sur la nourriture ; si on ne peut plus s’alimenter, qu’est-ce qui reste ?” Yazid Bendaif, fondateur de l’association Terre d’entraide et de partage
Faire germer des fermes en plein Marseille. Revaloriser les circuits courts. Réconcilier l’espace rural et l’espace urbain « culturel, cultivé… mais pas d’un point de vue nourricier ». Donner accès à une alimentation saine et durable pour tous, dans une des métropoles françaises les plus inégalitaires (le revenu médian varierait de 1 à 50 selon les quartiers) et malade de la malbouffe — le taux d’obésité y a grimpé de 200 % en une décennie. À l’époque, le projet de Marion Schnorf, elle-même issue d’une famille d’agriculteurs et diplômée d’urbanisme, semblait lunaire. Huit ans plus tard, la Cité de l’agriculture est un acteur incontournable de la transition écologique marseillaise, laboratoire d’une nouvelle « génération climat » qui articule écologie et justice sociale.
Un plan de souveraineté alimentaire
Dans
un vaste appartement au charme décati — moulures, cheminées, mobilier
de récup — du quartier ultra-urbain des Réformés, une trentaine de
salariés (moyenne d’âge 28 ans, une majorité de femmes) phosphorent sur
d’autres manières de produire, de s’approvisionner, de consommer.
Accompagnement de porteurs de projets ; annuaire de l’agriculture et de
l’alimentation durable ; lancement de VRAC Marseille
(des groupements d’achats pour rendre abordables les produits bio et
locaux dans les quartiers populaires) ou déploiement de leur ferme
Capri : la liste de leurs projets ne tiendrait pas sur cette page. « On maquette la ville du futur, s’enthousiasme Marion Schnorf. L’agriculture urbaine permet d’agir concrètement, et d’induire des transformations profondes au cœur des enjeux — adaptation au réchauffement, lutte contre l’artificialisation des terres, accès à l’alimentation… »
Portée depuis longtemps par des pionniers historiques — maraîchers, urbanistes, militants associatifs —, cette vision d’une ville cultivée infuse enfin chez les élus, sur fond d’urgence climatique, sanitaire, sociale… Après un plan en faveur de l’agriculture urbaine, démarré en 2020, le département des Bouches-du-Rhône vient de lancer un programme de souveraineté alimentaire, dont le slogan s’affiche sur les abribus de la ville. « On n’est jamais dans son assiette quand on fait de longs trajets. Protégeons nos producteurs, mangeons local. » Quant à la mairie, elle s’est dotée d’une Délégation à l’alimentation durable, à l’agriculture urbaine et à la préservation du foncier agricole. « C’est la révolution dans la sensibilisation des élus, même si les obstacles restent nombreux, à commencer par l’accès au foncier agricole, difficile à identifier et protéger face à la spéculation immobilière, dit Lucas Turbet Delof, responsable du foncier à la Cité de l’agriculture et à la ferme Capri. Mais Marseille est très étalée, c’est un réservoir de possibles. On le démontre par l’exemple. »
“Les prix sont abordables, je n’empoisonne pas mes enfants. Ce genre de lieux, c’est l’avenir, surtout pour nos quartiers.” Laetitia, cliente de la ferme Capri
Comme sur cette ancienne friche du 15e arrondissement mise à disposition par la mairie, avec son panorama spectaculaire sur Marseille, et la Méditerranée pour horizon. Qui pouvait prévoir qu’entre autoroute, pavillons et barres d’immeubles le sol redeviendrait vivant, pour abriter tomates, courgettes et piments, une centaine d’arbres fruitiers, une serre bioclimatique, une mare écologique (élaborée avec les étudiants en transition agroécologique des territoires de la fac d’Avignon), un bâtiment d’accueil du public (construit avec des matériaux locaux) ? Ce mercredi, sous un soleil caniculaire, une dizaine de techniciens de la ville découvrent les 8 500 mètres carrés de Capri, tandis que le chantier participatif du moment (construction d’un mur en pierres sèches) s’achève. Au milieu des aromatiques, des gamins s’esclaffent. « On respire, ça reconnecte les enfants à la nature, dit leur mère, Yasmine, fidèle des ventes de légumes hebdomadaires. « Les prix sont abordables, je n’empoisonne pas mes enfants. Ce genre de lieux, c’est l’avenir, surtout pour nos quartiers », renchérit son amie Laetitia.
La production est vendue sur place, en parallèle des multiples ateliers de sensibilisation, organisés avec des associations, des écoles, des centres sociaux. « Et puis on teste, on expérimente », ajoute Lucas Turbet Delof. Pour documenter les impacts sur les sols, sur la qualité de l’air. Pour affiner les productions : « On veut répondre à la demande des consommateurs du quartier, mais aussi s’adapter au climat, qui se réchauffe. Par exemple, on s’est rendu compte que les patates douces, les gombos ou les piments, des produits tropicaux qui viennent de loin, poussent très bien. L’idée étant toujours que d’autres porteurs de projets puissent s’appuyer sur notre expérience. »
“On dit parfois que Marseille a du retard. Il y a surtout un potentiel immense.” Marie-Laure Wavelet
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