Un gaz cancérogène
dans la bouche
des nouveau-nés
(et dans la nôtre)
Charlie révèle de quoi faire sauter la Direction générale de la santé de ce bon Jérome Salomon, la répression des fraudes et sans doute l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). En effet, en tout conscience, on stérilise avec un gaz abominable les bistouris, les cathéters, les valves et les poches de sang, les aliments les plus ordinaires. Et les tétines des nourrissons. Et.
Attention ! Encore une fois et sans préavis, Charlie s’attaque à la France, à son administration, à ses chefs et sous-chefs à plumes, à ses lois, à ses absences de loi, à ses politiques enfin, ce qui fait du monde. Surtout que l’Europe est elle aussi en cause. Mais commençons donc par le Rapid Alert System for Food and Feed, RASFF de son petit nom. Ça ne fait pas très envie, mais faut. Ce machin, créé par l’Europe en 1979, est censé alerter sur les risques sanitaires liés à l’alimentation.
Le 9 octobre 2020, nos braves se réunissent avec les comités idoines, pour les informer « of high levels of ethylene oxide being found in sesame seeds imported from India ». Eh ben oui, de hautes concentrations d’oxyde d’éthylène ont été découvertes dans du sésame importé. C’est un poil fâcheux, car l’oxyde d’éthylène, que l’on va découvrir en majesté, est un gaz hautement cancérogène, mutagène et reprotoxique, entre autres.
Il faut donc agir. En France, le correspondant du RASFF est une unité d’alerte de la répression des fraudes, dont le sigle insupportable est DGCCRF. Branle-bas de combat ! Le Sénat propose dans une note un ordre de bataille ébouriffant : « Recommandation n°1 : demander à l’Anses de rendre un avis sur l’oxyde d’éthylène et son métabolite pour mieux comprendre les risques, évaluer les seuils pertinents et mieux identifier l’origine des contaminations constatées. »
Donc se presser, mais pas trop quand même. La fiche de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) – public – fait foi en France depuis des décennies. Or depuis des années, cette fiche note sobrement que l’oxyde d’éthylène donne le cancer et provoque des anomalies génétiques. Idem au plan européen. On admirera d’autant la trouvaille du Sénat français : demander un avis à une autre structure publique, l’Anses.
Mais cette extrême précipitation se heurte à un mur, celui de l’opinion. Il faut changer d’allure, car des associations puissantes, comme l’UFC-Que choisir ou 60 millions de consommateurs, sont en embuscade. La norme maximale européenne, très discutable par ailleurs, est en effet de 0,05 mg/kg d’oxyde d’éthylène. Or certaines graines de sésame en contenaient 186 mg, soit… 3 700 fois plus.
Alors la répression des fraudes, magistrale, dresse une liste de produits contaminés. Des produits qu’il faut rappeler, c’est-à-dire sortir des éventaires, remballer et, en théorie du moins, renvoyer à l’expéditeur. Des milliers de produits, distribués aussi bien par Carrefour, Casino, Système U, E.Leclerc, Auchan que par les magasins bio La Vie Claire, Naturalia ou le réseau Biocoop.
La liste s’étoffe chaque jour un peu plus
De novembre 2020 jusqu’à aujourd’hui, la liste s’étoffe chaque jour un peu plus, dévoilant une grande folie commerciale. Et mondiale. Au moment où ces lignes sont écrites, 3 869 produits sont concernés. Citons parmi tant d’autres des baguettes de pain, du poivre et quantité d’épices, des huiles, des canapés apéritifs, des nouilles, des fromages, du « mélange pour salade bio », des bonbons, du chocolat, des émincés de poulet, des burgers, des « barres aux noix et aux fruits bio », du thé, du café, du tofu, du chorizo, etc.
Mais pourquoi diable utiliser l’oxyde d’éthylène (OE ou EO sur les étiquettes) à si grande échelle ? Parce qu’il est l’arme fatale qui permet à des milliers d’exportateurs d’envoyer partout dans le monde des produits déclarés safe. L’oxyde d’éthylène est en effet un petit génie de la chimie. On place une marchandise x dans une chambre étanche sous vide. Puis on envoie le gaz, qui pénètre aisément les emballages avant de se déposer à la surface des produits. C’est un tueur. Aucun micro-organisme ne lui résiste. Une cargaison traitée au gaz ne peut contenir, a priori, aucune moisissure, aucun champignon, aucune bactérie. Le menu problème est qu’elle contient fatalement de l’oxyde d’éthylène.
Celui qui veut se faire grand-peur peut aller visiter le site de l’entreprise française Ionisos, qui possède des usines à Gien (Loiret) et à Civrieux-d’Azergues (Rhône), entre autres. Elle annonce bravement par un audacieux bandeau : « Stérilisation oxyde d’éthylène : Idéal pour les dispositifs médicaux ». Tellement idéal que l’on continue en 2021 à stériliser en France « les prothèses mammaires, gants, seringues, compresses, plateaux chirurgicaux ou encore cathéters », ainsi que le détaille Ionisos.
Pour bien mesurer l’ampleur de cette affaire, je suis obligé de prendre la parole, moi l’auteur de cet article. En 2011, j’ai travaillé avec ardeur sur l’oxyde d’éthylène, ce qui me conduisit à cosigner un dossier dans Le Nouvel Observateur dans des conditions très spéciales.
L’évidence est que nos autorités mentent constamment, qui prétendent redécouvrir à chaque saison l’oxyde d’éthylène. En vérité, une circulaire de 1979 que j’avais découverte raconte déjà l’essentiel. À cette époque, Jacques Barrot, qui est ministre de la Santé, expédie aux préfets, à l’équivalent de la Direction générale de la santé (DGS) et des agences régionales de santé (ARS) un texte ahurissant, qui sera publié au Journal officiel de la République française le 10 janvier 1980.
Il affirme qu’il ne faut utiliser l’OE que « si aucun autre moyen de stérilisation approprié n’existe ». Or « d’autres procédés aussi fiables (par exemple la vapeur d’eau sous pression) » sont disponibles. Ce n’est pas tout. « Les dangers inhérents à l’emploi de ce gaz, poursuit la circulaire, notamment des sondes, tubes et tous ustensiles en caoutchouc et matière plastique » peuvent provoquer chez des malades des troubles « pouvant évoluer vers la mort ». Enfonçant le clou, elle précise que l’oxyde d’éthylène présente « la caractéristique de pénétrer en profondeur dans la structure de nombreuses matières plastiques et caoutchouteuses, et de s’en extraire très lentement ».
Je ne sais s’il y a là matière à poursuites pénales, mais je le souhaite. Depuis quarante ans, en effet, il est certain qu’un nombre x de malades ont vu leur état s’aggraver, ou pire, à cause de ce mode de stérilisation. En toute conscience de quiconque se tient un peu au courant.
Je pus établir également que des millions de tétines de biberon étaient elles aussi stérilisées de la sorte. Les hostos, y compris ceux de l’AP-HP, en commandaient sans sourciller, et sans doute la moitié – au moins – des nouveau-nés avaient pour premier contact alimentaire une tétine empoisonnée. Je crois que je fis mieux encore en produisant des lettres assassines. Ainsi, les 12 et 20 mars 2009, la lanceuse d’alerte Suzanne de Bégon adressait une lettre à la Direction générale de la santé pour l’alerter sur l’usage d’OE pour les biberons. Le 7 avril, Jocelyne Boudot, sous-directrice, lui répondait de joindre la répression des fraudes, cette DGCCRF évoquée plus haut, celle qui vient de rappeler des milliers de produits.
Le 20 novembre 2009, Bégon prévenait cette administration, qui répondait le 18 janvier 2010. Passons sur le salmigondis bureaucratique, et retenons cette double phrase sensationnelle : « En conclusion, l’utilisation de l’oxyde d’éthylène n’est pas autorisée pour désinfecter les objets destinés au contact des denrées telles que les biberons. Par conséquent, il sera donné les suites nécessaires aux informations nécessaires. » Pas autorisé ! Donc interdit !!! Ni la DGS ni la répression des fraudes ne bougeront un orteil.
Entre-temps, l’OMS, cette Organisation mondiale de la santé farcie de conflits d’intérêts – par exemple au travers de lourds financements par la Fondation Bill-et-Melinda-Gates –, sera, elle aussi, prévenue cette même année 2009. Le 31 mars 2009, dans un sabir mal traduit de l’anglais, une Mme Elizabeth Mason répond texto : « L’OMS n’a pas de recommandations sur l’utilisation de cette substance dans les tétines et les biberons. » Il faut dans ces conditions contacter l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), devenue peu après l’Anses, celle-là même que le Sénat conseille en 2021 de joindre pour en savoir plus. En juillet 2005, l’Afssa avait réalisé l’exploit de pondre un rapport complet sur le sujet (« Recommandations d’hygiène pour la préparation et la conservation des biberons ») sans seulement citer l’oxyde d’éthylène.
Donc tout continue. On laisse entrer n’importe quelle bouffe, y compris bio, passée par le poison. On utilise chaque jour et partout des bistouris, des poches de sang, des cathéters, des valves passés au poison. L’explication générale est assez évidente : l’oxyde d’éthylène, c’est la mondialisation. Le droit pour les transnationales de dicter une loi supérieure à celle des États. Sans que personne ne moufte dans les ministères et chez les grands courageux de la Direction générale de la santé et de la répression des fraudes. Encore bravo, les gars. Et les filles.
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