PORTRAIT
André Pochon,
le vieil homme et la terre
À 89 ans, André Pochon a vécu tous les changements de l’agriculture. Il en a été un acteur passionné, prônant toute sa vie les vertus de l’herbe, de l’autonomie et de l’agriculture durable.
Le visage barré d’un éternel sourire, André Pochon a l’enthousiasme communicatif. Et on imagine aisément qu’il ait pu convaincre des paysans, scientifiques et politiques de la pertinence de l’herbe. Il en a fait six livres. Il a parcouru la France et différents pays du monde pour expliquer comment on peut vivre de la terre en privilégiant la prairie. Il a même été décoré de la Légion d’honneur (2001) et de la médaille d’or de l’Académie de l’agriculture (2011). Mais il n’a pas convaincu tout le monde.
Dans les Côtes-du-Nord, devenues Côtes-d’Armor en 1990, André Pochon a connu le monde rural d’autrefois, celui d’une paysannerie de subsistance où le temps s’était comme figé. Mais sa fin était proche. Après la Seconde Guerre mondiale se lève une nouvelle génération guidée par Dieu. Oui, le progrès agricole va venir d’un mouvement de jeunes, la Jeunesse agricole catholique (JAC). André rejoint cette cohorte à 17 ans. Les grands leaders agricoles de l’époque en France sortent de ce creuset. Dans les années 1960, l’agriculture française se modernise avec eux.
Une autre voie
La Politique agricole commune se met en place en 1962. Une Pac généreuse qui « institue les prix garantis, quelle que soit la production ». Autant dire que les paysans se ruent sur la manne « en se spécialisant ». André Pochon, lui, a le sentiment qu’une autre voie est possible. Au Centre d’études techniques agricoles (Ceta) de Mur-Corlay qu’il monte avec dix-sept agriculteurs en 1954, André s’intéresse à l’intensification de l’herbe, nourri par les travaux d’un agronome, André Voisin. Avec le soutien de jeunes chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), le Ceta fait la démonstration « que l’association herbe-trèfle blanc nourrit trois fois plus de bêtes à l’hectare ».
André et son épouse appliquent ces préceptes sur leur petite ferme de 9 hectares à Saint-Mayeux. « On a gagné de l’argent avec dix vaches laitières et une centaine de cochons produits par an. » Il développera son système avec la même ardeur sur sa seconde ferme de 25 hectares à Saint-Bihy. Pourtant, beaucoup d’agriculteurs ne choisissent pas cette voie. Soutenus par tout un écosystème (coopérative, banque), ils optent pour la croissance des volumes (lait, porc, volaille dans l’Ouest), stimulés dans les années 1970 « par le développement du maïs-fourrage et l’arrivée du soja américain ».
Des idées pour la Pac
André va se laisser convaincre un temps par le « totem » maïs. « Jusqu’à ce que je me rende compte que je gagnais plus d’argent avec l’herbe. » Ses connaissances techniques le font écrire son premier livre, en 1981, qui contribue à sa notoriété. Dans la foulée, il monte le Centre d’étude pour un développement agricole plus autonome (Cedapa) dans les Côtes-du-Nord, qui essaimera les Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam) en France. Dans les années 1980 et 1990, il va être le témoin de la surproduction qui guette, de l’impact de l’activité agricole sur l’environnement, des réformes de la Pac.
Il déplore que « l’herbe (n’ait) jamais été primée, sauf à travers les mesures agro-environnementales ». À 89 ans, il n’a pas abandonné son combat, au moment où chaque État membre dessine les contours de la prochaine Pac (2023-2029). Il a écrit à la Commission européenne, à l’Élysée et au ministre de l’Agriculture pour leur faire part de ses idées (primes de 400 € par hectare aux 25 premiers hectares en prairie temporaire et surfaces d’intérêt écologique, 200 € pour les suivants) pour viser « l’autonomie protéique de l’Europe ». Il attend leur retour dans sa petite maison à Trégueux, certain que « les gens commencent à s’interroger ».
Jusqu’au 5 mars, Ouest-France est partenaire d’une opération initiée par France Télévisions, qui met l’agriculture à l’honneur pour soutenir le monde agricole, en raison de l’annulation du Salon de l’agriculture cette année.
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