Menaces, insultes…
en Ariège,
écologistes et agriculteurs
irréconciliables
20 octobre 2022
Rassemblement en soutien
aux présidents de syndicats agricoles et de fédérations de chasseurs,
qui ont comparu le 18 octobre 2022 à Foix, en Ariège. - © Simon Renou / Reporterre
À Foix, en Ariège, deux visions de la ruralité se sont affrontées le 18 octobre, dans la rue et devant le tribunal. D’un côté, chasseurs et éleveurs anti-ours. De l’autre, écologistes et défenseurs de l’animal.
Foix (Ariège), reportage
Six présidents de syndicats agricoles et de fédérations de chasseurs ont comparu le 18 octobre pour leur manifestation du 5 mai 2018, émaillée de violences, contre un rassemblement d’écologistes. Poursuivis pour « faits d’entrave concertée » et « menaces à l’exercice de la liberté de réunion », les six prévenus avaient appelé leurs adhérents ainsi que les fédérations des départements voisins à venir manifester leur soutien.
Près de 2 000 personnes en gilet orange se sont ainsi réunies sous la grande halle du centre-ville de Foix. Centre-ville bouclé par la gendarmerie, tracteurs garés en biais au milieu des avenues… « Les écolos, c’est nous », pouvait-on lire sur l’un d’entre eux. Au cœur des tensions entre ces manifestants et les associations écologistes : la présence de l’ours dans les Pyrénées, mais également les retenues d’eau pour l’irrigation ou encore l’installation de méthanisateurs.
Face à la foule, Clémence Biard, présidente des Jeunes agriculteurs d’Ariège, a ouvert le bal : « Je ne baisserai pas les yeux, l’élevage est mon métier, ma passion. » Cette exploitante d’une ferme bovine à Léran et Péreille a ensuite dénoncé les agissements de « ces écologistes qui empêchent les jeunes de s’installer sur le territoire ». Cédric Munoz, président de la FDSEA, la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricole, a complété sa version du tableau : « Éoliennes, méthaniseurs, barrages, tout est remis en cause par ces gens qui bien souvent ne font rien et vivent de nos impôts. »
Jean-Pierre Mirouze n’a pas non plus mâché ses mots : « Ces escrologistes, amateurs, nuisibles, je leur dis merde. » Celui qui est aussi maire de Saint-Bauzeil et président de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine ariégeois-pyrénéen (Aspap) a subi deux attaques d’ours ces dernières années, perdant des centaines de brebis. Jean-Luc Fernandez de la fédération des chasseurs d’Ariège a ajouté : « Que veulent-ils en faire de ce monde rural ? Une réserve d’Indiens ? » À ces mots les cors de chasse ont retenti, un pétard a été lancé. En Ariège, la fracture entre éleveurs et écologistes semble irréparable.
Menaces, vitres brisées...
Du côté des écologistes, les cinq associations ariégeoises avaient appelé leurs adhérents à ne pas se rassembler pour « éviter tout nouveau 5 mai 2018 ». À l’époque, une réunion de quinze associations écologistes avait été perturbée par plusieurs centaines de militants anti-ours. La présence notamment des associations Sea Shepherd, L214 et des pro-ours Ferus avait enflammé chasseurs et agriculteurs locaux. « Nous subissons les manifestations violentes de ces mêmes structures, parfois organisées par les mêmes personnes, depuis plus de vingt ans », a ainsi indiqué l’association Pays de l’Ours — Adet dans un communiqué de presse.
« Il y a eu un avant et un après 5 mai 2018, a témoigné à la barre Kathy Wersinger, conseillère régionale ariégeoise, qui avait coorganisé l’événement écolo. Nous avons reçu des menaces, des participants ont été poursuivis jusque dans leur voiture, dont les vitres ont explosé sous les coups de bâton. » Un film tourné par la Gazette ariégeoise, diffusé lors du procès, montre les intimidations qu’ont subies les militants écologistes. Pour les associations, ce fut une véritable scène de guerre, qui les a contraintes à se confiner toute la journée dans la salle des fêtes. « Nous avons toujours été ouverts au dialogue, a déploré Kathy Wersinger. Jamais je n’aurai imaginé que des associations seraient interdites de s’exprimer ici, en Ariège. »
Au procès, l’affaire a démontré l’hypersensibilité de certains acteurs locaux sur les questions écologistes. « Ce qui se joue aujourd’hui, c’est deux visions de la ruralité irréconciliable », a expliqué la présidente du conseil départemental, Christine Téqui. Le 5 mai 2018, alors coprésidente du département, elle manifestait du côté des ruraux en colère. Pour Christine Téqui, « il n’y a pas eu de menace, seulement des expressions fortes de colère et de désarroi ». Le président de séance lui a rappelé les mots menaçants qui ont été proférés par les organisateurs de cette manifestation sauvage : « La prochaine fois, nous traverserons la rivière. » Les prévenus encourent jusqu’à trois ans de prison et 42 000 euros de dommages et intérêts. Les associations plaignantes ont demandé jusqu’à 90 000 euros d’indemnités. Le jugement a été mis en délibéré au 29 novembre prochain.
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