Au moment de célébrer le triste anniversaire des 25 ans de Tchernobyl, une autre catastrophe a jeté sa lumière froide sur les limites de notre maîtrise collective du feu nucléaire. En 1986, le contexte de guerre froide et les réassurances artificielles prodiguées à l'opinion publique avaient pu prétendre minimiser la portée de cet accident gravissime : les Soviétiques ne se préoccupent pas de sûreté nucléaire, leur système est désuet et non fiable, le nuage s'est dispersé avant d'atteindre le territoire français...
Aujourd'hui, le contexte a changé, les Japonais ont plutôt la réputation d'être fiables et le bêtisier de Tchernobyl n'a plus cours. Assurément, la catastrophe de Fukushima qui se poursuit crée une rupture que nous voulons pérenne dans notre relation au risque nucléaire. Elle impose de placer enfin la démocratie et la citoyenneté face à la technologie la plus dangereuse du monde.
De Tchernobyl à Fukushima, pourtant, il semble que nous n'ayons rien appris. Car le débat principal, le seul auquel les Français pourraient réellement participer, est escamoté, enfoui dans ce bavardage ininterrompu entre experts plus ou moins péremptoires. Comme l'avoue honnêtement le président de l'Autorité française de sûreté nucléaire, André-Pierre Lacoste (
Le Monde du 31 mars),
" personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais un accident grave en France ". Donc le seul débat qui devrait avoir lieu dans ce pays, c'est celui de savoir si oui ou non les Français veulent assumer collectivement ce risque.
Les Français veulent-ils ou non, en connaissance de cause, entretenir sur le territoire national le risque d'une catastrophe nucléaire ? Et ce débat ne se réglera ni à coups d'expertises concurrentes ou vaguement contradictoires ni à coups de sondages plus ou moins fiables. C'est un débat fondamental pour une communauté citoyenne, celui de se mettre d'accord sur le niveau de risque que ses membres sont collectivement prêts à assumer.
Nous n'avançons pas masqués : nous défendons la sortie progressive du nucléaire, qui passe selon nous par la fermeture immédiate des centrales les plus obsolètes et situées en zones à risque, comme Fessenheim, l'arrêt du chantier EPR de Flamanville et le non-renouvellement des centrales sur la base de leur durée de vie actuelle. Mais cette sortie doit relever d'un choix démocratique.
Même un ministre de droite peut comprendre ça. Du moins s'il est allemand. C'est ainsi que le ministre de l'environnement, Norbert Röttgen, déclarait dans le magazine
Spiegel du 23 avril :
" Si à court terme le coût de l'énergie nucléaire semble bon marché, il est bien trop élevé en cas de catastrophe ", pour conclure en disant que la " responsabilité devant le futur " impose de
" repenser entièrement la sécurité " à l'aune des erreurs humaines et des forces incontrôlables de la nature. Un tel débat n'a jamais eu lieu en France.
L'atome est le plus durable des compromis politiques passés dans l'histoire de la France d'après guerre - plus encore que les acquis du Conseil national de la Résistance, la construction européenne ou le rôle de l'éducation nationale. Cette persistance à refuser le débat tient à des raisons historiques, technocratiques et politiques : dans le contexte de guerre froide entre deux blocs antagonistes, l'indépendance et la grandeur nationales passent par l'acquisition de l'arme nucléaire et la modernisation technocratique du pays, et l'impact en termes d'emploi garantissant le soutien des syndicats et de la gauche. Jusqu'à l'irruption de l'écologie dans le jeu politique, ce " consensus gaullo-communiste " n'avait jamais été remis en question par aucun mouvement politique constitué.
Aujourd'hui, il est temps que la société française s'empare de cette question. S'il est une leçon à retenir de Fukushima, c'est qu'on ne peut plus laisser prendre des décisions qui engagent à ce point la santé et la sécurité de tous sans un débat national aussi large et ouvert que possible. C'est pour cette raison que nous pensons qu'il faut formellement poser aux Français la question suivante :
" Voulez-vous renouveler le parc nucléaire national par la prolongation ou la construction de centrales ? "
Si le " non " est majoritaire, la sortie progressive du nucléaire s'imposerait et libérerait la créativité pour un autre mix énergétique " zéro risque ", nous permettant à la fois de sortir du risque nucléaire tout en luttant contre le risque climatique.
Un référendum, c'est la légitimité d'un débat citoyen qui permet de faire descendre la discussion dans les familles, les cafés, la rue - au lieu de laisser les experts ministériels et les lobbies dans un dialogue plus ou moins médiatisé. Un référendum, c'est aussi l'assurance d'une certaine continuité, évitant le risque d'une majorité versatile pour des politiques qui doivent être menées à long terme.
Enfin, c'est le seul moyen de mettre en question le " consensus atomique ", qui nous a fait prendre tant de retard dans le développement des énergies renouvelables, les économies et l'efficacité énergétiques. Car un des enjeux majeurs du débat, c'est de ne pas laisser les Français seuls face à l'explosion de leurs factures d'électricité et face à la précarité énergétique. Il serait stupide aussi de sacrifier les centaines de milliers d'emplois que peut générer une révolution énergétique fondée sur le durable, le renouvelable et la sobriété.
Et puisque se profilent à l'horizon des échéances politiques majeures, disons-le clairement : un accord programmatique avec le PS ne saurait se résumer à un compromis sémantique sur la sortie du " tout " nucléaire ou de la " dépendance " au nucléaire. Ce référendum doit figurer en priorité dans tout accord final.
Il en va de notre responsabilité politique commune de proposer des scénarios crédibles d'alternative et de sortie du nucléaire aux Français. Renan disait que la nation, c'est un plébiscite quotidien dans lequel les citoyens expriment leur voeu de vivre ensemble. Sur des sujets autrement plus graves et dangereux que l'identité nationale, il serait bon pour une fois de donner voix à l'expression souveraine et directe des électeurs.
José Bové, Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly,
députés européens ; Nicolas Hulot, président de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire