Pendant que le match Valls-Dieudonné occupe les écrans en relançant les controverses identitaires, les mauvaises nouvelles pleuvent dans ce début d’année.
Je ne parle pas ici de l’accumulation des plans sociaux et de l’impéritie de la politique d’Arnaud Montebourg, dont la geste nationale étatiste n’a toujours pas réussi à sauvegarder les emplois.
Je ne parle pas du décret sur l’extension des porcheries, qui facilitera la création des installations de 450 à 2 000 cochons, comme la ferme dite des mille vaches.
Je ne discute pas de la scandaleuse décision du Sénat visant àsauvegarder l’immunité parlementaire de Dassault, qui renforce la crise de la représentation politique.
Je ne commente pas le pseudo « tournant » du quinquennat, qui n’est en fait que la confirmation du cap social libéral pris par François Hollande depuis la campagne des primaires en 2011…
L’effet réverbère
Non, je voudrais vous faire part d’une information passée inaperçue dans le brouhaha médiatique de cette rentrée : le report après les municipales, autant dire sine die, du débat parlementaire sur le projet de loi visant à renforcer la protection du secret des sources des journalistes, qui devait être examiné le 16 janvier par l’Assemblée nationale.
Ce silence des médias, sur un sujet qui les concerne pourtant au premier chef, ne fait que confirmer les conséquences dévastatrices de ce que j’appelle « l’effet réverbère » : dans sa grande majorité, notre monde journalistique s’est habitué à aller là où il y a de la lumière sans se poser beaucoup de questions sur celui qui tient le projecteur.
Et c’est ainsi que se succèdent sur nos antennes et à la une de nos journaux, des « histoires » éphémères qui occupent le bon peuple, pendant que restent cachés dans l’ombre des sujets essentiels mais pas assez « people ». La « dictature de l’audimat » est à l’œuvre et mine le débat démocratique.
Promesse du candidat François Hollande
Renoncer – même provisoirement - à légiférer sur la protection du secret des sources des journalistes marque une inflexion inquiétante de l’esprit sécuritaire de nos dirigeants politiques. Elle traduirait en actes un nouveau recul : face aux nécessités de garantir l’ordre social, une vision libérale et sécuritaire du monde se substitue insidieusement aux principes démocratiques à l’origine de la République.
Promesse du candidat François Hollande, le nouveau texte devait remplacer la loi Dati de 2010, qui n’avait pas empêché l’affaire des « fadettes » [factures téléphoniques détaillées, ndlr], quand des journalistes du Monde avaient été écoutés par la police. La nouvelle loi instituait trois évolutions majeures :
- interdiction de toute atteinte à ce secret (écoutes, réquisitions de fadettes, perquisitions), sauf si elle est justifiée par « la prévention ou la répression d’une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation » ;
- feu vert indispensable d’un juge du siège, autre que le magistrat en charge des investigations, pour ordonner ces actes ;
- aggravation des sanctions pénales pour atteintes au secret des sources.
Que s’est-il passé pour que ce texte, pourtant discuté et adopté en Conseil des ministres le 12 décembre dernier, soit renvoyé aux calendes grecques ? Simplement une injonction de deux ministres, Manuel Valls et Jean Yves Le Drian.
« L’intérêt supérieur de la nation »
La pression conjuguée des ministres de l’Intérieur et de la Défense a renvoyé aux oubliettes un texte discuté en commission qui s’approchait de la loi belge, la meilleure qui existe en Europe. Les députés ne souhaitaient pas que la notion « d’intérêt supérieur de la nation » figure dans la définition des exceptions à la liberté de protection des sources.
Si cette version du retrait du texte incriminé se confirmait, ce serait un mauvais coup contre les libertés, à plus d’un titre. Elle montrerait, une fois de plus, que le pouvoir se considère comme une citadelle assiégée dont il faut à tout prix préserver le caractère opaque. Car la notion « d’intérêt supérieur » de la nation ne vaut que par son flou conceptuel, car il est souvent confondu avec l’intérêt des responsables de l’Etat.
Lorsque François Mitterrand faisait écouter des centaines de personnes pour protéger sa fille Mazarine, le faisait-il dans « l’intérêt supérieur de la nation » ? Lorsque le juge Courroye autorisait les fadettes, le faisait-il dans « l’intérêt supérieur de la nation » ou pour protéger les intérêts de son ami Nicolas Sarkozy ? En admettant le bien-fondé d’une telle notion, elle m’inquiète tout autant par ce qui apparaît comme une évolution du pouvoir socialiste.
Qu’a fait Mediapart sinon son métier ?
L’importance prise par l’armée depuis l’avènement de François Hollande est sidérante. Le renforcement des capacités militaires en Afrique, les « deals » avec les Emirats sur les Rafale ou sur la capacité de défense de l’Arabie saoudite, la volonté de devenir la seconde puissance militaire mondiale de défense des intérêts occidentaux, en lien avec les Etats-Unis, marque un autre tournant, militaire celui-là, peu souligné et bien réel.
Le soutien du gouvernement français au gouvernement américain dans l’affaire Snowden avait déjà inquiété les lanceurs d’alerte et les journalistes. Le 10 décembre dernier, il avait été suivi par l’adoption d’un article dans la loi de programmation militaire, fortement controversé, sur l’instauration d’un programme Prism à la française, portant sur les informations ou les documents traités ou conservés par les réseaux hébergeurs.
Enfin, du point de vue des journalistes, l’inquiétude est réelle. Nous venons d’assister à des attaques contre Mediapart visant à fragiliser ce média incarnant la nouvelle presse en ligne. Qu’a fait Mediapart pour être en butte à la traque fiscale, sinon son métier, qui a permis d’en finir avec Cahuzac, de lutter contre la corruption qui gangrène les allées du pouvoir ? Mediapart n’est pas Closer, il ne donne pas dans le journalisme de caniveau.
Nous savons comment cela commence...
Ceux qui sont menacés actuellement dans leur existence même, pour des raisons financières, fiscales, de concentration économique ou policière sont des médias d’opinion, comme Mediapart, Bastamag, Politis, L’Humanité. Nous devons être intransigeants pour défendre cette liberté-là.
De même, si le combat politique et idéologique contre l’antisémite Dieudonné est totalement légitime, le fait d’interdire administrativement un spectacle peut créer une jurisprudence néfaste qui pourrait s’appliquer dans d’autres circonstances.
Là où il faut poursuivre et punir pénalement, avec la plus grande sévérité, l’auteur de ces déclarations punies par la loi Gayssot, le ministre de l’Intérieur choisit de faire intervenir ses préfets. Nous savons comment cela commence mais jamais où la machine administrative et politique s’arrête.
Face à cet emballement, la position de la Ligue des droits de l’homme est la seule qui vaille, parce que Manuel Valls a d’abord défendu son propre « storytelling », en instrumentalisant le Conseil d’Etat contre un juge administratif qui ne faisait que réaffirmer les principes de l’Etat de droit. Oui, il fallait mettre un terme au délire antisémite de Dieudonné, mais la voie qui a été choisie est à haut risque démocratique.
Le silence de Taubira et Filippetti
Il se met en place dans le monde occidental, de manière subtile et masquée, mais progressive, une société globale de surveillance. Je refuse ce monde orwellien où la vidéosurveillance, les empreintes génétiques, les fichiers, la numérisation de l’identité, font fi des droits de l’individu. Je refuse ce monde où les journalistes indépendants sont menacés lorsqu’ils s’attaquent aux puissants et veulent faire la lumière sur les ombres de l’oligarchie.
« Là où il y a un flou, il y a un loup », disait Martine Aubry à propos de François Hollande. Dans cette affaire du secret des sources des journalistes, je vois un loup avec de très grandes oreilles. Et je ne comprends pas le silence de Christiane Taubira et d’Aurélie Filippetti, ministres de la Justice et de la Culture, qui devraient défendre au premier chef la protection des sources.
J’ai toujours fait confiance à François Hollande comme défenseur des libertés fondamentales. C’est à lui de trancher dans cette affaire pour que ce qui devait être une avancée pour les libertés ne se transforme pas en une nouvelle régression.
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