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« Combien de jeunes
mis à la porte
en plein confinement,
car ils ont la malchance
d’avoir eu 18 ans ? »
Le
jour de ses 18 ans, en plein confinement, Mohammed-Lamine est jeté à la
rue par l’Aide sociale à l’enfance d’Avignon, sous prétexte qu’il n’est
plus mineur. Une décision de justice a invalidé cette expulsion, mais
l’histoire de ce jeune mineur isolé illustre ce qui arrive à un bon
nombre d’adolescents. Voici la tribune de deux associations, le Réseau
éducation sans frontières et le Mouvement contre le racisme et pour
l’amitié entre les peuples, du Vaucluse.
Le 4 avril, nous avons vu sur les réseaux sociaux le témoignage de Mohammed-Lamine. Le jour de ses 18 ans, ce jeune homme a été brutalement jeté à la rue par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de l’hôtel dans lequel il était pris en charge, à Avignon. En pleine période de confinement cette pratique est encore plus scandaleuse et nous la dénonçons avec force. D’autres jeunes vont-ils être mis à la porte du jour au lendemain, en plein confinement, car ils ont la malchance d’avoir eu 18 ans ? Grâce à une décision de justice rendue le 6 avril, il a été repris en charge par l’ASE après 4 nuit passées en centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Nous espérons que cette décision protégera d’autres jeunes que l’ASE s’apprêtait à mettre à la porte.
« L’histoire de ce jeune homme est tristement représentative de ce qui arrive à un bon nombre d’adolescents »
Mohammed-Lamine avait été placé à l’ASE du Vaucluse après un très long parcours, après des refus par plusieurs départements et une remise en cause de sa minorité à cause de son apparence physique. Ayant obtenu des documents d’identité guinéens authentiques avec l’aide de réseaux militants, il s’est présenté devant le juge des enfants qui a ordonné un placement à l’ASE le 24 février 2020. Malgré l’obligation d’exécution immédiate du jugement, l’ASE n’a accueilli Mohammed que le 9 mars et l’a logé dans un hôtel avec d’autres mineurs isolés étrangers. Mis à l’abri certes, mais sans aucun suivi, sans aucune visite d’un référent pendant toute la durée de son accueil sauf le dernier jour pour lui signifier son départ. Il n’a donc pu bénéficier de mesures éducatives bien qu’il suive un cursus scolaire pour l’obtention d’un CAP en maçonnerie, avec assiduité et des bons résultats. L’ASE n’a pas non plus fait de demande de titre de séjour auprès de la préfecture comme elle est censée le faire pour les jeunes au moment du passage à la majorité.
L’histoire de ce jeune homme est tristement représentative de ce qui arrive à un bon nombre d’adolescents pris en charge par l’ASE peu avant leur majorité et pour lequel un contrat jeune majeur a été refusé. Du jour au lendemain, ils sont abandonnés sans solution. Ils doivent faire appel aux réseaux solidaires quand ils les connaissent ou être logés, en appelant le 115, dans des hébergements d’urgence peu adaptés à leur situation d’élèves ou d’apprentis. S’ils n’ont pas la chance d’avoir été repérés par des réseaux militants ou s’ils ne sont pas assez débrouillards pour trouver une solution par eux-mêmes, ils se retrouvent tout bonnement à la rue.
Se retrouver, le soir de ses 18 ans, dans un hébergement collectif, confiné dans une chambre avec deux adultes inconnus
Tandis que la France est arrêtée et que celles et ceux qui ne travaillent pas doivent éviter les contacts avec l’extérieur, le département de Vaucluse, par le biais de l’Aide sociale à l’enfance, met un jeune à la porte avec pour seul viatique le numéro d’urgence, le 115. Il se retrouve, le soir de ses 18 ans, dans un hébergement collectif, confiné dans une chambre avec deux adultes inconnus. Pourquoi faire courir un risque de contamination à ce jeune ? Pourquoi charger un peu plus les services d’hébergement d’urgence dont le travail est déjà bien compliqué en cette période de pandémie et de confinement ?
Mohammed-Lamine a eu la chance d’être accompagné par des bénévoles et a pu être pris en charge. Mais combien de jeunes vont être mis à la porte du jour au lendemain, en plein confinement, car ils ont la malchance d’avoir eu 18 ans ?
L’accompagnement de l’ASE, déjà minimal en temps normal, est plus faible encore en ces temps particuliers. Aucun accompagnement, par exemple, pour suivre la précieuse « continuité pédagogique » préconisée par notre gouvernement : pas d’ordinateur, pas d’accès à internet, aucune aide pour comprendre les plateformes de devoirs en ligne difficilement accessibles à des jeunes parfois peu à l’aise avec l’outil informatique. Mais ils sont nourris, logés et doivent rester à l’hôtel. On peut espérer qu’ils sont relativement protégés du virus. Pourquoi alors briser ce confinement et mettre en danger leur santé et celle des autres ?
Lire aussi : « Certains enfants ne croisent plus aucun adulte de la journée » : l’ardu travail de la protection de l’enfance |
La promesse non tenue du secrétariat d’État chargé de la Protection de l’enfance
Aucun membre du personnel de l’ASE n’est disponible, mais une assistante sociale s’est déplacée en personne pour annoncer à un jeune qu’il doit partir, le jour de ses 18 ans, sans lui donner d’autre alternative que d’appeler le 115, et en prenant bien soin de prévenir le gérant de l’hôtel afin qu’il « surveille » que le jeune quitte effectivement sa chambre.
Pourquoi avoir pris cette initiative au mépris de l’article L222-5 du code de l’action sociale et des familles dans sa version en vigueur au 16 mars 2020 qui stipule que « Un accompagnement social est proposé aux jeunes devenus majeurs […] pour leur permettre de terminer l’année scolaire ou universitaire engagée ». Les directives ont pourtant été envoyées aux départements dès le 21 mars 2020 et le secrétaire d’État chargé de la Protection de l’enfance a déclaré dans un tweet le 22 mars : « Chaque mineur pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et atteignant 18 ans continuera de l’être. Évalué mineur ou majeur, chaque jeune qui le demande sera mis à l’abri. Les services de l’état et des départements sont mobilisés pour s’en assurer »....
Dans l’urgence, un référé à été déposé par l’avocate de Mohammed-Lamine. Fort heureusement le juge s’est prononcé pour une reprise en charge par l’ASE sous 48h. Le 7 avril, Mohammed-Lamine dort donc à nouveau dans une chambre d’hôtel. Nous espérons que cette décision judiciaire va protéger les autres jeunes qui atteindront leur majorité et que le suivi scolaire qui a été particulièrement mis en avant par le juge dans sa décision, va pouvoir être assuré.
« La protection de ces jeunes particulièrement vulnérables doit être une nécessité absolue »
Militant depuis des années pour une meilleure prise en charge des mineurs étrangers isolés et un meilleur accompagnement à leur majorité, les associations soussignées exigent la suspension des « sorties sèches » du dispositif de protection pendant toute la période du confinement.
Nous profitons de cette tribune pour rappeler que dans la France entière, des centaines de jeunes dont les départements refusent la prise en charge au mépris des Droits de l’enfant et de la protection que l’État doit à tout jeune mineur, sont aidés par des bénévoles et hébergés dans des squats ou par des citoyens solidaires. Malheureusement, dans les grandes villes surtout, les réseaux associatifs ne peuvent suffire et nombre de jeunes vivent dans la rue, exposés à tous les dangers.
Alors que notre pays est confronté à une crise sanitaire sans précédent, la protection de ces jeunes particulièrement vulnérables doit être une nécessité absolue.
Réseau éducation sans frontières (RESF) Vaucluse et MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) Vaucluse
Photo de couverture : Carole Grand, photogramme tiré du documentaire Les Portes d’Arcadie (2015).
Source : https://www.bastamag.net/mineur-isole-18-ans-jete-a-la-rue-confinement-ASE-aide-sociale-enfance-protection-coronavirus-covid19?fbclid=IwAR2f2TGOkENk6ZVEo5fhnv1-wa5vbvSTjAEwRlWGh1C40GWxs7sgxvYUT-U
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