Article paru dans Médiapart
A quoi sert Mélenchon au parlement européen?
25 juillet 2013 | Par Ludovic Lamant
« Emploi fictif » ou « roi fainéant », les critiques pleuvent contre l'eurodéputé Jean-Luc Mélenchon, accusé de déserter l'hémicycle européen. Au-delà des statistiques, quelles marges de manœuvre y a-t-il pour les formations minoritaires ? Le patron du Front de gauche a accepté de répondre, point par point, aux attaques et s'explique : « Je représente les gens qui ne sont pas d'accord avec ce cirque. »
Le débat se déroule le 22 mai à Strasbourg, dans l'hémicycle du parlement européen. Les députés discutent de l'ouverture à venir des négociations de libre-échange entre l'UE et les États-Unis. À l'époque, la bataille sur l'« exception culturelle » fait rage, et les élus français montent au créneau, pour tenter d'infléchir la position du parlement. Henri Weber (PS), Yannick Jadot (EELV) ou Arnaud Danjean (UMP) prennent tour à tour la parole.
Dans la salle, siège 373, Jean-Luc Mélenchon suit avec attention les échanges. Il connaît le dossier, alerte depuis des années sur les risques du « grand marché transatlantique », et ne manque pas, depuis le début de l'année, d'y faire mention dans chaque entretien qu'il donne à la presse française. Mais le patron du parti de gauche ne prend pas la parole à Strasbourg. Ce jour-là, il préfère “tweeter” en silence une série de messages, en direct de la plénière de Strasbourg :
Dans la salle, siège 373, Jean-Luc Mélenchon suit avec attention les échanges. Il connaît le dossier, alerte depuis des années sur les risques du « grand marché transatlantique », et ne manque pas, depuis le début de l'année, d'y faire mention dans chaque entretien qu'il donne à la presse française. Mais le patron du parti de gauche ne prend pas la parole à Strasbourg. Ce jour-là, il préfère “tweeter” en silence une série de messages, en direct de la plénière de Strasbourg :
Extrait du compte Tweeter de Jean-Luc Mélenchon.
De la part de l'un des théoriciens de la « fonction tribunitienne » de l'élu, familier des sorties fracassantes dans l'arène nationale, cette stratégie surprend. « Il distribuait les bons points sur Tweeter, mais que n'a-t-il pris la parole ? » s'interroge Arnaud Danjean, membre du Parti populaire européen (PPE, droite) qui cherchait, ce jour-là, des renforts dans la salle. « Pourquoi ne médiatise-t-il pas ses sorties à Strasbourg, comme le fait un Daniel Cohn-Bendit ? »
Muet lors des séances plénières à Strasbourg, absent lors des réunions de travail à Bruxelles : les critiques pleuvent, depuis plusieurs mois, à l'encontre de l'ancien candidat à la présidentielle, membre de la Gauche unitaire européenne (GUE). À moins d'un an du scrutin européen, le ton s'est durci. « Au parlement, personne, à part les élus français, ne connaît Jean-Luc Mélenchon », tacle José Bové, du groupe des Verts européens.
Pour Catherine Trautmann, la chef de file des socialistes français à Strasbourg, « c'est une sincère déception : il ne développe aucune action au sein du parlement, il est d'emblée négatif, hostile envers l'institution ». Un « emploi fictif », évacuait, l'an dernier, Daniel Cohn-Bendit, co-président des Verts.
Les statistiques, en tout cas, ne jouent pas en sa faveur. D'après les compilations de données de VoteWatch, l'un des sites qui fait autorité au sein de la bulle bruxelloise, Jean-Luc Mélenchon a participé, depuis le début de son mandat, à 63 % des votes qui ont eu lieu en séance plénière à Strasbourg et Bruxelles, décrochant la 733e place du classement (sur un total de 764 élus, depuis l'arrivée des députés croates en ce mois de juillet). Il occupe à peu près le même rang si l'on s'en tient aux taux de présence en plénière.
« Je ne suis pas un fonctionnaire du parlement, je suis un représentant du peuple français au parlement européen. C'est la conception de base de mon mandat », se défend Jean-Luc Mélenchon dans un entretien à Mediapart. « Je n'ai pas à répondre à des critères de performance distribués par une obscure agence de notation (VoteWatch, ndlr), qui décide que le travail d'un parlementaire consiste à lever la main en cadence. »
Muet lors des séances plénières à Strasbourg, absent lors des réunions de travail à Bruxelles : les critiques pleuvent, depuis plusieurs mois, à l'encontre de l'ancien candidat à la présidentielle, membre de la Gauche unitaire européenne (GUE). À moins d'un an du scrutin européen, le ton s'est durci. « Au parlement, personne, à part les élus français, ne connaît Jean-Luc Mélenchon », tacle José Bové, du groupe des Verts européens.
Pour Catherine Trautmann, la chef de file des socialistes français à Strasbourg, « c'est une sincère déception : il ne développe aucune action au sein du parlement, il est d'emblée négatif, hostile envers l'institution ». Un « emploi fictif », évacuait, l'an dernier, Daniel Cohn-Bendit, co-président des Verts.
Les statistiques, en tout cas, ne jouent pas en sa faveur. D'après les compilations de données de VoteWatch, l'un des sites qui fait autorité au sein de la bulle bruxelloise, Jean-Luc Mélenchon a participé, depuis le début de son mandat, à 63 % des votes qui ont eu lieu en séance plénière à Strasbourg et Bruxelles, décrochant la 733e place du classement (sur un total de 764 élus, depuis l'arrivée des députés croates en ce mois de juillet). Il occupe à peu près le même rang si l'on s'en tient aux taux de présence en plénière.
« Je ne suis pas un fonctionnaire du parlement, je suis un représentant du peuple français au parlement européen. C'est la conception de base de mon mandat », se défend Jean-Luc Mélenchon dans un entretien à Mediapart. « Je n'ai pas à répondre à des critères de performance distribués par une obscure agence de notation (VoteWatch, ndlr), qui décide que le travail d'un parlementaire consiste à lever la main en cadence. »
Jean-Luc Mélenchon lors d'une plénière à Strasbourg en 2011.© PE |
Au-delà du débat sur les critères du site VoteWatch (résumé sous l'onglet Prolonger de l'article), l'eurodéputé avance trois arguments pour relativiser son manque d'assiduité. D'abord, certains élus français font pire que lui, à l'instar de Marine Le Pen ou d'Harlem Désir (qui cumule son poste d'élu avec la direction du PS). De fait, toujours selon les statistiques de VoteWatch, les Français en général sont l'une des délégations qui participent le moins aux votes en plénière (voir ce graphique).
Ensuite, lui a fait campagne, pour la présidentielle puis les législatives, en milieu de mandat – ce qui l'a tenu éloigné du parlement, et a fait chuter ses statistiques, comme ce fut le cas, également, pour Eva Joly. Il assure que son taux de présence en plénière est remonté, depuis, à plus de 88 % sur l'année en cours.
Enfin, et c'est le cœur de son argumentation, il rend en permanence des « arbitrages avec des actions de terrain » : « Quand je ne suis pas au parlement, c'est parce que je suis dans les manifestations des retraites, dans les manifestations pour la défense de la sidérurgie… Rien que ces deux mobilisations me coûtent neuf jours de présence en plénière. Je l'assume : je me rends là où je suis le plus utile. »
Aucun rapport, mais des explications de vote
À José Bové qui reprochait au leader du Front de gauche, de ne pas avoir participé, en mars, au vote sur le budget européen pour les années à venir, pourtant décisif pour l'avenir de l'UE, Jean-Luc Mélenchon rétorque ainsi qu'il a choisi de rencontrer, le même jour à Paris, Evo Morales, le président bolivien.« Pourquoi? Parce que je vais discuter avec lui d'un processus révolutionnaire qui est en cours en Amérique latine. Et si je ne vais pas au parlement européen ce jour-là, ce n'est pas parce que je méprise ce qu'il se passe ce jour-là, mais qu'au pied du mur, je rends cet arbitrage. »
« S'immerger dans les questions européennes, cela ne veut pas dire, évidemment, que l'on s'immerge dans les institutions européennes », affirme Francis Wurtz, qui dirigea, pendant dix ans, le groupe GUE au parlement européen. À la différence de Jean-Luc Mélenchon aujourd'hui, lui était devenu une figure très respectée au sein de l'institution. Mais Wurtz ne rechigne pas à défendre, entre les lignes, l'action de l'élu français : « Il faut toujours avoir un pied dans les institutions, et un autre dans la société civile. »
Les séances plénières de Strasbourg ne sont en fait que la face visible de l'iceberg. Le gros du travail parlementaire se déroule de manière plus souterraine, dans les commissions thématiques, à Bruxelles. C'est là, dans ces petits comités, que se livrent les véritables batailles politiques, amendement contre amendement, en amont de la plénière. Et là non plus, le bilan comptable de Jean-Luc Mélenchon, membre de la commission « Affaires étrangères », n'est pas à son avantage.
« S'immerger dans les questions européennes, cela ne veut pas dire, évidemment, que l'on s'immerge dans les institutions européennes », affirme Francis Wurtz, qui dirigea, pendant dix ans, le groupe GUE au parlement européen. À la différence de Jean-Luc Mélenchon aujourd'hui, lui était devenu une figure très respectée au sein de l'institution. Mais Wurtz ne rechigne pas à défendre, entre les lignes, l'action de l'élu français : « Il faut toujours avoir un pied dans les institutions, et un autre dans la société civile. »
Les séances plénières de Strasbourg ne sont en fait que la face visible de l'iceberg. Le gros du travail parlementaire se déroule de manière plus souterraine, dans les commissions thématiques, à Bruxelles. C'est là, dans ces petits comités, que se livrent les véritables batailles politiques, amendement contre amendement, en amont de la plénière. Et là non plus, le bilan comptable de Jean-Luc Mélenchon, membre de la commission « Affaires étrangères », n'est pas à son avantage.
Jean-Luc Mélenchon aux côtés de Jacky Hénin et Younous Omarjee, à Strasbourg, le 22 mai.© GUE |
Sur les trois premières années du mandat, il a signé le procès-verbal de présence à seize reprises, sur un total de 133 réunions, selon le décompte d'un autre site d'observation de l'activité parlementaire, Parlorama. Il a déposé quelques amendements, en 2010, sur certains rapports, dont un texte sur les relations avec l'Amérique latine, ou un autre sur l'Union sur la Méditerranée (rédigé par Vincent Peillon). Mais l'exercice semble avoir tourné court.
Il est élu vice-président de cette commission en juillet 2009, mais démissionne de ce poste en octobre 2011. « Je ne l'ai jamais vu intervenir en plénière, et je ne l'avais vu au bureau de la commission (qui fixe, entre autres, l'agenda des réunions, ndlr )», assure Arnaud Danjean, à la tête de la sous-commission défense, au sein de cette même commission Affaires étrangères.
Surtout, il n'a écrit, depuis son élection, aucun rapport, sur aucun sujet. « On ne m'en a jamais proposé. Il n'y en a pas. Et nous en avons demandé », se justifie-t-il, rappelant, à juste titre, que la GUE, qui n'est que le cinquième groupe au parlement, peine à décrocher des rapports sur des sujets importants. Jean-Luc Mélenchon insiste sur le fait qu'à la différence de bon nombre de ses collègues, il réalise un travail généraliste d'« éducation populaire » sur l'Europe, tandis que d'autres élus se spécialisent dans des commissions aux pouvoirs limités, rédigeant des rapports au devenir incertain.
Il en veut pour preuve les 577 explications de vote – l'immense majorité étant transmises par écrit, après le vote – qu'il envoie au parlement européen pour justifier ses positions (lire des exemples ici ou là). Ce qu'il recycle, ensuite, sur son blog consacré à son activité parlementaire.
« Je ne veux pas rentrer dans les débats sur la comptabilité et la présence », prévient Younous Omarjee, un eurodéputé originaire de la Réunion, proche de Jean-Luc Mélenchon. « Il n'y a pas un seul candidat, pendant la présidentielle, qui n'ait fait autant de pédagogie sur l'Europe. Il a porté les questions européennes au niveau de tous. Il a un rayonnement politique tellement grand, qu'il n'a pas besoin de faire du stakhanovisme parlementaire pour peser. »
« Ce parlement n'est pas un vrai parlement »
« C'est une chose d'avoir une vision de l'Europe, c'est autre chose de faire le boulot pour lequel on a été élu », rétorque José Bové, qui avait voté « non », comme Jean-Luc Mélenchon, au projet de traité constitutionnel européen en 2005. « Nous sommes d'abord des législateurs : c'est l'essentiel de notre travail, et c'est pour cela que l'on a été élus. »
« Très bien de faire de l'éducation populaire sur les questions européennes, mais ce serait encore mieux s'il connaissait bien le parlement européen. Or ce n'est pas le cas », tranche la socialiste Catherine Trautmann. « Il faut dire ce qui ne va pas, mais aussi ce qui fonctionne ici. Si c'est pour présenter une caricature du parlement, je trouve cela dommage. »
Une caricature ? En tout cas, Jean-Luc Mélenchon n'en démord pas : « Ce parlement n'est pas un vrai parlement. » Une enceinte privée du droit d'initiative (c'est à la commission européenne qu'il revient de formuler des propositions de directive), avec des temps de parole trop restreints : « Quand par hasard, on parle, c'est fort peu : une minute, une orgie. Deux minutes ? C'est votre jour de gloire. J'ai parlé trois fois en plénière en cinq ans, trente secondes la première fois, quarante secondes ensuite, j'ai dit stop, on arrête. »
À la différence des présidents de groupe qui disposent, à l'instar d'un Daniel Cohen-Bendit, d'un temps de parole plus étendu en plénière, les députés lambda ont effectivement des temps de parole limités, directement liés à l'importance de leur groupe. La direction de chaque groupe répartit son « nombre de minutes » quotidien, en donnant priorité aux rapporteurs et contre-rapporteurs des textes, ainsi qu'aux élus qui ont déposé des amendements sur le sujet. Selon ces règles, le patron du Front de gauche ne peut que récupérer les miettes de temps de parole.
Jean-Luc Mélenchon à Strasbourg.© GUE |
Au-delà des aspects purement comptables du mandat, l'expérience de Jean-Luc Mélenchon pose une question de fond : est-il possible d'exprimer une parole radicale, au cœur de l'institution strasbourgeoise ? L'hémicycle peut-il engendrer autre chose que des compromis entre les deux grandes familles politiques qui y règnent en maîtres, les chrétiens démocrates du PPE et les sociaux démocrates du S&D ? Les formations minoritaires ne sont-elles réduites qu'à de la figuration ?
À cette question, le patron du Front de gauche répond, sans hésiter, que le jeu politique interne est bloqué. « À l'époque où je siégeais au Sénat, c'était déjà le même argument : on arrive à faire avancer les choses, sur certains points. Mais ce n'est pas vrai du tout, et l'on n'a rien fait avancer du tout. Je ne crois pas que ce parlement soit capable d'autre chose, avec la majorité qu'il a, que de faire des compromis pourris. D'ailleurs, la plupart du temps, les rapporteurs de gauche – certains d'entre eux en tout cas – sont obligés de retirer leur nom du rapport qu'ils avaient écrit, tellement le texte est modifié », estime-t-il.
L'ancien sénateur fait notamment allusion aux déconvenues de Liêm Hoang-Ngoc, eurodéputé socialiste français, tenant de l'aile gauche du parti, qui s'est trouvé contraint, en cours de mandat, de retirer son nom de l'un des rapports qu'il avait initialement rédigé, dans le cadre du « 6-pack », cette batterie de mesures posant les bases d'une gouvernance économique européenne.
Au sein de la GUE, des élus ont toutefois adopté des stratégies moins jusqu'au-boutistes que celles de Jean-Luc Mélenchon. C'est par exemple le cas de Marisa Matias, une jeune élue du Bloco de Esquerda, au Portugal, qui s'est emparée, l'an dernier, d'un rapport sur un sujet décisif pour l'avenir de l'UE – un bilan annuel de l'action de la Banque centrale européenne (BCE).
Il est plutôt inhabituel qu'une élue de la GUE – le cinquième parti du parlement par le nombre de députés – obtienne un rapport sur un dossier aussi sensible. Preuve que des marges de manœuvre existent, dans les couloirs du parlement. « Nous n'avons pas le choix, il faut prendre toutes les possibilités qui sont à notre disposition, pour mener la bataille, et obtenir des solutions aussi concrètes que possible », explique-t-elle à Mediapart.
D'autres stratégies existent au sein du groupe GUE
Cette Portugaise est parvenue à faire adopter, d'extrême justesse, son rapport au contenu très critique, lors d'un vote au sein de la commission des affaires économiques et monétaires (23 voix pour, 22 voix contre). « Symboliquement, c'est énorme », juge-t-elle. Mais le texte a été sérieusement lissé, quelques mois plus tard, lors du débat en plénière à Strasbourg. Au terme d'un an de bataille, Marisa Matias a finalement choisi de retirer son nom du rapport, et d'appeler à voter contre : des lignes rouges qu'elles s'étaient fixées, avaient été franchies.
L'élue portugaise Marisa Matias au parlement européen en 2012.© PE. |
Certains, à l'instar de Jean-Luc Mélenchon, verront dans cet épisode la preuve qu'il ne sert pas à grand-chose, pour la GUE, d'accepter des rapports au parlement, puisqu'ils sont systématiquement détricotés par la suite. D'autres insisteront au contraire sur le fait que Marisa Matias ait remporté une première bataille en commission, ce qui devrait permettre à cette élue portugaise d'être plus influente dans les débats à venir. « C'est une manière d'entrer dans le jeu, de prendre ses marques… Si vous travaillez, quel que soit votre groupe, vous serez toujours respecté », analyse de son côté la socialiste Catherine Trautmann.
Des eurodéputés français du Front de gauche ont eux aussi choisi d'écrire des rapports, et de monter au créneau en commission, bref, de donner le change en interne. C'est le cas des communistes Patrick Le Hyaric et Marie-Christine Vergiat. Preuve d'un certain malaise lorsqu'il s'agit d'évoquer le bilan de leur leader à Strasbourg, aucun des deux n'a souhaité répondre à nos questions. Il arrive d'ailleurs régulièrement, à Strasbourg, que Jean-Luc Mélenchon vote différemment de ses collègues communistes. Ce fut le cas, dans l'actualité récente, sur le déblocage des aides du « fonds d'ajustement à la mondialisation », censées faciliter la reconversion d'ouvriers licenciés (l'ancien candidat à la présidentielle s'y oppose).
Jean-Luc Mélenchon insiste également sur le fait que son action est limitée, parce qu'il appartient à l'un des plus petits groupes du parlement. Mais certains, par exemple chez les Verts européens, sont convaincus que les majorités au parlement sont bien plus souples qu'il n'y paraît. Si la droite libérale impose ses vues en matière économique, le jeu serait plus ouvert pour la gauche, par exemple sur les questions des droits de l'homme, des libertés individuelles ou encore de l'écologie.
L'avancée d'un rapport très critique sur la Hongrie de Viktor Orban, adopté début juillet à Strasbourg au prix de quelques compromis, le prouve. Tout comme le rejet spectaculaire du traité anti-contrefaçon ACTA, l'an dernier.
Là encore, Jean-Luc Mélenchon réfute l'analyse : « C'est le piège dans lequel les gens tombent : accepter de discuter, et d'entrer dans un jeu qui tourne toujours mal. La méthode du parlement européen est toujours la même : dans le meilleur des cas, vous avez un baril de miel, mais dans tous les cas, vous avez une cuillère de goudron. Et donc de toute façon, vous vous tapez la cuillère de goudron. On peut tout dire sur les libertés publiques et les droits de l'homme, mais à la fin, il est fait référence à la liberté du commerce, et à la concurrence non faussée. Et vous l'avez dans l'os : ou vous votez tout en même temps, ou vous ne votez pas… Comme il est constitué, ce parlement est incapable de résister à quelque injonction que ce soit, venant des États-Unis d'Amérique ou du grand capital. »
Mais pourquoi, alors, vouloir défendre un second mandat à Strasbourg l'an prochain, si l'institution est viciée de l'intérieur ? « Dans ces cas-là, il n'a qu'à pas aller au parlement », estime José Bové. Abandonner ce siège d'eurodéputé, et faire une croix, au passage, sur les 6 200 euros net mensuels (à quoi s'ajoutent 304 euros par jour de présence, et 4 300 euros de frais généraux, dont l'usage n'est pas contrôlé) ? Se priver, aussi, d'une manne financière qui lui permet, comme tant d'autres eurodéputés, d'employer comme assistants certains cadres de son parti ?
Réponse de l'intéressé : « J'ai déjà connu cela au Sénat. J'étais contre le Sénat tout en étant sénateur. Il y a toutes sortes de gens pour qui il y aurait une forme de contribution minimale : puisque je siège ici, il faudrait que je dise que c'est bien. Des camarades qui étaient contre le Sénat expliquaient soudainement, une fois devenus sénateurs, les merveilles du bicamérisme. Je ne veux pas m'exposer à ce ridicule. Et ceux qui me demandent : “mais qu'est-ce que vous faites-là?”… Ah bon, c'est nouveau ? Il faut être dans une assemblée que si l'on est d'accord avec elle ? Je représente les gens qui ne sont pas d'accord avec ce cirque. C'est comme cela que je conçois mon mandat. »
Du Sénat au parlement européen, la même déconvenue ?
Au fil des deux entretiens qu'il nous a accordés, l'expérience de ces années de sénateur remonte sans cesse à la surface. Comme si le Sénat et le parlement européen appartenaient à la même famille d'assemblées obsolètes, sans pouvoir, en bout de course. Il faudrait donc aussi revenir sur les enseignements de cette période, pour comprendre pourquoi Jean-Luc Mélenchon reste muet à Strasbourg.
Durant ses années de sénateur (de 1986 à 2010, avec une interruption de quatre ans), Jean-Luc Mélenchon a eu toutes les peines du monde à prendre la parole au nom du groupe socialiste. Isolé, il n'a jamais été l'orateur principal du groupe, durant ses trois mandats, et se plaint aujourd'hui, avec le recul, de ne pas avoir eu « le moindre mètre cube d'espace ». La situation semble se répéter à Strasbourg : lorsqu'il veut intervenir en plénière, l'ancien socialiste doit demander la parole à la présidente du groupe, l'Allemande Gabriele Zimmer, élue de Die Linke. Bref, en passer par l'appareil du groupe, qu'il n'apprécie guère.
Durant ses années de sénateur (de 1986 à 2010, avec une interruption de quatre ans), Jean-Luc Mélenchon a eu toutes les peines du monde à prendre la parole au nom du groupe socialiste. Isolé, il n'a jamais été l'orateur principal du groupe, durant ses trois mandats, et se plaint aujourd'hui, avec le recul, de ne pas avoir eu « le moindre mètre cube d'espace ». La situation semble se répéter à Strasbourg : lorsqu'il veut intervenir en plénière, l'ancien socialiste doit demander la parole à la présidente du groupe, l'Allemande Gabriele Zimmer, élue de Die Linke. Bref, en passer par l'appareil du groupe, qu'il n'apprécie guère.
Des élus du groupe GUE à Strasbourg - Marie-Christine Vergiat au premier plan, Jean-Luc Mélenchon au fond.© GUE |
Si la direction de la GUE est dominée par les Allemands, ce n'est un secret pour personne que Jean-Luc Mélenchon s'entend mieux avec les élus d'Europe du Sud – les Espagnols d'Izquierda Unida ou les Portugais du Bloco de Esquerda. D'abord parce que Die Linke s'est parfois montré hésitant sur des dossiers stratégiques aux yeux de Jean-Luc Mélenchon, comme le projet d'accord de libre-échange avec les États-Unis. Ensuite parce qu'il est persuadé que c'est dans l'Europe méditerranéenne qu'il peut surgir des processus qui ressemblent, de près ou de loin, aux mouvements un temps à l'œuvre en Amérique latine.
« Je peux me tromper, mais je doute que le Danemark entre dans un processus de reconstitution de la gauche. Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est que l'Europe du Sud souffre le martyre, et que c'est là que nos forces sont renaissantes. C'est de l'observation », assure Jean-Luc Mélenchon, qui s'est rendu en Espagne en début d'année.
Le silence du leader de Front de gauche en plénière s'explique donc aussi par ce rapport de forces interne : il appartient certes à un groupe minoritaire, mais il est surtout minoritaire au sein de ce collectif, et peine à construire des relations de travail fructueuses avec les Allemands à sa tête. D'ici le renouvellement des postes de 2014, la situation ne devrait pas changer.
Au fond, tout se passe comme si l'échelon européen – l'Europe des 28 – n'était pas l'espace de prédilection de l'ancien candidat à la présidentielle. « Il est resté bloqué sur une approche nationale », juge Catherine Trautmann. Il semble en fait partagé entre une défense de l'État-nation franco-français et des inspirations internationalistes, qui débordent de loin le cadre européen. D'un côté, il ne cesse de plaider haut et fort pour une certaine idée de la France. C'est d'ailleurs pour cette raison – ne pas nuire aux intérêts de la France à l'étranger – qu'il a décidé, assure-t-il, de ne pas intervenir, lors de la venue de François Hollande au parlement européen, le 5 février. Certains de ses adversaires politiques – Daniel Cohn-Bendit ou Marine Le Pen –, ce jour-là, ne se sont pas privés de l'occasion, pour critiquer le président français.
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De l'autre, il fait preuve d'un internationalisme qui l'amène à suivre de près les bouillonnements dans le Sud de la Méditerranée, ou en Amérique latine, où il retrouve un imaginaire politique qui lui parle davantage. Mais l'UE, dominée par les pays du Nord de l'Europe, à commencer par l'Allemagne, est un continent étranger pour Jean-Luc Mélenchon, où il peine à imaginer les batailles politiques qu'il pourrait y mener. Rien à voir avec son excitation à observer les basculements en cours tout autour de la Méditerranée.
Pour l'heure, Jean-Luc Mélenchon est impatient de livrer bataille pour les européennes. Il a déjà affiché l'objectif : passer devant les socialistes, en particulier dans sa circonscription. Le bilan de son mandat 2009-2014 ne l'aidera pas forcément à y parvenir. Mais peu importe : cela ne l'empêchera pas de tirer à boulets rouges sur le bilan des « solfériniens » au pouvoir, quitte à reléguer au second plan certains enjeux européens, qui risqueraient de diviser un peu trop, entre communistes et partisans du parti de gauche.
Pour l'heure, Jean-Luc Mélenchon est impatient de livrer bataille pour les européennes. Il a déjà affiché l'objectif : passer devant les socialistes, en particulier dans sa circonscription. Le bilan de son mandat 2009-2014 ne l'aidera pas forcément à y parvenir. Mais peu importe : cela ne l'empêchera pas de tirer à boulets rouges sur le bilan des « solfériniens » au pouvoir, quitte à reléguer au second plan certains enjeux européens, qui risqueraient de diviser un peu trop, entre communistes et partisans du parti de gauche.
J'ai réalisé un premier entretien avec Jean-Luc Mélenchon le 25 juin, à Paris, d'un peu plus de deux heures, sur son bilan au parlement européen. À sa demande, afin de « préciser des choses », nous nous sommes revus le 8 juillet, à Paris.
Les six autres eurodéputés qui prennent la parole dans l'article ont été interviewés en face à face, dans leur bureau à Bruxelles, sur la période juin-juillet. À l'exception de José Bové et Francis Wurtz (par téléphone).
Plusieurs élus ont refusé de répondre à nos questions, dont Patrick Le Hyaric, Marie-Christine Vergiat (Front de gauche) et Tokia Saïfi (UMP, et membre de la commission Affaires étrangères).
Les six autres eurodéputés qui prennent la parole dans l'article ont été interviewés en face à face, dans leur bureau à Bruxelles, sur la période juin-juillet. À l'exception de José Bové et Francis Wurtz (par téléphone).
Plusieurs élus ont refusé de répondre à nos questions, dont Patrick Le Hyaric, Marie-Christine Vergiat (Front de gauche) et Tokia Saïfi (UMP, et membre de la commission Affaires étrangères).
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