Climat : les mouvements et ONG quittent les négociations – Explications !
En décidant de quitter les négociations climat ce jeudi 21 novembre à Varsovie, les mouvements sociaux et ONG veulent faire dérailler le train-train de conférences qui nous mènent dans le mur. Place aux véritables solutions portées par les populations !
Il serait tentant, mais beaucoup trop facile, d'accabler la présidence polonaise de la 19ème conférence de l'ONU sur le climat qui se déroule à Varsovie (11-22 nov). Au risque de laisser dans l'ombre ceux qui ont conduit ces négociations dans une impasse tragique.
A Varsovie, c'est à se demander si le climat et des objectifs ambitieux de réduction d'émissions de gaz à effets de serre n'ont tout simplement pas disparu des négociations. Place à la promotion des énergies fossiles et à la liquidation du reste. Dans son registre, la Pologne fait fort. En introduisant au cœur de la conférence comme sponsors et comme négociatrices, quelques-unes des entreprises les plus polluantes de la planète, le gouvernement polonais contribue à étendre la mainmise des intérêts privés sur la conférence et le climat. Une présence tellement visible, jusque dans les annonces publiques diffusées en ville, qu'il est étonnant que la société civile n'ait pas mis sa participation dans la balance pour imposer leur retrait.
Mainmise du secteur privé sur le climat !
Mieux ! Le gouvernement polonais appuie un sommet mondial sur le charbon et le climat... Il promeut ainsi la plus polluante des énergies fossiles au moment où les rapports s'accumulentpour dire combien il est urgent de laisser dans le sol au minimum deux tiers des réserves prouvées d'énergies fossiles pour garder une chance de ne pas dépasser les 2°C de réchauffement d'ici la fin du siècle. Que fait l'ONU ? En acceptant d'intervenir lors de cette conférence et en affirmant que le « charbon pouvait faire partie de la solution », Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la convention climat de l'ONU, a légitimé l'opération « charbon propre » menée par le gouvernement polonais. Un gouvernement qui multiplie les provocations en ayant renvoyé ce mercredi son ministre de l'environnement pour le remplacer par un promoteur encore plus enthousiaste du développement des gaz de schiste.
L'ONU a donc laissé les murs de l'enceinte des négociations se couvrir des logos des sponsors climaticides :deux-tiers des émissions de gaz à effets de serre sont le fruit de 90 entreprises dans le monde. De l'autre côté, l'ONU contrôle hyper-strictement les actions de la société civile à l'intérieur de ces mêmes murs. Pire, elle n'hésite pas exclure des négociations de jeunes militants, dont Clémence, militante française de 23 ans, qui ont osé exprimé leur soutien aux Philippins victimes du typhon Haiyan. « Les négociations des Nations-Unies sur le climat sont-elles encore un lieu démocratique, où la société civile est la bienvenue, et les multinationales polluantes, dont le modèle économique est incompatible avec une action ambitieuse pour combattre le changement climatique, combattues » demande Clémence et, avec elle, l'ensemble des mouvements pour la justice climatique qui sont tolérés dans l'enceinte mais pas respectés ni écoutés ?
« No numbers, no roadmap, no finance »
Cette mainmise du secteur privé sur la conférence climat et la marginalisation de la société civile ne seraient qu'anecdotiques si au même moment les négociations ne nous conduisaient pas dans le mur. Le texte rendu public en début de semaine et qui doit donner les grandes orientations de ce que serait un accord en 2015 pour l'après-2020, est tout simplement inacceptable. Extrêmement vague, notamment sur les principes de justice et de partage des responsabilités, il légitime une approche bottom-up, celle défendue par les Etats-Unis – qui ne ne veulent pas d'accord contraignant – et à laquelle s'est ralliée l'Union européenne, consistant à laisser chaque pays définir lui-même son niveau de réductions d'émissions.
C'est à celui qui sera le moins ambitieux ! Une course au moins-disant climatique a débuté. Le Japon, cinquième pays le plus émetteur de la planète, a ainsi sabré ses objectifs de réduction de 25 % d'émissions d’ici 2020, pour s'engager sur un objectif … d'augmentation de 3,1% par rapport à 1990. L'Australie a quant à elle supprimé tout objectif de réduction, mis fin au projet de taxe carbone et à ses dispositifs de soutien des énergies renouvelables. Elle a par ailleurs annoncé vouloir arrêter tout financement international en lien avec le climat. Le tout sous les applaudissements et félicitations du Canada, qui avait déjà annoncé sortir du protocole de Kyoto et ne pas respecter ses engagements de réduction d'émissions.
L'Union européenne aux abonnés absents
Le Canada, le Japon et l'Australie sont-ils des délinquants et criminels climatiques ? Sans aucun doute. Mais également des pays qui sont encouragés en ce sens par la nouvelle stratégie de l'Union européenne. Loin de l'image usurpée de leader des négociations climat qu'elle s'était décernée, l'Union européenne a décidé de ne pas proposer d'objectifs ambitieux pour l'après 2020 avant que les autres pays n'en fassent de même. Ainsi, on est sûr que rien ne bouge. Sur le point d'abandonner tout objectifcontraignant de développement d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique pour 2030 pour ne maintenir qu'un objectif très insuffisant de réduction d'émissions de gaz à effets de serre (GES) – on parle de - 40 % par rapport à 1990 – l'Union européenne mine toute possibilité d'obtenir en 2015 un accord à la hauteur des enjeux.
Et il ne semble pas que le gouvernement français ne s'en émeuve, alors qu'il annonce vouloir aboutir à « un accord applicable à tous, juridiquement contraignant et ambitieux, c’est-à-dire permettant de respecter la limite des 2°C ». A ce stade, ce ne sont que des paroles en l'air, quoiqu'en disent Pascal Canfin et Laurent Fabius. Ce d'autant plus qu'il ne semble y avoir aucune volonté politique, y compris au sein de l'Union européenne, pour relever les objectifs de réductions d'émissions d'ici 2020 sans attendre. Ce qu'exige le dernier rapport de l'UNEP qui démontre qu'il y a un écart de 8 à 12 milliards de tonnes de CO2 entre les engagements de réduction d'émission d'ici 2020 et ce qu’il serait nécessaire d'atteindre pour être sur une trajectoire de maintien de la température globale en-deçà d’1,5 ou de 2°C.
Pas un zloty sur la table !
Les sujets portant sur les financements climat ne manquent pas à Varsovie : financements de long-terme, Fonds vert pour le climat, fond d'adaptation, mécanismes de financement des pertes et dommages, etc. Mais cette COP19 dont il avait été promis à Doha l'année passée qu'elle serait une COP « finance » n'a toujours pas vu de financements majeurs être annoncés. Ainsi, le fonds vert pour le climat, annoncé en grande pompe chaque année depuis 4 ans, est-il toujours non doté. Et lorsque des pays du Nord annoncent quelques millions d'euros, ce sont le plus souvent des fonds dévolus au développement des pays du Sud déjà existants dont on change juste le nom ou, pire, un appel du pieds à des financements du secteur privé. Les pays les « moins développés » (terminologie de l'ONU) réclame 60 milliards par an d'ici 2020 et que l'engagement d'obtenir 100 milliards par an à partir de 2020 soit défini par une feuille de route clairement identifiée. Jusqu'à aujourd'hui, ce n'est pas le cas et personne ne sait s'il y aura de l'argent sur la table dans les prochaines années.
La dernière conférence climat, à Doha au Qatar, l'un des pays les plus émetteurs de GES de la planète, avait été l'occasion pour les pays les plus vulnérables d'obtenir un engagement des pays industrialisés d'ouvrir des négociations sur un mécanisme de « pertes et dommages ». Une fois que les catastrophes climatiques ont frappé, et qu'il ne s'agit plus seulement de trouver des solutions pour s'adapter aux dérèglements climatiques, qui doit payer les conséquences de ces catastrophes et s'assurer qu'il sera possible de reconstruire ou du moins d'offrir les moyens aux populations touchées de survivre ? Sur ce plan non plus, aucune avancée notable. L'Australie et le Canada ne veulent pas en entendre parler et les pays industrialisés ne veulent pas s'engager formellement, refusant ainsi d'assumer leurs responsabilités dans les crises climatiques actuelles et à venir.
De la conférence des pollueurs à un Seattle du climat ?
Cela fait des années que les mouvements sociaux et les ONG alertent les gouvernements, l'ONU et l'opinion publique sur l'absence de propositions à la hauteur des enjeux et les risques encourus à donner toujours plus de place et de pouvoir au secteur privé. Une fois encore à Varsovie, ils ont multiplié les initiatives pour obtenir une profonde transformation des négociations en cours. Après avoir manifesté samedi dernier (voir également ces photos), pour exiger une action immédiate à la hauteur des enjeux, ils ont dénoncé publiquement, et dans la rue, le sommet sur le charbon et le climat, tout en multipliant les actions symboliques, ici contre les énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole de schiste) ou encore le nucléaire promue comme une énergie non émettrice de gaz à effets de serre.
« Assez c'est assez » !
Rien n'y fait. Les gouvernements s'écoutent les uns et les autres et tendent l'oreille dès que le secteur privé exige de ne rien faire, s'enferrant dans une inertie dramatique et criminelle. Raison pour laquelle de nombreux mouvements sociaux et oeuvrant pour la justice climatique, les Amis de la Terre International, PACJA, Jubilee South Asia Pacific, les syndicats internationaux, mais aussi Oxfam ou Greenpeace ont décidé de quitter les négociations ce jeudi 21 novembre en milieu de journée pour dénoncer « ce manque d'ambitions et la mainmise du secteur privé sur les négociations ».
Dans leur déclaration, les mouvements annoncent vouloir construire une véritable mobilisaiton citoyenne pour « transformer les systèmes alimentaires et énergétiques au niveau national et mondial, reconstruire un système économique en faillite pour créer une économie durable et à faible intensité de carbone avec des emplois décents et des moyens de subsistance pour tous ». « Sans une telle pression, impossible de faire confiance à nos gouvernements pour qu'ils fassent ce dont le monde a besoin ». Une pression citoyenne que les gouvernements ne veulent pas voir, mais qui est pourtant déjà présente. En parallèle de la conférence de Varsovie, une rencontre des mouvements et réseaux d'Asie du Sud-Est s'est tenue à Bangkok (Thailande) exigeant , des actions urgentes des gouvernements, à la fois du Nord et du Sud, pour faire face à la crise climatique. A Durban (Afrique du Sud), un camp climat vient de se terminer pour s'opposer à des projets destructeurs appuyés par le gouvernement sud-africain et des multinationales.
Et si la France renonçait à accueillir la conférence climat de 2015 ?
Le gouvernement français doit tirer toutes les leçons de ce qui vient de se passer à Varsovie. Alors qu'il est incapable d'introduire une fiscalité écologique juste et efficace et qu'il a repoussé la loi sur la transition énergétique aux calendes grecques, il ferait bien d'inaugurer l'« agenda positif » qu'il appelle de ses voeux : abandonner définitivement l'aéroport de Notre-Dame des Landes, annuler tous les permis concernant manifestement les hydrocarbures de schiste et ne pas en signer de nouveaux, obtenir la fin du financement des énergies fossiles par les banques et mécanismes publics (AFD, CDC, BEI, BERD, Coface, etc) et par les banques privées françaises, etc. Le tout en menant réellement bataille à Bruxelles pour des politiques climatiques à la hauteur des enjeux et qui ne soient pas contradictoires avec l'engagement de diviser par au moins quatre les émissions de GES d'ici 2050.
Par ailleurs, le gouvernement français serait bien intentionné de s'inspirer de l'immense succès d'Alternatiba, le Village des Alternatives organisé à Bayonne le 6 octobre dernier. Pourquoi ne pas encourager et soutenir financièrement les milliers d'associations, de collectivités locales, d'individus qui inventent, expérimentent un large éventail d'alternatives concrètes, donnant à voir ce que pourrait être la transition écologique et sociale dont nous avons besoin ? Ces alternatives, loin d'être dérisoires ou secondaires, rendent visibles des activités créatrices d'emplois, un sens du travail retrouvé, une inventivité pour aller vers des sociétés conviviales, justes, solidaires et réconciliées avec la nature. Elles opposent à l'inertie politique leur détermination à affronter concrètement les intérêts des lobbies et des transnationales qui ont décidé de ne rien changer, comme le prouve leur emprise sur la COP19 à Varsovie.
Nous avons les solutions – Créons 10, 100, 1000 Alternatiba !
Si le gouvernement refusait de s'engager dans cette voie, à quoi sert-il d'envoyer trois ministres à Varsovie ? De quelle légitimité dispose le gouvernement français pour organiser la COP21 de 2015 ? Ne ferait-il pas mieux de remettre les clefs de la conférence climat de l'ONU de 2015 à l'un des pays les plus vulnérables, tel que les Philippines, qui ont cruellement besoin d'un « accord juridiquement contraignant et ambitieux » que ni la France, ni l'Union européenne ne semblent en mesure de faire émerger ? Il est temps d'agir, plus de parler.
Maxime Combes, membre d'Attac France et de l'Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
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