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mercredi 12 juin 2019
« Le bio risque de se perdre dans son succès »
« Le bio
risque de se perdre
dans son succès »
Frédéric Denhez, auteur et journaliste à France Inter (“C02 Mon amour”)
Pourquoi d’après-vous, comme l’indique le titre de votre livre, « le bio risque-t-il de se perdre » ?
Le bio risque de se perdre dans son succès. L’extraordinaire
croissance du marché bio pourrait en atténuer la philosophie. Ce succès
est le signe, pour les défenseurs de cette agriculture, d’une victoire
qui pourrait bien être demain à la Pyrrhus, voire même synonyme d’une
édulcoration du contenu de son cahier des charges. Le risque est que le
bio ne soit demain plus aux mains de ceux qui le font, mais de ceux qui
le distribuent. Enfin le bio risque de se perdre également dans des
postures manichéennes, car il est censé représenter le camp du bien et
le conventionnel, le camp du mal. Ces postures font peur à la fois aux
agriculteurs et aux consommateurs qui ont envie de changer leurs
pratiques.
Les grandes surfaces sont-elles une menace pour le développement du bio ?
Pour le moment, la grande distribution n’est pas une menace, car elle
distribue en France à peu près la moitié des produits bio consommés.
Mais cela pourrait le devenir dès lors que l’essentiel de la production
serait vendu via la grande distribution. Lorsqu’elle s’intéresse à un
marché, la grande distribution contribue certes à le lancer, mais elle a
ensuite tout intérêt à le contrôler. Et ce contrôle s’opère bien
souvent avec les méthodes qui sont les siennes, celles-là même qui ont
fait que le monde paysan s’est retrouvé entre ses mains. Des mécanismes
d’achat de volumes importants sous le prix de revient des productions et
des négociations tarifaires très déséquilibrées au désavantage des
producteurs en sont les exemples les plus criants. En ce qui concerne le
bio, jusqu’à présent, l’offre créé le prix. Mais, le risque est que, du
fait de l’augmentation de la demande, les grandes surfaces augmentent
leurs importations, obligeant ainsi les producteurs français à baisser
leurs prix ou à vendre via les centrales d’achats des supermarchés.
Enfin, je pense profondément que, dans sa philosophie, la bio est
antinomique avec la grande distribution, de par le seul fait qu’elle
trouve toute sa pertinence dans la notion de local.
Un produit bio sur deux en France est vendu dans les grandes surfaces
Est-ce à dire que la production biologique, si elle ne veut pas se
perde, est inconciliable avec le fait de nourrir d’énormes
agglomérations de plusieurs dizaines de milliers d’habitants ?
C’est la bonne question, et la seule à se poser. Dans un pays
manichéen comme la France, le bio pourrait être condamné à un marché de
niche à haute valeur ajoutée ou, à l’opposé, à un marché très grand
public tenu par la grande distribution. Or, il y a évidemment de la
place pour les deux, si tenté est que les rapports de force soient
équilibrés, ce qui n’est pas le cas du tout actuellement, puisque la
grande distribution fait la pluie et le beau temps. Je reste convaincu
que la bio peut, en France, nourrir une bonne partie de la population,
car ce pays est béni des dieux du point de vue de sa diversité de sols
et de climats : on peut réussir à faire à peu près tout pousser sans
recourir massivement aux intrants. La bio peut donc nourrir la France si
la valeur ajoutée est avant tout aux mains d’abord des paysans, ensuite
des transformateurs et enfin des distributeurs. Mais cette vision n’est
réaliste que si le contribuable accepte de mettre la main à la poche
pour soutenir ce mode de production. D’abord via les impôts qui vont
permettre des aides agricoles pour accompagner les producteurs en
transition vers le bio, période délicate techniquement et
économiquement. Ensuite, par une hausse des prix des denrées
alimentaires qui est inévitable : tant que l’alimentation sera un des
budgets les moins importants d’un ménage, on aura du mal à faire évoluer
les modèles agricoles.
D’un point de vue sémantique vous distinguez bien « le bio » de « la bio » ? Pourquoi cette distinction ?
Le bio c’est ce qu’il y a derrière la certification AB : c’est un
cahier des charges qui n’est vraiment coercitif que sur le non-usage des
intrants chimiques et des OGM pour l’alimentation du bétail. Pour le
reste – les rotations, la diversité des cultures ou la fertilité des
sols –, le cahier des charges énonce essentiellement des principes
généraux, sans trop d’exigences précises. La bio c’est tout autre chose,
c’est le principe général du bio auquel on ajoute le respect
fondamental de toute la chaîne alimentaire : du paysan, du consommateur,
des sols, du bétail, des variétés, de l’arbre dans le paysage… La bio,
c’est produire en abîmant le moins possible le paysan, le consommateur
et la nature. Cela passe évidemment par le non-usage des pesticides,
mais d’abord et en premier lieu, par un moindre travail du sol et une
vraie écologie agricole basée sur un travail permanent avec la nature et
les arbres. Tout cela n’est pas dans le cahier des charges actuel du
bio. En réalité la bio est un projet politique là où le bio est devenu
un itinéraire de culture et de conduite d’élevage.
Concernant le respect du sol en particulier, vous expliquez que le
bio a d’importantes marges de progrès et que des ponts avec d’autres
formes d’agriculture, comme celle dite de conservation, sont à bâtir ?
Evidemment. Je pense qu’il faut décloisonner le bio d’autres modes
d’agriculture vertueux. Je suis supporteur du bio en temps qu’objectif à
atteindre, pas en tant que but en soi. Ce n’est pas parce qu’on se met
au bio, qu’on fait forcément bien. Diverses agricultures se conforment
ou vont à ce que j’appelle « la bio » par le non-labour, le semis
direct, la couverture permanente des sols. Ces agriculteurs ne sont
néanmoins pas nécessairement certifiés bio du fait des contraintes
importantes qui y sont liées, sur la non-utilisation d’herbicide. Pour
autant, même si ces agriculteurs font l’usage de produits
phytosanitaires, leur système technique est plus qu’intéressant à mettre
en avant, du fait notamment de ses effets très bénéfiques pour le
maintien de la fertilité des sols, condition centrale pour la capacité
de l’agriculture de nous nourrir à long terme. J’aimerai plus de ponts
entre ces agricultures et le bio pour les faire progresser conjointement
vers ce que j’appelle « la bio ».
Le labour, une pratique courante en bio, efficace pour gérer les
mauvaises herbes sans herbicide mais pouvant poser question sur la vie
biologique des sols (Source : Pixabay)
Pour vous, les avantages nutritionnelles de la bio sont largement supérieurs à ceux du bio dans sa définition actuelle ?
L’aspect nutritionnel
est un très bon exemple dans lequel on voit très clairement la
différence entre le bio et la bio. Acheter une tomate bio qui répond au
cahier des charges, c’est acheter la promesse d’un fruit produit sans
pesticide, ce qui n’est déjà pas si mal, convenons-en. Une tomate qui
correspond à la philosophie de la bio, c’est une tomate qui, certes a
été produite sans pesticide, mais qui a été cueillie à maturité peu de
temps avant sa vente car la bio a le principe du respect du produit.
Cueillir un produit des semaines avant sa commercialisation, puis le
conserver par réfrigération lui fait perdre l’essentiel de ces qualités
nutritionnelles et gustatives. Un produit issu de la bio c’est donc la
garantie qu’il a été cultivé sans pesticide, dans un sol riche et vivant
et cueilli à maturité. Cela va même jusqu’au consommateur : les vertus
sur la santé du bio disparaissent si l’hygiène de vie est discordante ou
la cuisson des aliments non appropriée.
D’après-vous, il y aurait incompatibilité entre la bio et les régimes « sans », en particulier sans viande ?
C’est à mes yeux complètement incompatible. Les régimes « sans » en
général, sont souvent un appel d’air pour l’industrie car il n’y a que
cette dernière qui est capable de produire sans, pas la nature. Le
véganisme est forcément incompatible avec le bio, et même avec
l’agriculture en général d’un point de vue agronomique. L’agriculture
n’est devenue mâture qu’au milieu du XVIIIème siècle grâce au
développement de la polyculture-élevage. En introduisant le fumier dans
l’assolement, l’association de la culture et de l’élevage a permis à
l’Europe Occidentale d’en terminer avec les famines. Dans ses fondements
agronomiques, le bio c’est cette agriculture-là, celle de la révolution
agronomique en polyculture élevage, associée aux légumineuses et aux
bocages. Cela est vraiment ancré dans la philosophie de la bio car un
territoire n’est bio que s’il est autonome au niveau des intrants
naturels et organiques. Se passer du fumier animal en utilisant du
fumier végétal, reviendrait à un retour à l’agriculture d’avant le
XVIIIème, c’est-à-dire une agriculture qui génère des famines. Les
engrais purement végétaux ne sont jamais disponibles en quantité
suffisante et épuisent rapidement les sols du fait de leur teneur
insuffisante en matière organique. Et il ne faut pas oublier que le sol
est une production animale en soit. Ceci étant dit, on peut tout à fait
progresser sur les conditions d’élevage des animaux, cela doit même être
au cœur de « la bio ».
Au final, comment faire évoluer le label du bio pour qu’il se rapproche au maximum de la bio ?
Tout d’abord, il faut rappeler que le principe de subsidiarité permet
d’avoir une déclinaison de la certification bio européenne à l’échelle
nationale. Il est donc possible de monter en exigence le cahier des
charges au niveau français, en complément d’un cahier des charges
européen, qui lui, resterait dans l’esprit de ce qui se fait
aujourd’hui. Des producteurs pourraient alors juxtaposer les deux
labels, en fonction de leurs pratiques. Pour l’écriture d’un nouveau
cahier des charges, on pourrait imaginer revenir à la philosophie
originelle de la bio, celle de Nature et Progrès ou du label
biodynamique Demeter,
sans ses considérations ésotériques. Il faudrait monter en exigence sur
les pratiques de travail du sol afin de le diminuer, inciter à la
réintroduction de l’arbre et des haies pour favoriser la biodiversité au
sein des parcelles. En parallèle, une stratégie de mise en place d’une
polyculture-élevage à l’échelle d’un bassin économique ou d’une vallée
serait nécessaire à mettre sur pied. Enfin, il faudrait dans ce nouveau
cahier des charges, absolument introduire des éléments sur la
construction d’un prix juste pour les producteurs par filière, voire
par filière territoriale pour s’adapter aux spécificités naturelles et
climatiques d’une région.
Ingénieur
agronome spécialisé en productions végétales, je m’intéresse à la
diversité de l’agriculture sous toutes ses formes. Je travaille
actuellement au développement de l’agriculture biologique.
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