A la frontière italienne,
ceux qui aident les réfugiés
sont harcelés et à bout
Dans la vallée de la Roya, à la frontière
franco-italienne, depuis mai 2016, un réseau de citoyens secourt les
migrants, pour beaucoup des enfants, qui tentent de rejoindre le nord de
l’Europe par les voies ferrées, sentiers et autoroutes. Un enseignant
doit être jugé mercredi 23 novembre à Nice. Arrêté et placé en garde à
vue, un agriculteur fait également l'objet de poursuites.
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À l’entrée de la vallée de la Roya, juste après la frontière italienne, un tag souhaite la bienvenue aux réfugiés. © LF |
De notre envoyée spéciale.- Dans la vallée de la Roya, proche
de la frontière italienne, certains habitants ont pris l’habitude de
toujours avoir un peu de nourriture dans leur voiture. Pour aider, au
cas où ils croiseraient sur la route des migrants affamés après une nuit
de marche depuis Vintimille (Italie). Depuis la fermeture de la route
des Balkans, en février 2016, cette vallée des Alpes-Maritimes se
retrouve à l’avant-poste du flux migratoire. Chaque mois des centaines
de migrants y passent, pour la plupart érythréens et soudanais. « Ils arrivent dans la nuit en tongs, les pieds ensanglantés, transis de froid », explique Richard, 61 ans, fresquiste à Saorge, un village perché dans la vallée.
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Lancey, 26 ans, et Amadou, 18 ans, deux jeunes Guinéens reviennent du camp de la Croix-Rouge à Vintimille, où ils n'ont pas trouvé de place. © LF |
De Vintimille (Italie), il faut remonter la départementale ou une étroite voie de chemin de fer sur 25 kilomètres vers le nord pour déboucher à Breil-sur-Roya, dans la partie française de la vallée. Sur cette départementale de montagne, on ne croise jamais aucun uniforme, contrairement à la frontière côtière, contrôlée depuis le 9 juin 2015 par les gendarmes français. Les contrôles policiers n’ont lieu qu’après : à la gare de Breil-sur-Roya et à celle de Sospel où les militaires patrouillent depuis juillet, ainsi qu'au péage de la Turbie sur l’autoroute de Nice.
Ces contrôles transforment la vallée de la Roya en un vrai cul-de-sac pour les migrants. S’ils la remontent vers le nord, ils retournent en Italie. S’ils tentent de descendre au sud, vers Menton et Nice, ils risquent d’être interpellés, remis aux policiers italiens et possiblement renvoyés en bus à Taranto dans les Pouilles, un des centres d’enregistrement voulus par l’Union européenne.
À plusieurs reprises, des habitants de la vallée ont rattrapé des migrants qui partaient vers le nord, pensant se diriger vers Paris alors qu’ils allaient vers l’Italie. « Samedi 12 novembre, je suis passé à Breil à 7 heures du matin, j’ai rencontré deux jeunes Érythréens, dit Jean-Noël Fessy, sculpteur à Saint-Dalmas-de-Tende et trésorier de l'association Roya citoyenne. Ils tremblaient de froid, les yeux hagards. Leur premier mot ça été “help !”. C’est la première fois qu’on me dit ça. C’est sidérant, ces jeunes qui partent sans aucune notion géographique, sans un mot d’anglais, sans savoir lire notre alphabet, qui prennent les trains au hasard. »
« Ils étaient 50, dont une majorité de mineurs, dans la boue »
Côté italien, ils sont près d’un millier coincés à Vintimille, avec un fort turn over. « Ici, c’est le contraire de Calais, c’est la France qui bloque », explique Jean-Noël Fessy. Le camp de la Croix-Rouge, ouvert mi-juillet 2016 par la préfecture d’Imperia dans une zone ferroviaire, à quatre kilomètres du centre-ville, abrite uniquement les hommes, pour une durée maximale de sept jours. Prévus pour accueillir 360 personnes, ses préfabriqués en hébergeaient presque le double (596 personnes) mi-novembre.
« Certains dorment sur le sol ou sous le pont, dehors, faute de places, les toilettes sont très sales et l’eau glacée, mais c’est mieux que rien », décrit poliment Amer, un jeune Afghan de 18 ans. Passé par la Grèce et la Turquie, il a manifestement vu bien pire.
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À Vintimille, la paroisse de San Antonio a ouvert son église aux familles, femmes seules et enfants isolés. © LF |
Les arrivants les plus vulnérables, familles, femmes et enfants seuls, trouvent refuge dans le sous-sol de l’église San Antonio, proche du centre-ville de Vintimille. Ils sont une soixantaine à dormir sur des lits superposés récupérés dans une prison, avec des arrivées et des départs tous les jours, au gré des passages en France.
« Certains ont tenté dix, quinze fois, explique le père Rito Julio Alvarez, prêtre de la paroisse.
Les mineurs isolés, filles et garçons, érythréens et soudanais pour la
plupart, sont si nombreux ! Et les femmes seules aussi, qui ont souvent
été violentées en Libye. Leurs histoires sont toutes tragiques. L’idéal
serait de faire un entretien à leur arrivée, sur leurs récits, leurs
intentions, mais nous n’avons pas d’interprète, pas le temps. » Vers
17 heures ce lundi, alors que la nuit tombe, une femme seule, avec cinq
enfants en bas âge, se présente au portail. C’est une Érythréenne qui
arrive en train de Milan.
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À Vintimille, des centaines d'hommes dorment sur les rives de la Roya, sous l'autoroute. © LF |
L’ambiance
est malgré tout joyeuse. En cuisine, Maureen, une Londonienne retraitée
de 65 ans, et son mari italien, Ernesto, producteur d’huile d’olive,
préparent la pasta avec plusieurs réfugiées. Habitant à Valbonne, à une
dizaine de kilomètres, le couple vient régulièrement donner un coup de
main, comme une trentaine de bénévoles italiens. « J’ai été surprise, en arrivant à l’église, de découvrir qu’il y avait tant de gens qui donnaient, dit Maureen.
Ah !, tel boulanger, tel commerçant, et aussi tel pharmacien… C’est
très rafraîchissant ! Dans les médias, on n’entend que les gens opposés
aux réfugiés. Les gens bien ne font pas de bruit, contrairement aux
mauvais. »
À proximité de l’église, sur les rives de la Roya, dorment des centaines d’hommes qui n’ont pas trouvé de place au camp de la Croix-Rouge ou ne veulent pas y aller. Chaque soir depuis mai 2016, une équipe de bénévoles français descend de la vallée de la Roya pour leur distribuer jusqu’à 250 repas. « Les habitants de la Roya viennent faire leurs courses à Vintimille, c’est moins cher et plus proche que Menton, explique Richard à la longue barbe blanche. Nous ne pouvions pas décemment passer devant ces personnes et les ignorer, alors en mai, nous avons repris les statuts d’une vieille association, Roya citoyenne, pour leur venir en aide. »
L’association revendique environ 200 membres actifs dans la vallée. Portant un thermos géant de thé et des sachets repas, les trois maraudeurs français se faufilent sous les ponts, au milieu des buissons, à la lueur d’une frontale. À leur retour sur le parking, une voiture banalisée de police s’arrête à leur hauteur. Un arrêté municipal de la commune de Vintimille interdit la distribution de repas, officiellement pour des raisons d’hygiène. En voyant la caméra d’Arte TV, les policiers italiens en civil se contentent de demander les papiers d’identité des bénévoles et des journalistes. « Je suis la figure la plus antipathique dans cette histoire, eux [les migrants – ndlr] ce sont des victimes, mais je dois faire respecter la loi », s’excuse leur chef, derrière ses petites lunettes rondes.
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À Vintimille, les maraudeurs doivent jouer à cache-cache avec la police italienne pour aider les migrants, la distribution de repas étant interdite. |
Toutes les nuits, des petits groupes partent de Vintimille par les voies de chemins de fer, les sentiers ou la départementale pour tenter de rejoindre la France. L’itinéraire le plus dangereux est celui du Pas de la mort, un sentier littoral partant de Grimaldi et débouchant sur l’autoroute, juste avant la frontière italienne. C’est là que, le 7 octobre 2016, Milet, une Érythréenne de 16 ans, est morte, fauchée par un camion dans le dernier tunnel avant la frontière. Depuis septembre, au moins trois jeunes migrants y ont perdu la vie.
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Cédric Herrou. © LF |
Pour ceux qui remontent vers la vallée de la Roya, la ferme de Cédric Herrou est l’une des premières habitations qu’ils croisent, un kilomètre avant Breil-sur-Roya. Tout l’été, cet agriculteur, dont le combat a été médiatisé par le New York Times, est allé chercher les migrants « les plus fragiles » à l’église San Antonio pour les emmener dans sa camionnette C15 sur des quais de gare vers Nice. « Là, des associations féministes prenaient le relais vers l’Allemagne, dit-il. Ce qui me fait flipper, c’est qu’on laisse des gamines érythréennes de 14, 16 ans à la merci des réseaux et des passeurs. En une matinée, pendant que j’attendais dans les geôles de la souricière, à Nice, j’ai vu défiler cinq passeurs. »
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Cet été, avant l'ouverture du camp de la Croix-Rouge mi-juillet, l'église San Antonio à Vintimille a hébergé près d'un millier de migrants. © LF |
L’agriculteur estime avoir convoyé gratuitement en six mois près d’un millier de personnes, principalement des femmes et des mineurs. En août 2016, il est arrêté une première fois lors d'un contrôle routier avec, à bord de sa camionnette, huit Érythréens, dont trois femmes et deux enfants, et placé en garde à vue à Menton. Le parquet abandonne les poursuites à son encontre, pour immunité humanitaire. « Le procureur m’a même demandé pourquoi je n’avais pas un véhicule plus gros, alors on a acheté un Master 9 places, avec l’association Roya citoyenne. »
Mais l’agriculteur se retrouve aujourd’hui poursuivi pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’étrangers en situation irrégulière, et occupation illégale de locaux privés. Le prétexte a été l’ouverture par un collectif d’associations, le 17 octobre 2016, d’un ancien local SNCF à Saint-Dalmas. « Chez Cédric, ils étaient 50, dont une majorité de mineurs, dans la boue, il pleuvait, ils n'en pouvaient plus, donc nous avons cherché un toit pour les accueillir et médiatiser la situation », explique Jean-Noël Fessy, le trésorier de l’association Roya citoyenne.
« On a des humains face à nous, pas des chiffres »
Un enseignant niçois, Pierre-Alain Mannoni (lire son récit), est également poursuivi pour avoir transporté trois jeunes filles érythréennes blessées, de la vallée jusqu’au péage de la Turbie, où les gendarmes l’ont arrêté. Il sera jugé le 23 novembre au tribunal de grande instance de Nice. Placé sous contrôle judiciaire en attendant son procès – ses avocats ont demandé son report –, Cédric Herrou ne peut plus conduire, ni sortir des Alpes-Maritimes, « alors que je dois acheter deux tonnes de grain pour mes poules en Italie, tous les mois », dit-il. Son téléphone contenant tous ses contacts professionnels lui a été retiré. « Au mois d’août, les enquêteurs avaient constaté qu'il n’y avait pas de contrepartie et l’avaient relâché ; cette fois, ils le poursuivent parce que son action est devenue médiatique », estime l'un de ses avocats, Me Zia Oloumi.
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En tongs, Chérif, un Ivoirien de 28 ans, s'éloigne du centre-ville de Vintimille où « il y a trop de policiers », avant de tenter de se rendre en France, de nuit, en suivant la voie ferrée. © LF |
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Hossna, une Soudanaise de 36 ans, est hébergée depuis deux mois avec son mari et ses quatre enfants dans une maison de la vallée. © LF |
Cet étudiant en économie et politique a décidé de rester dans la vallée car il s’y sent bien. Elle lui rappelle son village sur les flancs du massif montagneux Djebel Marra, au Darfour. « Ici, la vie est paisible, dans mon pays, c’est la guerre civile, mon gouvernement a utilisé des bombes au phosphore contre nos villages », explique-t-il en anglais. Le jeune homme dit avoir été emprisonné à deux reprises. À sa dernière sortie de prison, sa famille avait fui au Tchad, son oncle et des voisins avaient été tués.
Son principal but est aujourd’hui d’apprendre le français afin de lire Victor Hugo dans le texte – et non plus dans son dialecte –, avant, peut-être, de déposer une demande d’asile. Ahmed se trouve de fait assigné à résidence depuis plus d’un an, par peur des contrôles policiers. « Je reste ici pour traduire et trouver des solutions pour tous ces amis, et peut-être, un jour, je trouverai une solution pour moi. »
« Il y a déjà eu trois jeunes tués sur l’autoroute »
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À Vintimille, trois jeunes Afghans franchissent le grillage séparant le camp de la Croix-Rouge de la départementale pour se rendre en ville. © LF |
Avec l’arrivée de l’hiver et du froid, l’angoisse monte pour ces
citoyens « résistants ». Certains, comme Sylvie Begoin, 62 ans,
retraitée de l’Éducation nationale, réclament l’ouverture urgente d’un
camp de transit. « Il y a déjà eu trois jeunes tués sur l’autoroute, on ne veut pas que ça se passe dans notre vallée »,
redoute-t-elle. Fille de l’adjoint à la culture de Breil-sur-Roya
Michel Masséglia, Nathalie, 42 ans, est une enfant de la vallée. « Tout le monde a peur parce que nous sommes dans une vallée de droite et qu’on nous lâche complet, dit cette clown de métier. Ça
va mal tourner. Nous n’avons plus de vie, moi je vais travailler pour
me reposer. Je voudrais arrêter de me substituer aux pouvoirs publics.
L’humanitaire, c’est un vrai boulot, nous, nous portons juste assistance
parce qu’on ne peut pas laisser des gens dans la merde. »
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Depuis, elle a lu et relu deux articles du Code des étrangers. L’article L622-1 prévoit qu’aider des sans-papiers est passible de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros. Ajouté en 2012, l’article L622-4 liste cependant des exemptions humanitaires. Pour ne pas être condamné, il faut n’avoir touché aucune contrepartie, notamment financière. Mais il faut remplir une seconde condition sur le type d’aide apportée. Il faut avoir fourni « des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».
Il est légal d’héberger, pas de transporter, même pour des motifs humanitaires. En décembre 2015, Claire, une militante niçoise de 72 ans, a ainsi été condamnée par le tribunal de grande instance de Grasse à 1 500 euros d’amende pour avoir aidé des migrants érythréens à voyager de Nice à Antibes. Samedi 19 novembre au soir, Hubert Jourdan, militant niçois de l’association Habitat et Citoyenneté à Nice, a été arrêté en revenant d’une réunion à Breil-sur-Roya avec une personne étrangère en situation irrégulière dans sa voiture et placé en garde à vue, avant d’être relâché sans poursuite.
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Tous les soirs, de nouveaux migrants arrivent dans la ferme de Cédric Herrou. © LF |
« Nous nous retrouvons livrés à nous-mêmes, avec des pouvoirs publics qui n’assurent pas le minimum, si ce n’est prendre des réfugiés, même mineurs, pour les ramener en Italie et de recommencer », regrette Michel Masséglia. Ce militant communiste a été élu sur une liste d’ouverture allant du Front de gauche aux Républicains. Le 22 septembre 2016, le département des Alpes-Maritimes, présidé par Éric Ciotto (Les Républicains, LR), a voté une motion pour s’opposer à l’accueil de migrants dans le cadre du démantèlement de la « jungle » de Calais.
Le 3 novembre, pour faire bonne mesure, le conseil régional de PACA, présidé par Christian Estrosi (LR), lui a emboîté le pas, adoptant avec le FN une motion contre l'accueil de migrants. « Accueillir plus de 1 000 clandestins d'ici à la fin 2016 semble à la fois irréaliste et irresponsable », énonce le texte, qui prévoit que les présidents d'exécutifs locaux « puissent s’opposer » à l'accueil des étrangers en situation irrégulière et soutenir les communes qui s'y opposent. « Nous avons en face de nous un mur, il n’y a aucune négociation possible avec le département ou la région, sauf éventuellement pour les mineurs », constate Michel Masséglia.
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Derrière son décor de carte postale, le village de Saorge abrite plusieurs migrants qui espèrent souvent gagner le nord de l'Europe. © LF |
À la suite de fortes pluies, plusieurs migrants dormant sur les rives de la Roya à Vintimille ont été pris au piège de la montée du fleuve mardi 22 novembre, se retrouvant coincés sous un pont. Selon le site d’information italien Riviera24.it, quatre d’entre eux ont pu être secourus, l’un est toujours porté disparu.
Une pétition, « Solidarité avec les citoyens solidaires de réfugiés », demande la relaxe des deux « prévenus solidaires ».
*Le prénom a été changé.
Semir et ses deux amis rencontrés dans la vallée de la Roya ont fini par arriver à Paris le 18 novembre 2016. De même qu’Amer et ses deux camarades afghans rencontrés à Vintimille. Contactée ce jeudi 17 novembre, la préfecture des Alpes-Maritimes ne nous a pour l’instant pas répondu.
Semir et ses deux amis rencontrés dans la vallée de la Roya ont fini par arriver à Paris le 18 novembre 2016. De même qu’Amer et ses deux camarades afghans rencontrés à Vintimille. Contactée ce jeudi 17 novembre, la préfecture des Alpes-Maritimes ne nous a pour l’instant pas répondu.
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