Migrants et population solidaires
Des migrants de Calais ont été envoyés à Sisteron, dans les Alpes-de-Haute-Provence, pour six mois, le temps que soit traitée leur demande d’asile. Ils ont été accueillis par de nombreux bénévoles, disponibles et créatifs.
« Sugar after », dit Sylvie avec un petit sourire, comme pour s’excuser de son anglais. Avec Ghislaine, elle distribue le café pendant qu’Alexandre dispose des brioches sur une assiette. Aux Restos du cœur de Sisteron, c’est un peu la panique. Tout le monde s’affaire avec beaucoup d’empressement et de gentillesse. C’est aujourd’hui le lancement de la campagne d’hiver, mais autre chose met la petite équipe en émoi. Pour la première fois de la saison, les bénévoles accueillent des demandeurs d’asile. Trente-quatre Soudanais, un Érythréen et un Éthiopien sont arrivés le 31 octobre, en provenance du camps de Calais.
Gisèle, bénévole aux Restos depuis quinze ans, arbore un magnifique tablier fuchsia. « Il fait froid », dit-elle en se frottant les mains. Elle s’adresse à Omar, qui lui sourit : « Oh ! Il est en tee-shirt ! » Dans la pièce voisine, la distribution de nourriture a commencé. « N’oublie pas qu’ils sont six par appartement. Avec un paquet de couscous, ils ne vont pas aller loin », lance Ghislaine à Sylvie. Elle propose des yaourts, mais ne sait pas trop si ça va leur plaire. Comment leur demander ? « C’est compliqué, ils n’ont pas nos habitudes alimentaires. » Quant à Gisèle, elle est bien déçue. Les Restos n’ont pas reçu d’œufs. Un débat s’engage devant le congélateur pour savoir s’il faut leur donner du beurre. « Mais qu’est-ce qu’ils vont mettre sur le pain ? » Derrière le comptoir, Sylvie part dans un grand éclat de rire, ravie de s’être fait comprendre, en distribuant les bouillons cube :
"You put it in ze woteur, ça donne du goût."
« Manger et avoir chaud »
Du haut de ses 44 ans, Hani fait figure de senior. La moyenne d’âge des demandeurs d’asile est plutôt de 25/30 ans. Tout sourire, il remercie chaleureusement et serre la main de chaque bénévole. Dans son cabas, il y a des pâtes, du café, de l’huile, des petits pois, des tomates, des steaks hachés, du camembert et des gaufrettes à la vanille. Chaque appartement reçoit l’équivalent de quatre sacs de course, de quoi faire deux repas par jour, pour six personnes, pendant six jours. Il faudra compléter par quelques achats. « On fait aussi la ramasse des invendus au marché de Sisteron », précise Catherine. Membre d’une autre association, le Sel (Système d’échange local) des Trois Rivières, elle accompagne les demandeurs d’asile pour faire les courses. « Je me suis mise sur du pratico-pratique. Manger et avoir chaud. La première chose que j’ai faite, c’est trier quatre mètres cube de vêtements qu’on nous a donnés. »
Pour les petits achats urgents, les demandeurs d’asile reçoivent un pécule de 4 euros par jour, pris sur les 23 euros que l’État – qui assure la totalité de leur prise en charge – verse par jour et par personne, pendant six mois. A Sisteron, ils sont logés par groupe de six à Beaulieu, un quartier HLM, dans six appartements qui étaient vacants avant leur arrivée. La contribution de l’État a permis de les équiper a minima en matelas, couchage et petit matériel de cuisine. Un septième appartement est réservé à l’administratif et au collectif (vestiaire, salle commune, machine à laver, réserve alimentaire). Sur cette dotation sont payés également les loyers, ainsi que les salaires d’Alex et Sylvie, deux intervenants sociaux d’Adoma, une association d’insertion par le logement.
« Ils ont vécu des choses terribles »
« On a une partie administrative très importante à faire », explique Sylvie. Avec Alex, elle monte les dossiers pour l’Ofpra (L’Office français de protection des réfugiés et apatrides), qui statuera sur la demande d’asile. Il comporte pour chaque personne un récit de vie qui fait l’objet d’un entretien de plusieurs heures, en présence d’un interprète arabophone. « Tout doit être acté : arrestations, tortures, emprisonnements. Ce qui ressort des entretiens, c’est la même trame : il n’ y en a pas un seul dont le parcours n’est pas lié à une notion d’urgence de vie. » La plupart des Soudanais accueillis à Beaulieu sont des étudiants qui ont fui le pays, pour échapper à la violente répression qui a suivi les manifestations contre le régime dictatorial d’Omar Al-Bachir, en automne 2013. « Ce sont en majorité de jeunes urbains diplômés. Adam, dont j’ai fait le récit de vie, a Bac +4. Certains ont des femmes et des enfants. Zacaria n’a vu son bébé qu’en photo. Ils ont vécu des choses terribles. » Une partie d’entre eux a transité par la Libye, où ils ont été placés en centre de rétention et réduits à l’esclavage. « Pour quitter le centre, ils devaient payer un droit de passage sous forme de points, qu’ils obtenaient en travaillant dans la construction, la plomberie, l’électricité… Ils étaient à peine nourris et traités sans aucun respect. »
Le potiron, une chose très bizarre
Au 36, l’appartement commun où se gèrent l’administratif et le collectif, Pauline, Anne, Marie-Christine et Basma se retrouvent pour réaliser un trombinoscope.
L’idée, c’est d’avoir un outil pratique et ludique, utile à tous pour savoir qui est qui, quels sont pour chacun les centres d’intérêt et les compétences particulières qu’on peut apporter aux autres.Pauline
Marie- Christine, écrivain public, est déjà épinglée au mur : à droite de sa photo, figurent un vélo et un stylo. Elle devra rajouter un autre pictogramme, car elle a l’intention de proposer un atelier cuisine, pour les aider « à faire des choses simples avec les aliments qu’on trouve ici ». En effet, les blettes ont séché au frigo, le potiron a été regardé comme une chose très bizarre et l’artichaut refusé catégoriquement. « On a aussi proposé un espace de création et d’expression, ajoute Anne. On veut identifier leurs désirs. La difficulté, c’est de ne pas être dans l’infantilisation. »
« Nettoyer les rues, ramasser les feuilles »
Hani se présente à l’atelier trombinoscope, en retard, mais on l’applaudit. Enfin un candidat pour la photo ! Il est rejoint par Mohamed, Ibrahim et Khaled. Basma, qui parle l’arabe littéraire, sert d’interprète. Mohamed et Ibrahim confient qu’ils n’avaient pas imaginé un tel accueil : « tout le monde fait le maximum pour nous comprendre, sans parler notre langue. » Ils disent aussi qu’ils en ont « marre de dormir, de rester à la maison. » Il est vrai que, malgré la mobilisation importante des bénévoles, il n’est pas encore possible d’occuper à ce jour 36 personnes à temps plein. Chaque appartement n’a que 8 heures de cours de français par semaine, et quelques heures d’ateliers. Ils veulent faire du sport, du foot pour beaucoup et de la boxe pour certains, mais ils veulent aussi « aider, construire, nettoyer les rues, ramasser les feuilles… gratuitement, explique Khalid. Parmi nous, il y a des mécaniciens, des architectes, des chauffeurs. On veut gagner en intégration. Si les gens nous connaissent, ils n’auront pas peur. » Mohamed abonde dans son sens. Il raconte qu’il a voulu aider une dame, en panne avec sa voiture. A cause de la langue, elle n’a pas compris. Elle a eu peur, et il a été obligé de partir.
« Il y a beaucoup de rumeurs »
A Beaulieu, les demandeurs d’asile ont été bien accueillis par les habitants du quartier, qui leur ont apporté, dès le premier jour, de la nourriture et des vêtements. Ailleurs, c’est plus mitigé. Soisik, qui, deux fois par semaine, anime un cours de français, est révoltée par la réaction de son village : « Les gens disent qu’ils devraient retourner chez eux, qu’on a assez de problèmes en France, que les logements, c’est pas pour eux. Une amie m’a même dit « tu devrais t’occuper des SDF, au lieu des migrants ». »
D’autres, comme Marie-Christine, ont eu une expérience plus heureuse :
Au [magasin] Lidel, on est tombé sur une caissière très sympa. On avait balancé 25 baguettes sur le tapis. C’était le bordel, mais ça a donné lieu à une situation rigolote.
Quand ils sont arrivés, un message a circulé sur Facebook, disant qu’ils étaient tous malades, et qu’ils allaient nous apporter la gale et la lèpre. Tout ça parce que, dès le premier jour, ils sont tous allés à l’hôpital, c’est la procédure. Ça s’est calmé et puis, suite aux attentats, c’est reparti. On les a qualifiés de terroristes. Il y a de la peur à partir du moment où il y a de la différence.
Nicole Gellot
Ce reportage est paru dans le numéro (l'Age de Faire) de janvier 2016 en vente à 2 euros sur notre kiosque en ligne.
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