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jeudi 21 mai 2020

Alain Damasio, sur le confinement : « Nous sommes encagés comme des animaux de zoo, avec nourriture et fenêtre sur monde virtuel » L’écrivain français de science-fiction, auteur des « Furtifs », a répondu à vos questions sur les enseignements que l’anticipation peut apporter aux sociétés confinées.

Alain Damasio, 

sur le confinement : 

« Nous sommes encagés 

comme des animaux de zoo, 

avec nourriture et 

fenêtre sur monde virtuel »


L’écrivain français de science-fiction, auteur des « Furtifs », a répondu à vos questions sur les enseignements que l’anticipation peut apporter aux sociétés confinées. 


Publié le 30 avril 2020 



 A Montpellier, des habitantes de la cité Gély, quartier gitan situé près du centre-ville. SANDRA MEHL POUR « LE MONDE »



Dans un extrait du tchat avec nos internautes, Alain Damasio, auteur de La Zone du Dehors (Cylibris, 2001), La Horde du Contrevent (La Volte, 2004) ou plus récemment Les Furtifs (La Volte, 2019), dénonce « la réaction disciplinaire et contrôlante de l’Etat » face à la pandémie de Covid-19 et appelle chacun à « ne pas sacrifier nos libertés à la peur ».

Retrouvez l’intégralité de notre tchat sur le live « Nos vies confinées » : Frankenstein, livres jeunesse ou de chevet : nos conseils pour un week-end prolongé confiné
 

Kamehameha : Dans « Les Furtifs », vous parlez d’un monde dystopique, mais il n’est pas compliqué d’imaginer notre monde tourner ainsi si l’on n’y fait pas attention. Auriez-vous pu imaginer la période actuelle ?


Alain Damasio : J’aurais pu l’imaginer, comme un auteur de SF peut extrapoler sur une catastrophe nucléaire, un réchauffement climatique extrême, une pluie de météores, on peut toujours imaginer. Ce qui est le plus surprenant, c’est toujours le côté irrationnel, voire absurde du réel. Quand tu anticipes, tu rationalises ton anticipation pour la rendre le plus crédible possible. Tu mets en place des systèmes de règles et de résonances internes à l’univers, des façons logiques pour le pouvoir d’agir. Et le réel surgit, et tu as un Trump, et ça, personne ne peut l’anticiper à ce degré de folie ubuesque, de stupidité aberrante, de cynisme total, d’égocentrisme abject. C’est un hapax, Trump. C’est un personnage presque impossible à créer.

Ce que j’aurais pu imaginer facilement, c’est la réaction disciplinaire et contrôlante de l’Etat face à cette pandémie, les drones, le flicage numérique, le tracking, l’aérodynamique de la peur si fortement utilisée. Ces fonctionnements sont classiques et rationnels, ce sont de vieilles ficelles enroulées sur une nouvelle bobine clinquante, un peu techno, un peu moderne.

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Philippe : L’actualité met un sacré coup à la furtivité. Le débat sur le traçage n’a jamais été aussi présent. On se moquait des Chinois, mais on s’approche de leur modèle. Comment garder des bribes de démocratie dans ce nouveau monde ?


En refusant de sacrifier quoi que ce soit à la peur. Tout ce qui se fait au nom de la peur est suspect, selon moi. On doit lutter à tous les niveaux : juridiquement, artistiquement. Concrètement en refusant d’utiliser l’appli, politiquement en manifestant. La furtivité n’est jamais une évidence, elle se conquiert. C’est une liberté qu’il nous faut arracher dans un contexte ultra-sécuritaire.

BouledeChat : Dans « Les Furtifs », le monde (enfin la France au moins) est divisé en différentes zones, un système de surveillance de masse permet de vérifier que ceux qui n’y ont pas droit n’aillent pas dans les lieux réservés aux élites. Avec l’application StopCovid, la classification des départements en zones rouges et vertes… on se croit parfois en plein roman !

 

Ça ne fait pas rêver ! Mais ce mouvement est comme inclus dans les potentialités de la géolocalisation. Le smartphone était à l’origine un outil d’échange nomade. Il est aussi devenu, malheureusement, un outil de traçage extrêmement précis et continu qui potentialise des applis, largement gadgets, comme StopCovid. Le nombre de façons de biaiser l’utilisation par les pouvoirs et par les gens mal intentionnés de ces applis fait froid dans le dos. Des chercheurs ont dévoilé quinze façons de les pervertir gravement. Elles n’ont rien d’anonyme en réalité. Et elles créeront un précédent.

En tout cas, le zonage disciplinaire revient grâce à ces technologies fluides. Elles autorisent un contrôle à distance et un suivi exhaustif des citoyens avec peu de moyens finalement. Belle rentabilité du pouvoir !

Matt 48 : Le combat des mots et de la communication fait rage en cette période. Quelle importance donner au langage dans les luttes à venir ?

 

Le langage ne doit pas être surestimé, mais il compte. Je vois les mots comme des graines qui ensemencent ou non l’imaginaire, l’ouvrent ou le polluent. Dire le « Tout-Monde » comme [Edouard] Glissant ne porte pas la même chose que de parler de mondialisation. Dire « décroissance » est moins riche que de parler de « poussée du vivant », de « croissance de nos disponibilités ». Dire « le vivant » est très différent que de dire « la nature » qui signifie déjà la coupure. Ça ne porte pas le même imaginaire, ça n’ouvre pas aux mêmes libertés.

Et marteler « sécurité » tout le temps ferme absolument tout. « Pour votre confort et votre sécurité » est la pire expression du monde. Celle qui détruit le plus complètement nos vitalités.

DeleuzeMonAmour : Ne trouvez-vous pas que l’héritage de la pensée « critique » n’a pas eu lieu, que personne n’a fait « un pas de plus » dans leur suite, et que cela rend d’autant plus difficile de penser aujourd’hui ?

 

J’aimerais vous contredire, mais je le vis comme vous : il nous manque un Deleuze, un Foucault, même un Baudrillard qui se serait régalé à analyser la pandémie et son hygiénisme maladif. Mais il est trop tard pour geindre et attendre même d’un génie qu’il pense pour nous est un mauvais signe. C’est à nous de réussir collectivement à penser ce temps et comment en sortir.

Et nous avons tout de même une pléiade de philosophes précieux, notamment en écologie. Personnellement, je m’appuie beaucoup sur Baptiste Morizot en ce moment, mais aussi Yves Citton, [Bernard] Stiegler, Byung-Chul Han, je relis Deleuze et Nietzsche, Ivan Illitch, il y a de quoi penser l’avenir avec eux.


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Réfléchirnetuepas : Cette stratégie du confinement reconductible ne peut-elle pas être pensée comme une solution simple d’assignation à résidence généralisée ?

 

Bien sûr. Il faut parfois regarder les choses au premier degré, faire une zoologie du moment. Nous sommes encagés comme des animaux de zoo, avec nourriture et fenêtre sur monde virtuel. C’est un rêve de pouvoir, ce qui se produit. Le rêve d’une assignation totale de chacun à son chez-soi avec le président qui parle tous les quatre jours devant 37 millions de spectateurs ! Un monde où les seules personnes qui ont le droit de circuler librement sont les… flics ! Comment ne pas voir ce que ça implique à terme ? Ce que ça potentialise comme excès ?

MadameCurieuse : Au vu de la littérature SF, est-ce que des solutions pour un avenir meilleur sont proposées pour la période « après pandémie » ?

 

Je travaille à plusieurs ouvrages sur l’« après » où l’on tente de faire entrevoir ce que ça pourrait être de vivre… mieux ! Des projets de refondation du Conseil national de la Résistance se mettent en œuvre. Ça crépite un peu partout dans les milieux écologistes, alternatifs et radicaux. C’est bon signe !

Bruno : Pensez-vous que la crise du coronavirus peut relancer l’idée de microcommunautés autonomes et autosuffisantes, dans la limite, bien sûr, de l’Etat de droit ?

 

Oui, à fond, et c’est ce que j’espère : la constitution de ZAG (zones autogouvernées) qui seraient acceptées par un Etat souple se souciant avant tout de préserver le commun (eau, air, alimentation, santé, éducation, services publics essentiels) et laissant des communautés expérimenter d’autres formes de vie sociale et économique hors du capitalisme.

A mon sens, la pandémie est la énième preuve, j’espère la plus convaincante, que ce régime néolibéral fondé sur l’exploitation du vivant et des « premiers de corvée » ne peut plus continuer à saloper nos vies. Qu’il faut proposer et expérimenter concrètement sur des territoires d’autres manières d’être vivant que le travail en burn-out, les « bullshit jobs », etc. Sortir du consumérisme comme unique horizon du désir, retisser des liens humains, proches, plutôt que d’exacerber l’individualisme. Il y a tellement d’autres choses à faire !

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Adam : Est-ce qu’aujourd’hui la réalité rattrape la fiction ? Ou serait-ce le contraire ?


Notre réalité est une fiction vue à travers des interfaces : difficile de savoir qui rattrape l’autre ! Notre capacité à fictionner le réel n’a jamais été aussi forte et étendue. Je ne sais plus, à titre personnel, si je décris parfois un réel ou ne fais qu’abonder l’immense réseau sporulant des fictions (économiques, sociales, politiques) qu’on nous raconte.

Par exemple, la dette est une fiction. La Banque centrale européenne décidera ou non qu’elle existe et doit être remboursée. Où est le réel là-dedans ? Ce sont des choix de narration : dire que la dette creusée par le Covid n’a pas à être remboursée donc qu’elle n’existe pas, ou dire qu’elle doit l’être et imposer une austérité prodigieuse ?


Source : https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/04/30/alain-damasio-sur-le-confinement-nous-sommes-encages-comme-des-animaux-de-zoo-avec-nourriture-et-fenetre-sur-monde-virtuel_6038314_4497916.html?fbclid=IwAR0u_OSmCpLQyQEBB9ybOvVbLr-nfxeA9BIzB6f4B0_4DAfmQtkM7Itp0Ac


 

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