Ce blog rassemble, à la manière d'un journal participatif, les messages postés à l'adresse lemurparle@gmail.com par les personnes qui fréquentent, de près ou de loin, les cafés repaires de Villefranche de Conflent et de Perpignan.
Mais pas que.
Et oui, vous aussi vous pouvez y participer, nous faire partager vos infos, vos réactions, vos coups de coeur et vos coups de gueule, tout ce qui nous aidera à nous serrer les coudes, ensemble, face à tout ce que l'on nous sert de pré-mâché, de préconisé, de prêt-à-penser. Vous avez l'adresse mail, @ bientôt de vous lire...

BLOG EN COURS D'ACTUALISATION...
...MERCI DE VOTRE COMPREHENSION...

lundi 17 octobre 2022

“Je crains que d’ici vingt ans, la culture et le peuple ouïghours n’aient complètement disparu”

 

Éric Darbré, réalisateur : 

“Je crains que 

d’ici vingt ans, 

la culture et le peuple ouïghours n’aient 

complètement disparu”

 

Etienne Labrunie

Publié le 13/10/22

 


Le journaliste, dont le puissant documentaire “Ouighours : mécanique d’un génocide annoncé” est à voir en avant-première sur Télérama.fr, se bat depuis plus de vingt ans pour dénoncer l’épuration ethnique de ce peuble à majorité musulmane par le gouvernement chinois. Entretien.

 Fin septembre, le Haut Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU a dénoncé les « crimes contre l’humanité » du pouvoir chinois au Xinjiang (au nord-ouest de la Chine) contre le peuple ouïghour. Une étape très tardive de la reconnaissance de ce que beaucoup de pays (dont la France) qualifient officiellement de génocide. Éric Darbré, journaliste et documentariste, se bat depuis plus de vingt ans pour dénoncer l’épuration ethnique visant ce peuple turcophone à majorité musulmane sunnite. Dans Ouïghours, mécanique d’un génocide annoncé, diffusé le 18 octobre sur LCP-AN et que Télérama propose de voir en avant-première, le reporter documente une répression d’une violence extrême dans et à l’extérieur du pays. Une remarquable enquête dévoilant notamment les chantages insupportables exercés contre les exilés dont une partie de la famille est restée au pays. Un film fort, son troisième sur la cause ouïghoure, dont Éric Darbré a fait un combat personnel.

Comment est né ce troisième documentaire ?

Tout est parti d’un ami ouïghour qui vit en Allemagne et qui m’informe régulièrement de ce qui se passe. Il y a deux ans environ, il m’apprend qu’il vient d’être contacté par un transfuge de la police criminelle chinoise qui a fait défection et a demandé l’asile politique en Allemagne. Ce dernier veut me parler et les services secrets allemands sont d’accord. Je me rends en Allemagne pour une première interview de cet homme, qui me confie des choses incroyables. J’ai alors décidé de partir de cette histoire pour convaincre une chaîne de télé. En vain. Les semaines passent et mon ami en Allemagne propose une interview de l’ancien policier à CNN, qui la met à l’antenne. Sans surprise, elle fait beaucoup de bruit et me rappelle au bon souvenir de certaines télés qui avaient refusé le sujet. Cette perte de temps est le drame de ma vie.

Dans votre film, il est beaucoup question de la diaspora ouïghoure, victime elle aussi de répression. Vous vous êtes procuré plusieurs vidéos hallucinantes qui la documentent. Comment les avez-vous obtenues ?

Depuis vingt-cinq ans, date de mon premier voyage au Xinjiang, je n’ai jamais arrêté de suivre les Ouïghours. Avec le temps, j’ai noué des liens très forts avec de nombreux membres de cette diaspora. Je crois avoir gagné leur confiance. Chose compliquée car, à raison, ils sont très méfiants, redoutant notamment les espions. Pour ce film, je suis donc allé à la rencontre de familles réfugiées en Allemagne, en Turquie, en Norvège et au Kazakhstan. Beaucoup m’ont montré leurs vidéos personnelles et m’ont aiguillé vers d’autres témoignages et d’autres preuves filmées. Par le nombre, je voulais prouver qu’il ne s’agissait pas de cas isolés mais d’une méthode instaurée par le pouvoir chinois. À chaque fois, celui-ci met au défi de prouver que des camps d’internement ou une quelconque répression existent. Ces vidéos en apportent des preuves irréfutables.

“Leur nom n’imprégnait pas. Je me souviens qu’en 2007 même Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, s’est trompé en [le] prononçant.

Comment expliquez-vous ce silence médiatique autour de ce que de nombreux pays, dont la France, qualifient de génocide ?

Au début des années 1990, on parlait beaucoup de la répression des Tibétains qui a mobilisé beaucoup de monde. Elle choquait d’autant plus qu’on s’en prenait à des personnages religieux et adeptes de la non-violence. Moi j’arrivais avec mes Ouïghours turcophones, musulmans, qui posaient des bombes dans un endroit que personne ne connaissait. Je ne peux pas compter le nombre de fois où je me suis entendu dire : « Tes “yogourts” on s’en fout ! » Même leur nom n’imprégnait pas. Je me souviens qu’en 2007 même Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, s’est trompé en prononçant leur nom… Je me suis battu régulièrement, et je lutte encore aujourd’hui pour rompre ce silence assourdissant.


Comment expliquez-vous la léthargie de la communauté internationale ?

Il y a plusieurs raisons. D’abord la situation de la Chine, sa superpuissance depuis plus de vingt ans. Qui oserait s’attaquer à leur politique intérieure ? Les intérêts économiques surpassent tout. Ensuite, il y a eu les attentats de 2001. Dans un contexte de lutte contre le terrorisme, la Chine a revendiqué son droit à mater ses « extrémistes musulmans » présentés comme des terroristes et placés sur la liste noire du terrorisme avec l’aval des États-Unis. Il y a quatre ans, ce sont ces mêmes Américains, par la voix de Mike Pompeo, alors chef de la diplomatie américaine, qui ont évoqué un génocide. Cette fois, il était question pour l’administration Trump d’instrumentaliser la cause ouïghoure dans sa lutte commerciale contre la Chine.

“Je revendique d’avoir mené ce combat contre un silence parfois très démoralisant. En revanche, je refuse le terme de militant.”

Vous concluez ce film par « ce documentaire est le minimum que je pouvais faire ». Il s’agit d’un combat personnel ?
 

Quand j’ai commencé le métier de journaliste, c’était pour être utile. Le Xinjiang a été mon premier reportage en 1996. J’ai alors rencontré un ancien prisonnier des camps. À la fin de notre conversation, il m’a fait promettre de raconter ce qui se passait dans son pays et de ne pas les laisser disparaître dans le silence. J’ai toujours essayé d’être fidèle à cette parole, même si j’ai plusieurs fois eu l’impression de la trahir parce que je n’ai pas réussi à me faire entendre. Je revendique d’avoir mené ce combat contre un silence parfois très démoralisant. En revanche, je refuse le terme de militant. J’essaye d’avoir le recul nécessaire. J’ai dit et écrit que les Ouïghours ont tué des gens au cours d’attentats. J’ai vraiment essayé de traiter toutes les informations en étant le moins manichéen possible. Toutefois, je ne peux pas m’être impliqué autant sur un sujet sans y laisser une part de moi-même.

Peut-on garder un espoir pour le peuple ouïghour ou est-il amené à disparaître ?


C’est tragique, mais le pire scénario que j’imaginais est en train de se réaliser. La première fois que je suis allé au Xinjiang, la région était officiellement bilingue et l’écriture en caractères arabes dominait sur les panneaux l’écriture chinoise. Puis les proportions se sont inversées, et désormais il n’y a plus que des inscriptions en langue chinoise. Petit à petit, la langue, la culture ouïghoures sont effacées dans le but très clair d’éradiquer leur civilisation. Les stérilisations, les avortements forcés ou les captations d’enfants ne répondent à rien d’autre. Il ne s’agit pas de tuer une population mais d’empêcher son renouvellement générationnel. Je crains que d’ici vingt ans, la culture et le peuple ouïghours n’aient complètement disparu. Par ailleurs, le pouvoir ne lâchera pas le Xinjiang, une immense région de Chine riche en pétrole et en gaz et porte d’entrée vers l’Ouest. Nous nous sommes réveillés trop tard.

_______________

À voir


Ouïghours, mécanique d’un génocide annoncé, documentaire d’Éric Darbré (France, 2022). 52 mn. Inédit. À voir en avant-première sur télérama.fr et le 18 octobre, à 20h30, sur LCP-AN.

À lire


Les Ouïghours, un peuple qui refuse de mourir. Bande dessinée d’Éric Darbré (scénariste) et Eliot Franques (dessinateur), éd. Marabulles, 160 p., 20,95 €.

________________

Etienne Labrunie

 

Source : https://www.telerama.fr/ecrans/eric-darbre-realisateur-je-crains-que-d-ici-vingt-ans-la-culture-et-le-peuple-ouighours-n-aient-completement-disparu-7012497.php

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire