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lundi 25 février 2019

Catalogne : la honte de l'Espagne, le déshonneur de l'Europe

Catalogne : 

la honte de l’Espagne, 

le déshonneur de l’Europe

 
 
On peut être pour ou contre l’indépendance de la Catalogne. Mais on ne peut que s’indigner du procès qui s’ouvre à Madrid contre douze responsables indépendantistes catalans. Les accusés risquent de sept à vingt-cinq ans de prison. Non pas pour des faits de terrorisme ou de tentative de putsch. Mais pour avoir conduit un processus politique face à des institutions héritées du franquisme.


C'est le premier grand procès politique jamais organisé dans l'Union européenne. Et personne, ou presque, ne s'en émeut. Espace de libertés, espace de démocratie, l'Union européenne accepte sans rien trouver à y redire l'ouverture d'un procès inique organisé par l'État espagnol contre douze opposants politiques catalans. Cette nouvelle abdication européenne, qui tolère une extrême droite au pouvoir en Autriche, une droite extrême aux commandes en Italie, une ultradroite nationaliste en Hongrie et en Pologne, est un déshonneur de plus. À trois mois des élections européennes, ce procès qui s'ouvre devant le tribunal suprême à Madrid est un signal d'alarme sur la dégénérescence démocratique de l'Europe des 28.

« Nous n'unissons pas des États, nous unissons des hommes », écrivait il y a soixante-dix ans Jean Monnet en présentant l'ambition du projet européen. Les États ? Ils venaient de précipiter le continent dans deux guerres mondiales et une barbarie sans précédent. Il fallait unir les hommes, c'est-à-dire les citoyens, dotés de libertés individuelles et de droits politiques garantis : droit de manifester, droit d'association, droit d'être candidat, d'être élu, droit de mettre en œuvre le mandat confié par les électeurs et les engagements de campagne électorale.

Les accusés face au tribunal suprême, mardi 12 février. © (capture d'écran)


 Ce sont ces droits fondamentaux, socle du modèle démocratique européen, que les accusés de Madrid ont exercés. Ils sont douze à être jugés, neuf d'entre eux sont emprisonnés depuis déjà dix ou quinze mois. Ils sont des élus de premier plan, comme l’ancien vice-président du gouvernement catalan Oriol Junqueras, plusieurs ex-ministres régionaux catalans, députés européens ou l’ex-présidente du parlement régional, Carme Forcadell. Ils sont des responsables de puissants mouvements indépendantistes pacifistes, comme Jordi Sànchez ou Jordi Cuixart, que Ludovic Lamant avait interviewé le mois dernier dans sa prison de Lledoners.

Accusés de rébellion, de sédition, de malversation de fonds publics, d'appartenance à une organisation criminelle, de désobéissance à l’autorité, ils risquent de sept à vingt-cinq ans de prison. Tous ces chefs d'accusation prétendent qualifier ce qui fut un long processus politique entamé dès la fin des années 2000, rythmé par des élections successives. Ce processus a conduit à un référendum d'autodétermination le 1er octobre 2017, que les responsables catalans s’étaient engagés à mettre en place pendant leur campagne électorale régionale en 2015.

Ce 1er octobre 2017, les violences (près de mille blessés) furent d'abord le fait des forces de police dépêchées par le gouvernement de droite de Mariano Rajoy pour empêcher la tenue du référendum, déclaré illégal par le tribunal constitutionnel. Le procès qui s'est ouvert à Madrid devant le tribunal suprême n'est pas celui de rebelles, de factieux ou de putschistes. Il n'est pas celui d'indépendantistes qui « reçoivent l’appui des partis xénophobes, des personnes condamnées pour des actes terroristes et de l’extrême droite de toute l’Europe », comme croit le savoir Manuel Valls, qui a défilé dimanche à Madrid aux côtés de la droite et de l'extrême droite.

Il ne peut pas plus être comparé à ceux des indépendantistes basques de l'ETA, ou aux procès des membres d'Action directe ou de la Fraction armée rouge qui voulaient en finir avec les États français ou allemand. Il est le scandaleux procès de militants politiques pacifistes ayant voulu, avec le soutien des électeurs, redéfinir le pacte constitutionnel espagnol directement hérité du franquisme.

Aussi, la question soulevée par ce procès prévu pour durer au moins trois mois n'est pas d'être pour ou contre l'indépendance de la Catalogne. Elle est celle du respect ou non d'un certain nombre de droits politiques fondamentaux. En refusant l'extradition de Carles Puigdemont, ancien président de la région aujourd'hui en exil et également poursuivi, les justices belge et allemande ont estimé que ses actes ne pouvaient être qualifiés de « rébellion ».

Y a-t-il eu appel à des violences, à un soulèvement, à une insurrection ? Jamais. Tout au long de ce qui fut appelé le « proces », il n'y eut qu'une épreuve de force politique avec Madrid, parfois accompagnée de ce qui pourrait être qualifié de désobéissance civile.

« Pour nous, le dialogue et la négociation, et non l’emprisonnement et les poursuites pénales, auraient dû être la voie à suivre pour que les habitants de la Catalogne puissent se prononcer sur leur avenir au sein de l’État espagnol et de l'Union européenne », écrit José Bové qui, avec d'autres eurodéputés (des groupes des Verts et de la GUE), demande la libération des accusés catalans. « L'Union européenne ne peut rester silencieuse, leur liberté est notre liberté », a estimé l’eurodéputée communiste Marie-Pierre Vieu lors d'un point de presse, le 11 février.

« La relation entre la Catalogne et l’Espagne se résoudra dans les urnes, pas en prison », déclarait Ada Colau au lendemain des arrestations de dirigeants catalans, évoquant « une mesure sans précédent dans l’histoire récente des démocraties européennes ». La maire « indignée » de Barcelone, qui n’est pas indépendantiste mais défend le « droit à décider » des Catalans, a elle aussi saisi les dirigeants de l'Union européenne, samedi 9 février, pour dire son « inquiétude » et dénoncer « une situation anormale en Europe ».

Une justice réincarnation de l’État oppresseur


L’Union européenne n'a pas répondu. Le choix est de se taire après avoir, tout au long de la crise catalane, pris le parti du gouvernement Rajoy et de l'État central. Après avoir refusé tout rôle de médiateur ou de facilitateur entre Barcelone et Madrid, la plupart des dirigeants européens avaient fait savoir qu'il n'était pas question de voir remise en cause l'unité de l'Espagne. « C’est un problème interne espagnol », estimait en octobre 2017 Antonio Tajani, le président du Parlement européen, persuadé que « personne en Europe ne reconnaîtrait une Catalogne indépendante ».

Or la crise catalane est bel et bien une question européenne, comme le furent l'éclatement de l'ex-Yougoslavie au début des années 1990 (et l'Europe ne s'est pas privée d'intervenir), le référendum sur l'indépendance de l’Écosse en septembre 2014 ou le référendum d'indépendance de la Slovénie, en 1990, deux exemples qui inspirent les indépendantistes catalans (lire l'article d'Amélie Poinssot). Ou comme pourrait l'être demain un éventuel éclatement du Royaume-Uni ou une « disparition » de la Belgique si la Flandre menait à bien son projet de sécession.



Une manifestation à Barcelone, le 14 juillet 2018, contre l'emprisonnement des leaders indépendantistes catalans jugés à partir de ce mardi 12 février. © Reuters

L'Union européenne, qui revendique haut et fort sa capacité de médiation et de négociation dans les crises internationales, a abdiqué face au jusqu'au-boutisme de Mariano Rajoy, appuyé par la droite et les débris toujours présents du franquisme, soutenu par la monarchie et bénéficiant de la complicité passive du parti socialiste espagnol (PSOE). Ce qui était une profonde crise politique et institutionnelle a été livré aux mains d'une justice conservatrice, pour ne pas dire extrémiste.

Comme la justice française, la justice espagnole ne s'est pas défaite de liens resserrés avec les responsables politiques. Le processus de nomination des magistrats et l'indépendance réelle des juges sont régulièrement mis en cause par des rapports du Conseil de l'Europe. Une étude récente, rendue publique en janvier 2018 par un groupe du même Conseil, déplorait des « progrès limités » dans la dépolitisation de l'institution judiciaire et le peu de cas qui est fait des recommandations adressées à l'Espagne. C'est cette justice qu'incarne Pablo Llarena, juge à la Cour suprême depuis 2016 et qui portera l'accusation tout au long du procès.

Pour beaucoup d'indépendantistes mais aussi d'observateurs, Llarena n’est autre qu’une réincarnation d’un État oppresseur, héritier du franquisme. Son obstination à poursuivre pour « rébellion », la multiplicité des incarcérations, sa lecture même des faits sont vivement contestées. « Le Parlement catalan a désobéi au tribunal constitutionnel de manière bornée et infatigable durant deux législatures et cinq années », écrit le magistrat dans son ordonnance de mise en accusation, citée par Le Monde. Et il se dit convaincu que « la stratégie sécessionniste peut continuer de manière latente, bien qu’elle se trouve ponctuellement larvée ». 

Que va donc juger le tribunal suprême si ce n'est un différend politique entre la Catalogne et l’État central, qui a progressivement tourné en une crise sans précédent depuis la fin du franquisme ? Car la rupture remonte à la fin des années 2000. Jusqu’alors, l’indépendantisme ne séduisait pas plus de 20 % des Catalans, si l’on en croit les sondages réalisés à l’époque. Mais plusieurs raisons vont inciter des centaines de milliers de personnes à se radicaliser vis-à-vis de Madrid. 

D’abord, la décision du tribunal constitutionnel, en 2010, de rejeter certains articles clés de l’Estatut, un statut négocié sous la présidence du socialiste Zapatero, adopté par le congrès des députés en 2006 puis, la même année, par référendum en Catalogne. Le statut donnait davantage d’autonomie politique à cette région d’Espagne. C’est le Parti populaire de Rajoy qui avait obtenu l’annulation de ces articles. L’affaire avait convaincu nombre de nationalistes catalans de basculer en faveur de l’indépendance.

Autre raison : la crise financière et économique, à partir de 2007. En réaction aux politiques d’austérité décidées à Madrid, à la poussée du chômage, mais aussi à la corruption des partis politiques et aux divers scandales frappant la monarchie, les appels à en finir avec « le régime de 78 » (né de la Constitution de 1978, adoptée trois ans après la mort de Franco) se sont multipliés, pour repenser de fond en comble les institutions. C’est ici que l’indépendantisme a élargi ses bases, à gauche notamment.

Troisième point : le refus obstiné à partir de 2015 de Mariano Rajoy de construire la moindre négociation avec les dirigeants catalans. Cette course à l'abîme d'un chef de gouvernement empêtré dans les scandales de financement allait programmer la crise de l'automne 2017. 

 Le procès qui s'est ouvert ce 12 février ne résoudra rien à cette profonde crise institutionnelle et politique. Il ne peut que l'aggraver. « En cas de condamnations, la crise sera encore plus grave entre nous et le pouvoir central », estime l’exécutif catalan. D'ores et déjà, le chef du gouvernement Pedro Sánchez (socialiste) est accusé de brader « l'Espagne unie » pour avoir seulement réamorcé de timides négociations avec les indépendantistes catalans, qui sont toujours à la tête de la région. Au-delà des nationalistes espagnols exigeant seulement la vengeance, c'est pourtant bien de politique et de négociation qu'il s'agit. C'est le message que devrait porter et imposer l'Europe.


Source : https://www.mediapart.fr/journal/international/120219/catalogne-la-honte-de-l-espagne-le-deshonneur-de-l-europe?onglet=full

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