Produire 100% bio serait mauvais pour l'environnement ?
Ah ah ah!
Pourquoi ces rumeurs que le lobby des pesticides (et certains politiques) reprennent en choeur sont fausses."
« L’assiette
des consommateurs de bio
est plus respectueuse
de l’environnement
que celles des autres »
Les mangeurs de bio font souvent évoluer leur régime alimentaire, notamment en diminuant leur consommation de produits animaux. Cette réalité va à l’encontre d’une vision de l’agriculture biologique comme péril environnemental, explique notre journaliste Stéphane Foucart dans sa chronique.
La forte progression de l’agriculture biologique est-elle une menace pour l’environnement ? Provocatrice au premier abord, cette question est souvent posée par les tenants de modes de production agricoles aujourd’hui dominants, fondés sur la recherche de rendements élevés et stables, permis par la mécanisation et la pétrochimie (pesticides, fertilisants, etc.).
Bien que contre-intuitive, cette considération repose sur un raisonnement simple. L’agriculture biologique offre des rendements réduits par comparaison avec l’agriculture conventionnelle ; il faut donc mobiliser des surfaces plus importantes pour une production équivalente ; or la production doit augmenter dans les prochaines décennies pour faire face à une population en croissance ; donc la ruée vers le bio menace les derniers îlots de nature et de biodiversité de la planète, en passe d’être convertis en pâturages ou en systèmes agricoles.
Si ce raisonnement est juste, alors il y a tout lieu de s’inquiéter. Car le bio est porté par une insolente croissance, comme l’ont montré les chiffres rendus publics mardi 4 juin par l’Agence bio. Ce marché a doublé en quatre ans, poussant des exploitations toujours plus nombreuses à la conversion.
Le nombre de fermes bio a presque quadruplé entre 2003 et 2018 et représente aujourd’hui près de 10 % des exploitations françaises, occupant 7,5 % de la superficie agricole utile et représentant plus de 14 % des emplois de l’agriculture tricolore. Si le bio compte au nombre des périls environnementaux, c’est un péril galopant.
Une idée testée
Il faut aussi reconnaître que la principale préoccupation des adeptes du label « AB » est d’abord d’ordre sanitaire. Âprement combattue par les avocats de l’agriculture conventionnelle, l’idée que le bio (s’agissant des fruits et légumes) représente un bénéfice sanitaire n’en est pas moins étayée par un faisceau d’indices concordants.
Suffisamment pour que le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) propose l’introduction, dans le prochain Programme national nutrit
ion santé (PNNS), « de recommandations concernant les fruits et les légumes issus de l’agriculture biologique », ce qu’appuie Santé publique France dans ses propres recommandations.
A cette aune, donc, le consommateur de bio serait une incarnation de l’individualisme ambiant, et la ruée vers les produits labellisés « AB » ne serait qu’une guerre de chacun contre tous, la manifestation d’une somme d’égoïsmes sanitaires menaçant la préservation de l’environnement.
Cela reflète-t-il la réalité ? Une équipe française conduite par Julie Baudry et Emmanuelle Kesse-Guyot, chercheuses au Laboratoire de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Inserm, INRA, CNAM, université Paris-XIII), a testé cette idée et suggère que la réalité est aux antipodes. Les chercheurs ont utilisé les informations générées par une cohorte de près de 30 000 individus remplissant régulièrement des questionnaires détaillés sur leur alimentation, et les ont croisées avec les données d’impact environnemental de chaque production agricole.
Moins de pesticides de synthèse
Leurs résultats, publiés en avril dans l’American Journal of Clinical Nutrition, montrent que l’assiette des plus gros consommateurs de bio est en fait beaucoup plus respectueuse de l’environnement que celles des autres.
La raison majeure en est simple : ceux qui mangent plus d’aliments bio consomment en moyenne beaucoup moins de produits animaux que les consommateurs conventionnels. Et cette différence compense plus que largement le déficit de rendements de l’agriculture biologique – déficits qui pourraient d’ailleurs être réduits ou résorbés par un rattrapage des investissements en recherche et développement.
Les auteurs indiquent d’abord que « les consommateurs caractérisés par une forte consommation d’aliments biologiques montrent une consommation plus importante de végétaux, une prise accrue de la plupart des vitamines, des minéraux, de fibres et de meilleurs scores nutritionnels » et sont aussi en moyenne moins exposés aux pesticides de synthèse –faits déjà documentés par d’autres travaux.
Une vision mécaniste de l’homme
Surtout, en comparant le régime moyen des plus gros consommateurs de bio à celui des consommateurs exclusifs d’aliments conventionnels, les chercheurs ont calculé que l’alimentation des premiers produit environ 37 % de gaz à effet de serre de moins que les seconds, et qu’elle consomme 26 % d’énergie et 23 % de surfaces agricoles en moins.
L’idée selon laquelle le bio n’est pas généralisable pour des raisons environnementales repose donc, en quelque sorte, sur une vision mécaniste de l’homme, réduit à une machine à consommer incapable d’évoluer dans ses choix personnels, condamnée à reproduire ce qu’elle a toujours fait. « En l’état, en France en tout cas, les consommateurs bio font en moyenne évoluer leur régime alimentaire de façon à combiner les bénéfices sanitaires et environnementaux », explique Philippe Pointereau (Solagro), coauteur de ces travaux.
Encore les auteurs ont-ils été conservateurs dans leur approche. Car ils ne tiennent compte des gains pour l’environnement que selon trois critères : surface agricole mobilisée, énergie consommée, émissions de gaz à effet de serre. Or d’autres métriques (consommation d’eau, maintien de la biodiversité), si elles étaient prises en compte, augmenteraient encore le bénéfice environnemental d’une conversion au bio – à condition qu’elle s’accompagne des changements d’habitudes alimentaires adoptés par les consommateurs de bio actuels.
En réalité, la question est sans doute moins de savoir s’il est possible de convertir le modèle agricole dominant que de savoir combien de temps ce modèle, à la vitesse où il érode le potentiel productif de la nature, pourra encore tenir.
Stéphane Foucart
Source : https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/06/08/l-assiette-des-consommateurs-de-bio-est-plus-respectueuse-de-l-environnement-que-celles-des-autres_5473339_3232.html?fbclid=IwAR0m_heyCuzjlOBEsfZtkVVzOVQlOU2tBQmdv_TsXwx6qy-_GYLVIB738Qs
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