Les soutiens se multiplient pour sauver la zone humide du Testet
Après les affrontements de la semaine passée, la mobilisation ne faiblit pas sur la zone humide du Testet, dans le Tarn, pour contrer le projet de barrage. Tandis que trois résistants poursuivent une grève de la faim, les occupants de la zone se préparent à l’assaut policier et à la tentative de déboisement, prévue pour ce lundi 1er septembre.
L’Isle-sur-Tarn, reportage
Le reportage commençait plutôt mal. À peine entrée sur la ZAD, notre automobile se met à fumer dans tous les sens, menaçant d’exploser avant de faire péter une durite et dégoulinant de liquide de refroidissement devant l’entrée de la ZAD. « Bienvenue à la Zad ! », lance, moqueuse, la commission média chargée de m’accueillir. Me voilà donc bloqué sur place, en immersion, à la veille du début des opérations de déboisement.
Un sacré cirque à la Bouille
Retour donc, une nouvelle fois au Testet, dans une nouvelle ZAD (zone à défendre), une nouvelle fois reconstituée. Que de changements depuis notre dernière venue : toutes les cabanes connues ont été détruites, les arbres abritant des plate-formes ont été abattus le 12 août dernier. Subsiste la Bouille, campement principal avec son chapiteau, sur les parcelles du Conseil Général. À côté on découvre le « musée », constitué d’une tente piétinée et de capsules de gaz lacrymogènes, reliques des derniers assauts policiers.
Devant nous se déroule l’activité du jour sur la ZAD, un atelier de cirque, ouvert aux enfants, qui se font une joie de presser leurs parents inquiets des jours futurs : « Dis maman, ce soir, on peut dormir ici à la belle étoile ? » Plus loin, dans la forêt, on entend divers sons, sans identifier exactement d’où ils proviennent. On évite les photos, qui pourraient être mal perçues.
La zone est encore sous le choc des interventions policières récentes, mais malgré cette répression, les Bouilles, le collectif d’occupants, tiennent bon. Vendredi 29 août, ils ont eu la bonne nouvelle d’apprendre la relaxe, faute de preuves, de trois de leurs camarades arrêtés lors des affrontements mardi dernier. Les occupants en profitent au passage pour me préciser que contrairement à ce qui fut affirmé dans certains médias, la zone n’était pas à feu et à sang, et que si quelques barricades furent enflammées pour empêcher l’avancée des gardes mobiles, on était loin de scènes de guérilla.
La répression s’exprime depuis au travers des arrêtés du Conseil général du Tarn qui interdisent la circulation et le camping sur toute la zone. Pas de quoi empêcher les familles du coin de venir profiter du soleil avec leurs enfants en ce dimanche à la maison forestière de Sivens. Surtout, rien qui puisse empêcher la résistance de se préparer pour le futur assaut. La possibilité d’une intervention plane dans toutes les têtes, mais en attendant, nous retrouvons ce parfum gai et décontracté caractéristique de la ZAD.
Grève de la faim pour obtenir une réunion publique
A l’autre extrémité de la zone, au lieu-dit Barat, le Collectif Testet a lancé son appel à rassemblement en soutien aux grévistes de faim. En effet, suite aux actions brutales du Conseil Général, trois membres du collectif ont commencé mercredi 27 août une grève de la faim illimité : Christian Pince et Marc Pourreyron, deux membres fondateurs du collectif, et Ben Lefetey son porte-parole.
Le rassemblement se déroule sur un terrain appartenant à Lucien Lacoste, agriculteur retraité, vivant sur des parcelles limitrophes de la zone humide et fervent opposant au barrage : « Ce barrage n’a pas lieu d’être ici, éventuellement en aval mais certainement pas sur le Tescou. Il faut préserver les zones humides, il y en a de moins en moins ». M. Lacoste est un des rares témoins de l’histoire des lieux : « Depuis 1969, on nous promet des aménagements touristiques ou des barrages pour l’irrigation sur le Testet. »Projets qui ont toujours fait face à trois paysans groupés et décidés : « En 1983, la CACG, la compagnie qui porte le projet, voulait venir sur nos terres pour de la prospection en vue de construire un barrage. Nous avons dit non. Vous rentrerez sur nos terres si nous le décidons, nous sommes propriétaires chez nous ».
Le temps passant, un des paysans est décédé, l’autre a dû vendre et le Conseil Général préempte les terres, au grand dam de M. Lacoste, seul survivant, qui souhaitait y installer son fils. « La FNSEA et les Chambres défendent quelques agriculteurs qui s’agrandissent toujours plus en prenant les parcelles voisines, quitte à crouler sous les dettes ».
L’assemblée grossit peu à peu et le rassemblement compte désormais près de deux cents personnes. Fait nouveau : le public est à la fois composé d’habitants locaux, jusqu’ici plutôt absents des rassemblements, comme Fanou Mena, adjointe au maire de Saint-Sulpice-sur-Tarn, « inquiète des personnes qui n’ont d’autre choix que se mettre en grève de la faim » et« effondrée de voir qu’il n’y ait aucune autre solution pour se faire entendre ».
Nous retrouvons aussi deux des trois élus du Conseil général qui ont refusé d’approuver le projet de barrage. Le projet est-il utile pour assurer l’irrigation ? Serge Entraygues répond : « Etant donné qu’actuellement ils n’ont pas de barrage, cela les empêche-t-il d’irriguer ? » Son collègue Roland Foissac, élu mandaté sur les questions de démocratie participative, m’apprend l’existence d’une charte de la participation « signée à l’unanimité des élus du Conseil Général » mais totalement bafouée dans le cas du projet du Testet. Tous deux sont là pour appeler « à la reprise du dialogue et de l’écoute » et déplorent « les décisions d’autoritarisme d’élus qui pensent tout savoir sans consulter leurs citoyens ».
Mais le rassemblement compte également de délégation d’organisations d’envergure. Ainsi, Alain Hébrard est venu au nom de la Confédération Paysanne du Tarn avec son correspondant aveyronnais apporter le soutien national de son syndicat : « Il faut mettre fin à la politique du tout maïs, notamment en Midi-Pyrénées ». Avec d’autres, il était déjà présent le jeudi 28 août avec des tracteurs pour une opération escargot sur la route départementale entre Gaillac et Montauban.
On trouve également une délégation de Loire Vivante, venue pour la troisième fois soutenir le Testet, avec l’une de ses figures, Jacques Adam, qui martèle avec fougue au micro : « On ne perd que les batailles qu’on ne livre pas. Nous avons occupé cinq ans un chantier de barrage avant d’obtenir des garanties écrites qu’il ne se ferait pas et qu’on préserverait la Loire sauvage. » Thierry de Noblens, de France nature environnement Midi-Pyrénées vient pour sa part dénoncer « un projet démagogique » et estime que « l’occupation est indispensable, elle doit respecter des principes de non-violence et se conjuguer avec les démarches juridiques ».
Fred, un occupant vient présenter la ZAD aux néophytes : « Tout ce que nous faisons là, c’est pour défendre la terre, la zone humide ». Et puis c’est Rémi qui parle. Ancien agriculteur, il se confesse : « On nous a poussé, et nous avons obéi hélas, à avoir une agriculture qui détruit l’environnement. Et pour quoi faire ? Au lieu de nourrir le tiers-monde, on les affame en supprimant leurs cultures vivrières. En cinquante ans, nous avons à peu près détruit toute la nature. Au lieu d’applaudir quand on construit une autoroute, il faudrait se coucher devant les bulldozer, sinon, il n’y aura plus de terres ». Un témoignage de sincérité qui bouleverse l’assemblée, certains se levant spontanément pour aller embrasser le pauvre vieux tout ému.
L’après-midi se termine, le rassemblement s’est transformé en meeting et on sent une certaine allégresse dans le public. Certains s’organisent pour passer la nuit, on monte la tente, tandis que le soleil se couche. À l’écart, des réunions stratégiques se tiennent, à l’abri des oreilles indiscrètes. Sur les collines aux alentours, on perçoit des coups de marteau, des bruits de branches qu’on déplace. Puis, la nuit tombée, alors qu’on pensait que tout était calme, de nouveaux véhicules arrivent en nombre pour se joindre à l’occupation.
Un zadiste nous apprend que plus d’une centaine de CRS sont logés pour la nuit dans un lycée d’Albi. Et cela ne semble être qu’une partie du bataillon complet. Ce lundi 1er septembre sera long et certainement difficile. Mais c’est certainement dans les prochaines quarante-huit heures que va se jouer l’avenir de la zone humide du Testet.
Bien que les premiers projets remontent à 1969, c’est en 2001 que la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG) est chargée d’un rapport d’étude sur la ressource en eau sur le bassin du Tescou, entre Tarn et Tarn et Garonne. Deux ans plus tard, le Plan de gestion des étiages (PGE) de l’Agence de l’eau Adour-Garonne entérine la possibilité d’une retenue d’eau sur le Tescou. Le projet suit son cours et sa réalisation est confiée à laCACG, avec comme maitre d’ouvrage le Conseil général du Tarn. Il n’est présenté à la population qu’en 2009, lors d’une réunion publique : une retenue d’1,5 million de mètres cube d’eau, sur une zone de trente-huit hectares, détruisant douze hectares de zone humide. L’objectif est le maintien du débit d’étiage de la rivière, la dilution de pollutions provoquées par une laiterie industrielle (remise aux normes depuis) et surtout l’assurance de disposer de ressource pour l’irrigation de cultures de maïs intensives en aval.
Si quatre-vingt personnes vivent sur la zone concernées par le projet, on estime à une quinzaine ceux qui y sont favorables et en profitent réellement. Initialement évalué à 7,8 millions d’euros, le coût du projet a été rehaussé à 8,4 millions d’euros par le Conseil général du Tarn en avril dernier, somme répartie entre des fonds européens (30%), l’agence de l’eau Adour-Garonne (50%) et les départements du Tarn et du Tarn-et-Garonne (10% chacun).
La gestion du barrage, une fois construit serait confiée à la CACG, tandis que les frais de fonctionnement seraient quand à eux évalués à 300 000 euros par ans pendant vingt ans.
Après avoir mené de 2009 à 2013 des activités d’information à la population, le collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet se voit complété en octobre 2013 par un nouveau collectif, Tant qu’il y aura des bouilles, décidé à occuper la zone et à empêcher les travaux imminents. Après plusieurs expulsions successives et une première défaite juridique en janvier dernier, l’opposition a néanmoins permis de repousser du printemps à l’automne les opérations de défrichement, qui ne peuvent commencer avant le 1er septembre. Si un prochain jugement interviendra courant septembre sur Les recours sur le fond du projet ne seront eux jugés que dans deux ans.
Source et photos : Grégoire Souchay pour Reporterre.
Ce reportage a été réalisé par un journaliste professionnel et a entrainé des frais. Merci de soutenir Reporterre :
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