TRIBUNE – Coronavirus :
« Un moratoire
sur les épandages de pesticides
près des habitations
est une nécessité
sanitaire et morale »
19 avril 2020
Le Covid-19 peut voyager sur des microparticules, dont celles de pesticides, affirment, dans une tribune au « Monde »,
le mouvement Nous voulons des coquelicots, opposé aux produits
phytopharmaceutiques, et son président, Fabrice Nicolino. Une raison
supplémentaire, selon eux, de décréter un moratoire sur leur épandage.
Tribune.
Il y a un mystère des pesticides, et il est bien gardé. Mais ce n’est
pas un mystère pour qui sait dépouiller des centaines de textes
dispersés aux quatre vents que personne ne trouve intérêt à rassembler.
Les pesticides de l’agriculture industrielle jouent-ils un rôle
important dans la propagation du coronavirus ? Tristement, mais
certainement, la réponse est oui.
Il
faut commencer par le commencement. Les particules fines contenues dans
l’air que les Français respirent affaiblissent les défenses
immunitaires, aggravent la situation des insuffisants respiratoires, des
malades cardiaques, et tuent. En France, la pollution de l’air – et au
tout premier rang les particules fines – conduit à la mort 48 000
personnes par an, selon l’étude de Santé publique France de 2016.
Or
il apparaît que la terrible pandémie due au coronavirus peut être
aggravée, notamment par propagation, au travers de nuages de particules
fines. Ces dernières sont souvent connues sous leur acronyme anglais
PM10 et PM2,5 –initiales qui signifient « particulate matter »–
en fonction de leur diamètre. Les PM10 mesurent 10 micromètres, soit 10
millionièmes de mètre – et les PM2,5 quatre fois moins que les PM10.
Plus ces particules sont fines, plus elles sont transportées par le vent
et plus longtemps elles restent dans l’atmosphère.
Une
étude chinoise de 2003 a montré que la pollution de l’air rendait le
SRAS bien plus létal. On doit y ajouter deux travaux récents –une publication italienne et une autre américaine–
qui montrent des liens puissants entre la concentration de particules
fines dans l’air et la propagation du coronavirus.
Ou son aggravation.
Par ailleurs, 11 chercheurs américains,
dont 4 des fameux Centers for Disease Control and Prevention, ont
signé, en mars, un article sur la possible diffusion aérienne du virus.
Que contiennent ces particules fines ? Entre autres, la trace des
activités humaines : cuisine et chauffage, transports, rejets
industriels, mais sans oublier l’agriculture. Autant de véhicules pour
le coronavirus.
On s’étonnera moins, dans ces conditions, de l’appel publié en ligne de scientifiques menés par la directrice de recherche Inserm Isabella Annesi-Maesano, pour lesquels « le
printemps est la période d’épandage agricole, grand pourvoyeur de
particules fines. En effet, lors des épandages, le gaz ammoniac (NH3) va, en passant dans l’atmosphère, réagir avec les oxydes d’azote (NOx) pour former des particules de nitrate d’ammonium et de sulfate d’ammonium ». Fort logiquement, ces chercheurs appellent « les
préfets à prendre des mesures urgentes visant à limiter drastiquement
les émissions liées aux épandages agricoles (restriction, technique
d’enfouissement de l’engrais) afin de tout mettre en œuvre pour limiter
la propagation du virus ».
Certes,
on parle là d’engrais, mais les pesticides jouent très exactement le
même rôle, ce que personne pour le moment ne dit. Personne, sauf
l’Inrae, une nouvelle fois, qui note explicitement, dans des documents officiels datant de l’été 2019 : « Les
activités agricoles sont responsables de 28% des émissions françaises
de particules de diamètre inférieur à 10 micromètres, comme les composés
azotés ou les pesticides. » Et le texte ajoute que l’agriculture
émet plus de particules fines que l’ensemble des transports, d’un côté,
et les activités industrielles, de l’autre.
Les mots de l’Inrae sont décisifs, car ils montrent précisément que les pesticides, tout comme les engrais et les lisiers, sont des particules fines.
Double peine
– Toutes ces pratiques agricoles forment des nuées qui se combinent
avec d’autres venues des villes pour former de vastes ensembles de
pollution de l’air. C’est exactement ce qui s’est passé fin mars en
Bretagne, avec un sévère épisode de particules fines circulant de Brest à
Saint-Malo.
Dans ces conditions, que
fait le gouvernement ? Rien. Pour de nombreuses raisons politiques et
historiques, l’agriculture industrielle semble intouchable. Ainsi que
son plus illustre représentant, la FNSEA. D’un côté, les discours
officiels affirment que la santé publique prime. Et de l’autre, on
confine de nombreuses familles avec enfants tout près d’épandages de
lisier, d’engrais azotés et de pesticides. Ce qu’on doit appeler une
double peine.
Pis. On se souvient
comment, début janvier 2020, l’éléphant a accouché d’une souris. A la
suite d’arrêtés antipesticides pris par des maires, dont celui de Langouët, Daniel Cueff,
nos autorités ont alors imposé des zones de non-traitement (ZNT) de
pesticides, dont la plupart s’arrêtaient à cinq mètres des habitations.
Une distance qui paraissait une simple plaisanterie, de très mauvais
goût.
Mais
c’était encore trop pour la FNSEA, qui n’a cessé de réclamer un
assouplissement du dispositif, et l’a obtenu. Le 30 mars, en effet, le
ministère de l’agriculture a accordé une dérogation, faisant passer la
ZNT de cinq à trois mètres dans les départements où une « concertation aura été lancée ».
Nous
en sommes là. De solides éléments scientifiques nous assurent que les
particules fines aggravent la pandémie en cours. L’Inrae, institut
public, constate que l’agriculture industrielle produit près de 30 % des
particules fines. Et l’on décide de faire un cadeau de plus à la FNSEA.
Cadeau de trop ?
M. Macron, qui vient d’en appeler, dans son discours du 13 avril, à la
Révolution française et au Conseil national de la résistance, a-t-il
bien besoin d’un procès retentissant pour mise en danger de la vie
d’autrui ? Responsables en ces temps de drame, nous ne le souhaitons pas.
Alors, il faut changer de cap et rappeler, par exemple à Didier
Guillaume, ministre de l’agriculture, qu’il n’est pas au service d’un
lobby, mais de la société tout entière. Conscients de défendre l’intérêt
général et la santé publique, nous demandons l’ouverture d’une enquête
indépendante, sous la conduite de l’Inserm et avec contrôle
parlementaire. Et dans l’attente de ses résultats, un moratoire sur les
épandages de pesticides près des habitations est une nécessité sanitaire
et morale.
Fabrice
Nicolino est président du mouvement Nous voulons des coquelicots.
François de Beaulieu, Mathieu Chastagnol, Françoise Fontaine, Eric
Feraille, Marianne Frisch, Franck Laval, Emmanuelle Mercier et
Franck-Olivier Torro sont membres du mouvement.
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