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mercredi 23 mars 2011

petite compilation sur la gestion du risque nucléaire, par un physicien

Bonjour,
Quand on lit la petite compilation de commentaires ci-dessous, réalisée par le physicien Roger Belbéoch, qui nous rappelle avec humour ce qu'est la merveilleuse gestion du nucléaire français depuis ses débuts -avec nombre de citations référencées à l'appui-, on mesure l'étendue de l'incurie. La question qui se pose alors est : lequel, du nucléaire ou de la bêtise, est le plus dangereux ?
A moins que ce ne soit la même chose...
En tout cas, je vous conseille cette rétrospective qui éclaire les commentaires actuels sur la catastrophe japonaise ....
SE

Par Roger Belbéoch*


Comment le "père de l'énergie nucléaire française" envisageait l'avenir.
Marcel Boiteux, le dirigeant d'EDF dans les années 70 était considéré comme le "père" de notre électronucléarisation.
On a souvent dit que les décideurs technocrates n'avaient pas du tout introduit le problème des déchets dans leur décision. Faux. Marcel Boiteux en témoigne.
En 1974 le mensuel Science et Vie publiait la controverse entre le nucléocrate français et le physicien Hennes Alfen (Prix Nobel 1970). La controverse porta en particulier sur le problème des déchets nucléaires. Alfen avançait un argument très fort :
" Le réacteur à fission produit à la fois de l'énergie et des déchets radioactifs : et nous voudrions nous servir maintenant de l'énergie et laisser nos enfants et petits-enfants se débrouiller avec les déchets. Mais cela va à l'encontre de l'impératif écologique : "Tu ne lègueras pas un monde pollué et empoisonné aux générations futures" ".
Marcel Boiteux dans sa réponse n'avançait pas que les déchets ne posaient aucun problème. Bien au contraire il avait conscience que ces déchets nucléaires qu'il allait produire, on ne saurait pas les gérer d'une façon satisfaisante. Mais son argumentation est intéressante à noter : " N'est-il pas d'ailleurs une évidente et dangereuse illusion que de vouloir extirper de notre héritage toutes difficultés, toutes responsabilités, que de vouloir transmettre à nos descendants un monde sans problèmes ? ".
Ainsi pour ce décideur laisser un bon paquet de merde radioactive à nos enfants est une bénédiction pour eux. Un gage pour leur santé mentale.
Ces déclarations, c'était en 1974. Monsieur Boiteux aurait eu des perspectives encore plus radieuses pour nos descendants s'il avait pensé que notre génération allait, quelques années plus tard, laisser des centaines de milliers de km2 contaminés par Tchernobyl. Quelle joie pour les parents des régions contaminées de léguer à leurs enfants un sacré tas de problèmes. 

Monsieur Boiteux aurait dû aller en Biélorussie et en Ukraine faire une tournée de conférences pour réconforter ces parents qui n'auraient pas vu tout l'intérêt de la situation.
Ces soucis de la santé mentale des générations futures qu'il est important d'alimenter par des problèmes que nous ne savons pas résoudre est peut-être la raison qui a déterminé les responsable politiques à propulser cet individu dans de multiples comités. On peut noter que M. Boiteux, président d'honneur d'EDF, a été élu le 27 octobre 1988 président du conseil d'administration de l'Institut Pasteur dont il était membre depuis 1973. En 1966 et 1967 il préside le comité consultatif de la recherche scientifique et technique. Ensuite il préside l'Institut des hautes études scientifiques. De 1982 à 1985 il préside le Centre européen de l'entreprise publique et la Conférence mondiale de l'énergie. Il ne faut pas oublier de mentionner qu'il est aussi administrateur de l'École Normale Supérieure et de Télédiffusion de France (TDF).
On voit que cet individu a largement pu exercer son activité pour fournir aux générations futures des problèmes difficiles, garantie de leur santé mentale, dans de multiples domaines.





Non, M. Bataille. Les déchets nucléaires faisaient bien partie du dossier
Au cours de la séance du 25 juin 1991 de l'Assemblée Nationale, Monsieur Christian Bataille, rapporteur de la commission de la production et des échanges, dans la discussion du projet de loi "relatif aux recherches sur l'élimination des déchets radioactifs", se plaignait qu'il n'y avait pas eu de réflexion sur le stockage des déchets nucléaires :
" Cette réflexion a été très tardive et, il faut bien le constater, ceux qui ont développé le programme nucléaire français s'étaient bien gardés, dans les années soixante et même soixante-dix, d'attirer l'attention de la population sur ce problème ".
On a vu que le père de l'énergie nucléaire française avait bien prévu les problèmes liés aux déchets nucléaires : il n'y avait pas de solution et ce sera aux générations futures de se débrouiller avec. La représentation politique à cette époque n'a pas tenu compte de l'avis de cet expert et n'a pas réagi. Qui ne dit mot consent.




Les visions de Boiteux sur l'avenir nucléaire français.
Dans le journal Le Quotidien du 26 novembre 1974 il indiquait comme perspective du parc nucléaire français "cinquante centrales de quatre tranches chacune". En clair 200 réacteurs. En 1997, EDF avec ses 54 réacteurs est en surcapacité d'au moins 10 réacteurs pour satisfaire les besoins nationaux.
C'est ce personnage qui a impulsé le programme français avec son cynisme vis-à-vis des générations futures et son délire de puissance.
Il faut pourtant lui reconnaître une certaine lucidité. Ainsi, dans l'Événement du Jeudi du 6/12/1984, au journaliste qui lui pose la question : " Mais pourquoi les autres pays ont-ils réduit la fabrication des centrales nucléaires ? Je pense aux États-Unis, au Japon, à la Grande Bretagne. Pourquoi pas chez nous ? " Il répond cyniquement : " Parce que chez nous le nucléaire est bon marché, alors que dans les pays qui n'ont pas pu pour des raisons diverses résister aux attaques de la contestation, le nucléaire est devenu très cher ".
Si le nucléaire a réussi à se développer d'une façon exceptionnelle en France, ce n'est pas grâce à la qualité de notre technologie, mais parce que l'opinion publique a pu être totalement asphyxiée et a laissé les mains libres à la technocratie étatique...




Tchernobyl, une aubaine pour la santé des irradiés
Au cours de la conférence internationale organisée du 8 au 12 avril 1996 par l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique (AIEA) un conférencier invité par l'Agence, Peter Fong de l'Université Emory (Atlanta, USA) poussant jusqu'au bout de sa logique la théorie de l' Hormésis chère au Pr Tubiana et à ses supporters de l'Académie des Sciences, réévalue les conséquences sanitaires de Tchernobyl. Ainsi peut-on lire dans son papier (IAEA-CN-63/405) :
" Des études récentes montrent que de faibles doses de carcinogènes peuvent réduire le risque de cancer (...). Ainsi nous concluons qu'un doublement du rayonnement naturel réduira de 25% le taux de mortalité par cancer (...).
Le rayonnement relâché dans le pire des accidents dans une centrale nucléaire, se trouve être égal au doublement du rayonnement naturel. Au lieu d'être la cause de 120 000 cancers mortels en 30 ans, ce que l'on croyait jusqu'à présent, il sauverait 3 millions de personnes d'une mort par divers cancers et ainsi l'énergie nucléaire est sûre " [souligné par moi].
Pour être cohérent l'auteur aurait dû ajouter que l'énergie nucléaire est d'autant plus sûre et plus bénéfique que ses accidents sont plus graves et plus fréquents !
L'AIEA a pris le soin de se démarquer de ce fantaisiste en indiquant dans une note que " les vues exprimées demeurent sous la responsabilité des auteurs (...). Ni le secrétariat coordinateur, ni aucune organisation parrainant la conférence peuvent être tenus pour responsables des textes reproduits dans ce document ".
Il n'empêche que les organisateurs de cette conférence sur "l'évaluation des conséquences de l'accident,dix ans après Tchernobyl", ont pensé que ces vues délirantes pouvaient faire partie de l'évaluation des conséquences de Tchernobyl. Tchernobyl pourrait ne pas être "nécessairement" un désastre mais une grandiose réussite !




A qui faudrait-il distribuer des pastilles d'iode ?
" L'accident de Tchernobyl a montré que les populations vivant à plusieurs centaines de kilomètres de la centrale (région de Brest notamment) peuvent être fortement contaminées et développer dans les années qui suivent un cancer de la thyroïde. Ceci montre que les plans d'intervention doivent être établis au niveau d'un pays, voire d'un continent " [souligné par nous].
Ce texte est la conclusion d'un article " Cancers de la thyroïde après Tchernobyl. Importance de la prophylaxie par le KI " du Pr M. Schlumberger de l'Institut Gustave Roussy et publié dans la revue Radioprotection (1994, vol. 29 n3) de la Société française de radioprotection.
Si l'on suit l'avis de cet expert la distribution d'iode au voisinage immédiat de scentrales nucléaires serait notoirement insuffisante car c'est au minimum à l'ensemble des Français qu'il faudrait fournir ces pastilles d'iodure de potassium (IK). Cependant dans ses interventions publiques, à la radio en particulier, cet expert n'a critiqué en rien la décision gouvernementale de distribution de ces pastilles. Il s'est bien gardé de commenter publiquement ses conclusions de 1994.




Le grand banditisme et l'énergie nucléaire
Le journal Le Monde des 29-30 septembre 1996 a titré en gros caractères sur 5 colonnes :
" Des malfaiteurs liés au grand banditisme impliqués dans une importante affaire de travail clandestin. Des truands marseillais s'intéressaient à l'emploi de salariés "au noir". Le réseau a des ramifications dans toute la France ".
L'auteur de l'article donne des détails sur le fonctionnement de ce réseau : " un groupe issu de la pègre locale est intervenu pour faire régner l'ordre sur les chantiers " . Parmi les chantiers concernés l'auteur cite l'industrie pétrolière et EDF et en particulier les " centrales nucléaires de Golfech (Tarn-et-Garonne) et de Cadarache (Bouches-du-Rhône) ".
Du travail en perspective pour la DSIN !
Une procédure judiciaire est en cours (pour fausses factures) mais la présomption d'innocence a dû jouer à fond car nous n'avons plus trouvé d'informations dans la presse après cet article.
C'était il y a quelques années.
" L'énergie atomique, de beaucoup la plus propre, la moins polluante et la moins dangereuse de toutes "
    Professeur Louis Néel, de l'Académie des Sciences, Lauréat du prix Nobel. (Extrait du Bulletin d'Information n3 d'Electricité de France, Tours, 1975).
" Je crois que l'on peut rassurer les Français devant l'augmentation du nombre de Centrales Nucléaires et devant l'usage des radiations ionisantes "
    Professeur Mathé, médecin de l'Institut de Cancérologie de Villejuif, le mardi 8 octobre 1974. (Cité dans le Bulletin d'Information n6 d'Electricité de France, Tours, 1975).

Le Professeur Pellerin et la protection sanitaire grâce aux réacteurs nucléaires.
Le 27 mars 1973 le Professeur Pellerin s'exprimait ainsi :
" Les Centrales nucléaires doivent être considérées comme l'un des moyens d'amélioration les plus efficaces de la protection sanitaire des populations car leur développement ne peut manquer de faire disparaître, à terme, des pollutions traditionnelles extrêmement graves auxquelles, malheureusement, le public ne prête, par habitude, que peu d'attention ".
    (Extrait du Bulletin d'Information n4 d'Electricité de France, Tours, 1975).
Vingt ans après le même Pr Pellerin, pour empêcher l'adoption de nouvelles normes de radioprotection plus sévères, faisait circuler des notes parmi les experts en radioprotection et l'establishment nucléaire. Le Monde du 2 juillet 1994 signale :
" Dans ces notes, qui circulent sous le manteau dans les milieux du nucléaire, l'ancien directeur du SCPRI [le Pr Pellerin] invoque des raisons "d'ordre psychologique et médiatique" à l'appui de sa thèse. La limite de 1 mSv [1 millisievert comme limite annuelle au lieu de 5 précédemment] serait immédiatement dépassée en cas d'incident même mineur. Or estime-t-il "la population n'acceptera pas en situation accidentelle que l'on applique des normes de radioprotection moins sévères que celles applicables en circonstances normales" ".
Pour le Professeur Pellerin il faut se préoccuper sérieusement de la gestion "psychologique et médiatique" des accidents nucléaires. Il ne semble pas que l'énergie nucléaire soit devenue le moyen le plus efficace de la protection sanitaire comme il le prédisait en 1973...


Les Russes ont les moyens d'enrayer les effets néfastes du rayonnement !
Sur l'étiquette d'une bouteille de vodka russe apparemment destinée à l'exportation, la VODKA ROSSIYSKAYA KORONA, nous lisons cette annonce :
" L'authentique vodka russe est produite suivant un procédé unique par la ROSSIYSKAYA KORONA, firme sans rivale dans le monde pour la fabrication de produits écologiques purs. Cette boisson a un important effet curatif qui a été confirmé par des recherches médico-biologiques et une commission internationale d'experts.
L'usage modéré et prescrit de cette boisson avec dilution dans de la glace jusqu'à un degré alcoolique de 30%, fournit un effet prophylactique et curatif contre les maladies de la radioactivité, cancers et gastroentérites, et stabilise les systèmes psychophysiques et cardiovasculaires ainsi que les processus métaboliques et immunologiques ".
Voilà qui est vraiment bizarre et confirme les informations rapportées par quelques amis médecins de retour de mission dans les mois ayant suivi Tchernobyl comme quoi "on" donnait de l'alcool pour "soigner" les liquidateurs ... Il y aurait là un débouché très prometteur pour notre industrie des alcools si elle voulait se reconvertir dans la radioprotection ! Cette vodka, labellée "écologiquement pure" importée d'URSS serait un remède plus agréablement efficace que les pastilles d'iode stable (aux effets limités aux iodes radioactifs) !
Cet usage de l'alcool comme radioprotecteur n'est peut-être pas si sot que ça. En effet, lorsque le rayonnement a frappé nos cellules, lorsque la contamination radioactive s'est incrustée dans nos organes, s'il n'y a pas grand chose à faire pour stopper l'évolution ultérieure des cancers radioinduits, l'alcool comme calmant peut permettre d'attendre les cancers avec sérénité, voire indifférence...
Les experts russes ne sont d'ailleurs pas les premiers à avoir découvert les vertus de l'alcool. Pendant la première guerre mondiale l'usage intensif du vin chez les assaillants permit de réduire notablement l'effet des balles ennemies !

Les cancers sont-ils nuisibles à la santé ?
" Aux doses intermédiaires entre celles dues à l'irradiation naturelle et 0,5 Sv [O,5 sievert = 50 rem] aucun effet nuisible à la santé n'a été observé ".
C'est Jean Teillac qui écrivait cette perle dans son livre, "Les déchets nucléaires" (Que sais-je ? 1988). C'est au Professeur Teillac que fut confiée la direction du Commissariat à l'Energie Atomique pendant des années en tant que Haut Commissaire. Rien d'étonnant, alors, au fait qu'on ne dispose à ce jour d'aucune étude épidémiologique sérieuse sur les cancers de l'ensemble des travailleurs de l'énergie atomique du CEA.

Les "colis" de déchets nucléaires
Le terme "colis" est utilisé par les responsables en déchets nucléaires pour désigner l'emballage de ces déchets.
Le dictionnaire apporte quelques précisions sur ce terme :
" Colis (de l'italien colli, pluriel de collo, "charges portées sur le cou"). Tout objet destiné à être expédié et remis à quelqu'un, voir Bagage, ballot, sac (...) exemple colis postal".
Ce terme de "colis" est peut-être bien choisi car ces déchets sont emballés pour être effectivement remis à des destinataires, nos descendants !

Qu'est-ce que la sûreté ? Un avis expert.
La revue "Radioprotection" (1983, vol. 18, n3 pages 155 à 163) a publié un article de Raymond Latarjet, membre de l'Institut, Institut Curie, intitulé " Implications biologiques de l'optimisation des irradiations ". La revue résume ainsi cet article :
" Pour avoir participé à un groupe de travail réuni au Vatican par l'Académie pontificale des sciences, du 2 au 5 mai 1983, l'auteur soumet quelques réflexions personnelles que cette réunion lui a inspirées ".
L'auteur indique : " Le Saint-Siège s'intéresse très sérieusement à de nombreux problèmes scientifiques d'actualité et de caractère mondial ". En conclusion il donne sa conception de la sûreté : " Oublie-t-on donc que sur cette terre la sécurité n'est jamais qu'un risque accepté ? Il est dès lors indispensable de dissocier les problèmes au niveau de la connaissance scientifique des mêmes problèmes au niveau pratique ".
Si l'on suit la conception de la sûreté de Raymond Latarjet, un moyen simple d'améliorer la sûreté à EDF c'est de faire accepter à la population des risques de plus en plus grands. En somme l'argent dépensé par EDF lors de ses campagnes publicitaires contribue notablement à accroître la sûreté des réacteurs si ces campagnes arrivent à faire accepter des risques importants !
Concernant la position du Pape vis à vis de la sûreté nucléaire nous n'avons pas relevé de déclaration particulière. Les conclusions du groupe de travail réuni par l'Académie pontificale des sciences en 1983 sont demeurées confidentielles depuis cette date. Il est vrai que l'auteur mentionne au début de son papier que dans le "style habituel de l'Eglise" les prises de position ne sont "jamais précipitées". Concernant certains aspects de la protection sanitaire ou de la démographie (sida, contraception etc.) les prises de position du Vatican sont pourtant bien rapides !
Comment un Haut-Commissaire à l'Energie Atomique envisageait une "nouvelle philosophie de la sûreté".
C'était en 1982 quand, du 19 au 23 juillet se tenait à Lyon la "Conférence internationale sur la sûreté des surgénérateurs". Le ton était donné à l'ouverture par M. Jean Teillac, Haut-Commissaire au CEA : " Je suis convaincu que les spécialistes de la sûreté doivent s'efforcer de recentrer en permanence leurs réflexions sur la réalité des installations plutôt que de se perdre dans des développements théoriques de plus en plus sophistiqués...".
Cette nouvelle philosophie était-elle liée à l'échec de l'ancienne qui prédisait des probabilités très faibles pour des événements réputés impossibles et qui se sont pourtant produits ? Non bien sûr. Pour les autorités de sûreté il faut dorénavant tenir compte essentiellement des incidents observables sur les installations et mettre une sourdine à l'imagination morbide qui conduit à tous ces systèmes sophistiqués très coûteux. En somme, ordre est donné par le Haut-Commissaire de ne tenir compte de l'accident qu'après coup. C'est la politique du "on verra bien".
La pensée du Haut-Commissaire se comprend mieux quand on entend la conclusion de son exposé : " Je n'ai jamais cru personnellement qu'une bonne sûreté coûtait cher en investissement ". Inutile de compter sur lui pour obtenir une augmentation des crédits pour améliorer la sûreté des installations nucléaires. C'est ce que les experts appelaient déjà "la nouvelle philosophie de la sûreté".
En 1989 l'Inspecteur Général de la Sûreté à EDF, Pierre Tanguy, apparemment conscient du danger de ce genre d'attitude pour la conception, la maintenance et la conduite des réacteurs nucléaires, tentait d'introduire chez les responsables une nouvelle notion : "la culture de la sûreté", c'est à dire la prise en considération permanente de la possibilité de survenue d'accident grave.
Le texte du Haut Commissaire à l'Energie Atomique permet de mieux comprendre les inquiétudes de P. Tanguy quant aux possibilités d'accidents majeurs sur les réacteurs français. Mais il semble bien, si l'on en croit ses différents rapports, que la "culture de la sûreté" a eu du mal à s'implanter à EDF. La "nouvelle philosophie de la sûreté" de J. Teillac, haut fonctionnaire responsable (?) devait avoir bien des attraits par son laisser-aller et son "on verra bien" pour ceux qui s'adonnent au culte du kilowatt-heure ! Il est à craindre que cette philosophie ne soit devenue le fondement de la pratique quotidienne à EDF.

Les cancers font peur, alors n'en parlons pas.
C'est à propos de l'effet cancérigène du radon qu'un expert français en radioprotection s'insurgeait en 1978 contre l'usage du mot cancer :
" Il me semble que dans le domaine de l'effet du radon sur les populations (...) nous devrions faire preuve peut-être d'un peu plus de prudence dans la présentation de nos résultats.
Personnellemnt, je suis toujours un peu choqué lorsqu'on utilise comme unité de mesure le cancer du poumon. Le cancer du poumon c'est quand même une unité qui n'est pas très agréable à présenter à la population. La CIPR prend beaucoup de précautions lorsqu'elle parle de cancer du poumon, elle dit ce sont des cancers hypothétiques, moyennant certaines hypothèses de linéarité des effets, enfin il y a tout un contexte. Or certains maintenant utilisent le cancer du poumon comme unité, comme ils utilisent le rad ou le rem. Il me semble qu'il faudrait que nous évitions, lorsque c'est possible, de parler de cancer du poumon ".
Ce texte de J. Pradel est extrait de "Surveillance du radon, Compte-rendu d'une réunion de spécialistes de l'Agence pour l'Énergie Nucléaire, Paris 20-22 nov. 1978 (page 293).
J. Pradel faisait partie de l'Institut de Protection et Sûreté Nucléaire (IPSN) au Commissariat à l'Énergie Atomique, Section technique d'études de pollution dans l'atmosphère et dans les mines.
Est-il dès lors surprenant avec ce genre d'expert, que la France soit très en retard en ce qui concerne la protection de la population vis-à-vis du radon dans les habitations et que seule, en 1996, elle ignore superbement les recommandations de la Commission Internationale de Protection Radiologique, de l'Organisation Mondiale de la Santé et de la Commission des Communautés Européennes ?

Les médias et les perles de l'"information scientifique" ...
Dans la page "Aujourd'hui - Science" du Monde du 24 mai 1995, à propos de Superphénix capable de "brûler du plutonium et un certain nombre de produits de fission à longue vie connus sous le nom d'actinides"
Dans le Magazine de Libération du 26 novembre 1994 : " Strontium, isotope de l'uranium ".
Dans la page "International" du Monde des 12-13 mars 1995, à propos des intallations nucléaires de la Corée du Nord : " (...) le démantèlement de ses réacteurs de la filière graphite-gaz capables de produire de grandes quantités d'uranium (...) ".
EDF interdit l'alcool dans les centrales nucléaires à la suite de l'incident de Paluel
C'est le titre d'un article de Ann Mac Lachlan, dans le journal de la profession nucléaire, Nucleonics Week du 4 février 1993.
L'article commence par cette information qui n'a guère eu de place dans les médias français :
" Électricité de France (EDF) a interdit l'alcool dans les cafétarias de "certaines" de ses centrales nucléaires et a prohibé les boissons alcoolisées dans les "pots" du personnel sur les postes de travail des réacteurs, c'est ce qu'a déclaré la semaine dernière le chien de garde en chef ["watchdog" est le terme utilisé par la journaliste] de la sûreté nucléaire des centrales nucléaires ".
" Pierre Tanguy, Inspecteur général pour la sûreté nucléaire à EDF, a indiqué que ces mesures ont été prises à la suite de l'incident, survenu l'automne dernier, au cours duquel un technicien mécontent déclencha de la salle de contrôle l'arrêt, en 30 minutes, des 3 unités en opération à la centrale de Paluel (Nucleonics Week, 22 octobre 1992). Tanguy ajoute que le technicien expliqua son comportement par le fait qu'il y avait eu un pot ce jour-là et qu'il ne savait plus ce qu'il faisait ".
La journaliste fait quelques commentaires :
" Jusqu'à présent il n'était pas insolite de voir des bouteilles de champagne et des verres dans les salles de contrôle des réacteurs, en attente d'une occasion spéciale comme la fin d'un programme ou la promotion d'un membre du personnel ".
" En général l'environnement du travail est plus relaxe que dans les centrales américaines ; il était permis de fumer dans les salles de contrôle jusqu'il y a peu de temps et il y a quelques années des journalistes en visite à Chinon entendirent de la musique populaire dans une salle de contrôle au moment où, aux USA, la NRC [les Autorités de sûreté américaines] bataillait contre l'usage des postes de radio dans les salles de contrôle ".
Ann Mac Lachlan mentionnait que d'après un responsable EDF on est mieux protégé contre l'usage des drogues en France parce que l'utilisation de drogues est moins répandue qu'aux États-Uns mais que néanmoins son usage augmente. [Depuis la parution de cet article il a été trouvé des seringues dans la centrale de Belleville-sur-Loire].
Signalons que Ann Mac Lachlan est membre du Conseil Supérieur de la Sûreté et de l'Information Nucléaire et que Nucleonics Week rapporte beaucoup plus de renseignements sur le nucléaire français que nos journaux.

Comment le gouvernement français envisageait la gestion des déchets nucléaires en 1979.
Patrick Lagadec dans son livre "Le risque technologique majeur" (Collection Futuribles, Pergamon Press, 1981, page 439) rapporte, sous le titre "Three Mile Island vu de France" [1979] :
" Le Premier Ministre (Monsieur Raymond Barre) aura la tâche difficile de faire entendre aux Français qu'ils ne doivent pas se laisser aller à des états d'âme : c'était au Club de la Presse, quelques jours après l'accident.
Flora Lewis : il se pose en Allemagne un problème qui est au fond plus grave et beaucoup plus difficile à résoudre que celui de la technique des centrales, c'est celui des déchets. On n'en a jamais parlé en France. Qu'allez-vous faire de vos déchets ? Où allez-vous les mettre ? En effet, plus on produit de l'électricité atomique, et plus il y a de déchets.
M. Barre - Eh bien, Madame, jusqu'ici nous avons résolu le problème des déchets sans que cela provoque de drames, et nous continuerons à le faire.
Flora Lewis - Où les mettez-vous ?
M. Barre - On les met en divers endroits. "
Que serait-il advenu si on avait mis ces déchets nulle part ?

Comment un ministre de l'industrie voyait les déchets nucléaires
C'était le 25 juin 1991 à l'Assemblée Nationale pendant la discussion du projet de loi sur "l'élimination des déchets radioactifs".
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre délégué à l'industrie et au commerce extérieur, déclare au cours de la discussion du projet de loi :
" Le volume n'est pas considérable. Je me suis permis de vous amener, dans une petite boîte tout à fait étanche (M. le ministre présente à l'Assemblée un petit objet cylindrique qui tient dans le creux d'une seule main), quelque chose qui représente, en vitrifié, l'équivalent des déchets correspondant à la quantité d'uranium...
M. Jean-Claude Lefort. C'est dangereux !
M. le ministre délégué à l'industrie et au commerce extérieur. ...nécessaire pour fournir une famille moyenne française en électricité, de 1956 à 2000 (...) " .
Monsieur Strauss-Kahn avec sa petite boîte a bien appris la leçon de Pierre Pellerin, alors Directeur du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants. Celui-ci déclarait quelque temps après l'accident de Three Mile Island à propos de "La querelle nucléaire vue par la Santé publique" :
" L'un des arguments les plus fréquemment avancés contre l'énergie nucléaire est celui de ses déchets radioactifs qui "engageraient notre responsabilité morale vis-à-vis des générations futures". Voici la réalité : si toute l'énergie produite en l'an 2000 était d'origine nucléaire, le retraitement des combustibles nucléaires ne produirait pas un volume de déchets de haute activité supérieur, par habitant et par an, à celui d'un cachet d'aspirine. En dix ans, plus de 99% de leur radioactivité disparaît du fait de la décroissance ".
Qui pourrait s'effrayer de ce centième de cachet d'aspirine ?
P. Pellerin concluait : " L'opposition à l'énergie nucléaire ne peut être le fait que d'ignorants et d'imposteurs ".

Nos réacteurs, les séismes et P. Pellerin
Vous avez lu dans la dernière Gazette que les protections antisismiques de 24 réacteurs 900 MW n'étaient pas conformes aux normes de sûreté par desserrage des barres de précontrainte des butées latérales de puits de cuve.
On a oublié comment M. Pellerin, le dompteur de nuages radioactifs, vantait nos réacteurs en 1989 quand il prêchait en Biélorussie et en Ukraine la soumission aux impératifs de Moscou concernant la dose-vie pour que ne soient pas évacués les habitants des zones contaminées. Au journaliste du journal "Kiev-Soir" (du 19 juin 1989) qui disait : " Mais nous ne sommes pas protégés contre les catastrophes naturelles. En effet, la centrale atomique d'Arménie a été construite dans une zone sismiquement dangereuse et c'est la raison pour laquelle il a été décidé de la démonter " il répondait :
" Chez nous aussi, il y a des centrales nucléaires dans des régions sismiquement instables, mais elles sont construites sur des patins en caoutchouc et ne craignent pas les chocs même extraordinaires. Et aux personnes qui craignent les séismes, nous conseillons : dès que les secousses commencent, courez vers la centrale atomique ! ".
[A relire absolument, l'interview complète parue dans Sovietskaya Bieloroussia, dimanche 1er juillet 1989]


Comment l'ordre des médecins présentait l'énergie nucléaire en 1978
Un article du Dr Paut, "Les maladies de civilisation, le nucléaire" dans le Bulletin de l'Ordre des Médecins d'octobre 1978, analysait d'une façon rassurante les risques nucléaires. Curieusement le mot "cancer" n'apparaît nulle part lorsqu'il aborde les problèmes sanitaires du rayonnement. Sa conclusion :
" Il nous semble indispensable que la population soit correctement et régulièrement informée. Il est légitime qu'elle exige des précautions et des contrôles. Il est cependant rassurant de penser que l'utilisation industrielle de l'énergie nucléaire ne présente ni pour le présent ni pour l'avenir à plus ou moins long terme, de risques inacceptables. Le fardeau génétique transmis à nos descendants peut être léger ".
C'était en octobre 1978, quelques mois plus tard c'était le "mishap" (la catastrophe râtée) de Three Mile Island, puis ce risque non "inacceptable" produisait Tchernobyl et maintenant tous les pays nucléarisés élaborent des plans de gestion accidentelle et post-accidentelle. Quant aux déchets nucléaires il serait absurde de les déclarer "inacceptables" car ils sont là et il faudra bien les accepter et nos descendants n'auront pas le choix.
C'est ainsi que l'Ordre des Médecins a contribué à "correctement" informer la population sur l'avenir de notre industrie nucléaire.

L'expert c'est moi
C'était en 1990. Le Monde du 24 février rapportait la visite de F. Mitterrand au Bengladesh et au Pakistan. Au Pakistan il tentait de négocier la vente d'un réacteur nucléaire. Au cours d'une conférence de presse à Dacca des journalistes lui firent " remarquer que certains experts français continuent à avoir des doutes sur la livraison d'une centrale nucléaire au Pakistan " . D'après le Monde il rétorqua " S'ils ont des doutes pourquoi sont-ils là ? L'expert c'est moi ". Quant aux protestations américaines " S'ils ont envie de protester, qu'ils protestent ".
Il s'agit-là de paroles d'une "force tranquille" d'un expert vraiment indépendant ... des conséquences de ses décisions !


C'était en 1966...
" Tous les arguments que l'on peut opposer sur le plan philosophique, sur le plan budgétaire ou sur le plan de l'efficacité ne valent rien auprès de cet argument essentiel qui consiste à affirmer que le premier devoir d'un État est de lutter avant toute chose contre la prolifération d'armes nucléaires.
On ne peut reconnaître un programme politique ou un programme d'action, qui ne comporte en clause préalable (...) l'anéantissement de la force de frappe ".
C'était un discours de François Mitterrand le 25 juin 1966 à la salle de la Mutualité lors d'un meeting organisé par le Mouvement contre l'armement atomique (MCAA).
Le 30 septembre 1982 le ministre de la défense choisi par F. Mitterrand déclarait aux membres de la Commission de la Défense de l'Assemblée Nationale : " L'effort continu de la France en faveur de ses forces nucléaires représente le minimum nécessaire pour demeurer durablement au dessus du seuil de crédibilité ". (D'après Le Monde du 1er octobre 1982).
C. Hernu s'est-il fait copieusement engueuler par F. Mitterrand ou bien s'agissait-il d'un mauvais clone ?



Les autorités de sûreté n'ont qu'une confiance limitée dans les chefs de centrale
André-Claude Lacoste directeur de la DSIN (Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires) interviewé par une journaliste du Parisien (30 mars 1995) à la question :
" Pour ne pas être mal classé, un chef de centrale peut avoir tendance à masquer des incidents. Quels moyens avez-vous pour contrôler sa sincérité ? il répond :
" Notre inspection sur le site est lourde. Nous rencontrons aussi bien le chef de la centrale que les techniciens et nous faisons une vraie analyse de la situation. Mais il est fondamental de tout savoir. Nous sommes prêts à recueillir tous les renseignements que le personnel peut nous donner sur le fonctionnement ou le dysfonctionnement d'une centrale. Je lui garantis l'anonymat "[souligné par nous].
Ainsi les autorités de sûreté reconnaissent qu'il pourrait être néfaste pour la carrière des techniciens de révéler ce qui se passe dans les centrales. De plus ces autorités n'ont guère confiance dans les chefs de centrales et lancent un appel à la délation couvert par l'anonymat. Belle ambiance autour des réacteurs nucléaires !


"Super Phénix II dès 1986"
C'est le titre d'un article pêché dans "ICC-Info" de février 1985, le journal des Ingénieurs cadres et chercheurs de l'UNSEA -CGT [union nationale syndicale de l'énergie atomique].
La CGT précisait sa position sur l'avenir de la surgénération : " La CGT n'apprécie pas, mais alors pas du tout, l'intention exprimée par les pouvoirs publics de différer à 1987, au plus tôt la mise en chantier de Super-Phénix II ".
" Rapsodie, Phénix, Super-Phénix I : trois étapes, trois succès [c'était en 1985] qui confortent la position de leader mondial acquise par la France dans le domaine des surgénérateurs. Cet effort doit être poursuivi jusqu'à son terme. La filière des réacteurs à neutrons rapides est la réponse d'avenir au développement nécessaire, au plan mondial, des sources d'énergie ". Et la CGT s'inquiétait de la "mollesse des pouvoirs publics".
C'était il y a une dizaine d'années. Quelques dates pour fixer les idées sur cette source énergétique de l'avenir.
Superphénix a été commandé en 1976. Les travaux ont commencé en 1977. La divergence du réacteur a eu lieu en septembre 1985 (l'article de février de la CGT demandait un deuxième réacteur avant que le premier ait démarré). Le couplage au réseau a eu lieu le 14 janvier 1986. Le décret du 12 mai 1977 autorisant la création de la centrale de Creys-Malville stipulait dans son article 15 que la mise en service industriel devait être faite avant le 12 mai 1987. Mais un décret n'a guère de valeur absolue, ça se modifie à la demande suivant les circonstances... ainsi un décret du 25 juillet 1986 repoussait ce délai jusqu'au 25 juillet 1998.
Dans les mémentos du CEA : "Les centrales nucléaires dans le monde" on peut suivre l'évolution de la date de mise en service industriel.
En 1989 la mise en service industriel était prévue pour juillet 1990, en 1990 pour décembre 1991, en 1991 pour juin 1992. Les éditions 1992 et 1993 indiquaient une mise en service industriel pour 2100. L'édition 1995 apportait une précision : décembre 2100. Authentique. Est-ce une marque d'optimisme ? Superphénix I sera encore valide dans plus d'un siècle, ou de pessimisme, même dans un siècle ce ne sera pas un équipement industriel ? La publication du CEA qui fournit l'information n'est pas explicite sur l'interprétation qu'elle souhaite donner.
Il y a des mots redoutables...
Dans le compte-rendu de la réunion de la " Commission Autorités Locales " de la centrale nucléaire de St-Alban-St-Maurice, nous avons remarqué l'intervention du Directeur de la centrale : " Attention à l'utilisation du mot confinement, il faut plutôt parler de mise à l'abri ".Le Médecin de la centrale approuve : " En effet il faut parler de mise à l'abri car, avec confinement, on induit la sensation de manque d'air ".
Mais tout de même on ne va pas jusqu'à dire que l'enceinte de confinement n'est qu'un abri !
Cette préoccupation du bien-être mental des citoyens est de plus en plus présente chez les experts du risque. Récemment, ils viennent d'ajouter le " risque psychologique " à la liste des risques industriels. L'intervention du sociologue de service à la réunion de Saint-Alban est assez curieuse : "Le risque est surtout dans la tête : on en a une certaine représentation ". Ainsi le risque ne serait qu'une représentation mentale mais l'objet de cette représentation n'est pas précisé.
Cet expert sociologue arrive à l'équation :
" Craindre + connaître + maîtriser = risque négocié "
Quant au chef de la centrale, lui, il déclare : " En effet, il faut qu'ils craignent et en même temps ne redoutent pas ". Curieuse distinction entre " craindre " et " redouter " que le Petit Robert (cet exploitant nucléaire ne l'a probablement pas consulté) donne comme synonymes !
L'adjudant de service présent à cette réunion est, lui, préoccupé par l'information : " On a de plus en plus d'information qui parfois mène à la désinformation ".
De toute évidence pour cet adjudant, arriver à une information correcte nécessite de moins en moins d'informations. L'ignorance et la stupidité sont généralement faciles à gérer, cet adjudant a certainement de l'expérience en la matière. Ses compétences ont dû être appréciées pour qu'on l'ait choisi afin de participer à cette commission.
Tous ces propos sont extraits du compte-rendu intitulé " Projet Iode, opération de prédistribution d'iode stable autour de la centrale de St Alban-St Maurice ", réunions du comité de pilotage du 24 mai 1986 et du 27 juin 1996.


Le franc-parler de notre ministre de l'éducation nationale
Le 4 septembre 1997 sur France-Inter pendant l'émission Le téléphone sonne, Claude Allègre notre ministre de l'éducation nationale donne son avis sur les diverses filières de l'enseignement : " Les étudiants des filières techniques sont des produits excellents ".
Il est bien évident que les filières techniques les plus prestigieuses devraient, selon lui, donner des " produits " plus qu'excellents. Un bon produit dans notre société marchande est un produit qui se vend bien ou, ce qui revient au même, qu'on achète facilement.
Qu'en pense le corps des mines, la filière technique par excellence ? Monsieur Syrota, le patron de la Cogéma, est-ce un " excellent produit " ? Ou Guillaumat qui a permis à la France de rejoindre le club des bombardiers nucléaires et de se placer au top niveau du nucléaire civil ? Cet " excellent produit " de notre système éducatif a réussi l'exploit de se faire avoir par deux escrocs (de mauvais produits du système éducatif italien) qui nous ont pompé un bon paquet de fric en lui vendant l'exclusivité des avions renifleurs ! Le ridicule de cette stupidité n'a pas affecté sa réputation d'excellent produit.


L'erreur humaine
Bien que l'individu soit nié en général il demeure cependant fort utile pour déculpabiliser les autorités responsables en cas de crise. L'erreur humaine, manifestation de l'irrationalité des individus permet de tout expliquer rationnellement, même les échecs de la rationalité. Comme l'erreur humaine est par nature inévitable, elle justifie et excuse a priori l'existence d'échecs catastrophiques.
Bien sûr l'erreur humaine ne peut venir que des exécutants, jamais des concepteurs ou des gestionnaires.
Questions :
- Trouvez une erreur inhumaine.
- La matière peut-elle produire de l'erreur ?
L'erreur humaine est, pour notre société libérale, ce qu'a été le sabotage pour la société autoritaire stalinienne.


Comment décontaminer à Tchernobyl
" La police biélorusse a par ailleurs arrêté jeudi une trentaine de personnes qui manifestaient à Minsk pour protester contre un projet du président Loukachenko visant à forcer les étudiants à travailler dans les zones contaminées par l'accident nucléaire de Tchernobyl ". C'était une information dans Le Monde daté des 23-24 mars 1997, sans commentaire. La journaliste, dans cet article, consacre 14 fois plus de place aux ennuis du financier " philantrope " américain George Soros en Biélorussie qu'à ces étudiants que l'on veut envoyer dans les zones contaminées. Il faut bien sûr respecter les vraies valeurs (financières) de notre société.


Avis aux parisiens
Dans Le Monde du 10 septembre 1994, concernant la région Ile de France :
L'engagement d'objectifs " signé jeudi 8 septembre entre le préfet de police et le directeur de la sécurité civile, va permettre de réunir les moyens nécessaires à la lutte contre les risques majeurs dans la région. Il illustre également le renforcement du rôle de l'État dans la gestion des  situations de crise ".
Le journaliste qui rend compte de cet événement ajoute " La présence d'une centrale nucléaire importante, celle de Nogent-sur-Seine, en amont de Paris, ne met pas la capitale à l'abri de risques majeurs ".
Parisiens, soyez rassurés, l'État veut renforcer son rôle dans la gestion d'une catastrophe nucléaire à Nogent-sur-Seine. Le préfet de police " (...) dispose de moyens d'interventions civils et militaires très importants ". Pas de panique. Si ça pète à Nogent l'armée nous protègera !
Causes étranges. L'anormal. L'impossible est-il possible ?
Lorsque les plages du midi de la France sont soumises à une contamination bactérienne, la cause en sont les orages. Lorsque l'air à Paris est pollué c'est à cause de la température élevée et à l'absence de vent. On pourrait donc supprimer cette pollution en supprimant les causes : installer des climatiseurs dans les rues et des ventilateurs aux carrefours !
Lorsqu'une passerelle en bois s'effondre à Grenoble on nommera une commission d'experts qui travaillera des années pour établir la cause de la rupture. Le fait que la passerelle n'était pas assez solide pour supporter la charge qu'on lui a fait subir ne semble pas être une cause suffisante.
Lorsqu'EDF vide brutalement l'eau d'un de ses barrages et noie la vallée, les experts s'interrogent : l'eau en certains endroits avait une " vitesse anormale ". Comment l'eau avait-elle pu se tromper pour établir sa vitesse d'écoulement ? Mystère.
Dialogue entendu il y a quelques mois à la radio (France-Inter) entre un haut-communiquant d'EDF et un haut-sécuritaire du CEA (un ex-EDF). Le premier déclare que les accidents graves sont impossibles sur nos réacteurs. Le second approuve en déclarant " nous faisons tout notre possible pour les éviter ". Le journaliste qui animait ce dialogue n'a pas eu l'audace de demander pourquoi il fallait faire l'impossible (car tout le possible est impossible) pour éviter l'impossible. En somme tous les problèmes de sécurité dans l'industrie nucléaire reviennent à éviter l'impossible. Cela est évidemment tout à fait possible pour les experts !


" Enquête à Lyon sur une bulle de soufre intempestive "
C'est le titre d'un article du Monde du 19 août 1997. Une " bulle de soufre ", le 13 août 1997 a produit une " pollution atmosphérique ponctuelle au dioxyde de soufre, sur l'agglomération lyonnaise ". Une  bulle, d'après le Petit Robert ne serait qu'un globule  ; aussi, rien d'étonnant à ce que cela ne produise qu'une pollution ponctuelle (un point ce n'est pas très grand). Ce qui est plus surprenant c'est que l'agglomération lyonnaise  ne soit que ponctuelle !
Petit problème
En 1989 (Le Monde des 2-3 avril 1989) le célèbre vignoble " Château Latour " à Pauillac est évalué à 1,2 milliards de francs. C'est l'un des quatre grands crus du Médoc avec Margaux, Lafite-Rothschild et Mouton-Rothschild.
Les 80 hectares de Margaux valaient en 1989 entre 1,5 et 2 milliards de francs. Toutes ces merveilles sont tout près de la centrale nucléaire du Blayais sur la Gironde.
Problème assez simple : Que vaudraient ces grands crus si une " urgence radiologique " (c'est le terme employé par les experts internationaux pour désigner une catastrophe nucléaire) survenait sur les réacteurs de la centrale du Blayais ? La question pourrait aussi être posée pour St-Estèphe, St-Julien, Haut-Médoc, Côtes de Bourg etc...


Gare aux moulins à vent !
C'était en 1979, à la fin mars un des réacteurs de Three Mile Island (notez que lorsque vous voyez un " s " à la fin du mot " Mile ", vous êtes certain qu'il s'agit d'un chroniqueur qui n'a jamais consulté un document de l'époque, ce " s " est un indicateur précieux pour détecter ceux qui expriment leurs fantasmes et non la réalité de l'époque. Fermons la parenthèse), donc à la fin mars 1979 un des réacteurs de Three Mile Island, en Pennsylvanie, USA, est en déroute et menace la région. Les opérateurs sont inquiets, ils ne contrôlent plus la situation. Le Monde des 1-2 avril 1979 (donc rédigé le 31 mars 1979) titre un éditorial en première page Le " pépin ". Il est intéressant de suivre en détail avec quelle sérénité les éditorialistes réagissent au nucléaire : " Cela devait arriver. Il n'est pas d'exemple qu'une source d'énergie ait pu fonctionner impunément depuis qu'elle existe. Les moulins à vent ont bien dû emporter quelques têtes, le charbon a des milliers de victimes à son passif et les barrages hydroélectriques ont parfois cédé ". Ainsi, au moment où les responsables locaux et le gouverneur de l'état s'interrogent pour savoir s'il faut évacuer la population, Le Monde est serein. Mieux, il voit dans cet accident un véritable intérêt : " Pour la première fois les ingénieurs de la sécurité vont pouvoir travailler non plus sur des fictions mais sur la réalité et des progrès ne manqueront pas de s'ensuivre ". Bien sûr que l'accident de TMI a été l'occasion de certaines révisions à EDF et ailleurs. On croirait entendre M. P. Tanguy lorsqu'il indiquait qu'à cause de TMI, la formation des opérateurs allait être modifiée. Merci à l'accident nucléaire source de progrès ! Quelques années plus tard un accident bien plus important, à Tchernobyl, permettra si l'on en croit ce journal, des progrès encore plus spectaculaires ! En somme, il suffit d'attendre encore un peu. Au bout de quelques accidents de plus en plus graves le nucléaire pourrait être " au point " (où " à point "...)
Dans l'éditorial, une autre perle " La peur vient aussi du mystère ". C'est une prémonition de ce que quelques années plus tard les experts appelleront la radiophobie et que chez nous on baptise désormais " le risque psychologique ".
En 1979 les journalistes du journal Le Monde n'ont pas réalisé qu'aux États-Unis il n'y a plus eu de commande après 1978 et que le déclin date de 1973, bien avant l'accident de TMI. Pour eux " sans les apports de l'énergie atomique, au moins pendant un certain temps, c'est l'économie tout entière qui sombrerait au niveau du sous-développement ". Bizarre, les USA auraient commencé à " sombrer dans le sous-développement " dès 1973 ! Nous par contre, notre envolée dans le nucléaire à partir de 1974 qu'est-ce que ça nous a réussi...Leur appréciation sur l'impact de l'électronucléaire sur le chômage est intéressante à mentionner : " Un brutal changement de cap dans les programmes nucléaires augmenterait sensiblement le nombre de chômeurs ". Chez nous le nucléaire a été particulièrement envahissant et cependant il n'a pas pu enrayer la montée rapide du chômage. Il est vrai qu'un accident nucléaire grave serait certainement créateur d'emplois. Voyez le nombre de " liquidateurs " (plus de 800 000) qui ont travaillé et travaillent à tenter de " liquider " les conséquences de Tchernobyl et ce n'est pas fini.
Pour bien montrer que cet accident nucléaire de TMI n'a rien de bien grave, dans un autre article du même numéro du Monde intitulé " Sources d'énergie et grandes catastrophes ", sont énumérés les accidents " les plus spectaculaires ou les plus meurtriers des dernières décennies " qui ont marqué l'histoire de l'énergie. Pour Le Monde la marée noire de l'Amoco Cadiz en Bretagne (16 mars 1978) a été "  la plus grave catastrophe écologique de tous les temps ". Les journalistes du Monde ne pouvaient imaginer pire. Tchernobyl leur a-t-il apporté quelques éléments complémentaires d'information ? Nous verrons cela dans une prochaine " Variétés ".


Three Mile Island et l'approche probabiliste de la sûreté nucléaire
Le journal de la profession nucléaire, Nucleonics Week du 26 avril 1979 rapporte une interview du Pr Norman Rasmussen, le directeur des études dites " Wash 1400 " sur la sûreté des réacteurs nucléaires. Cet éminent expert en sûreté nucléaire a inventé l'approche probabiliste de la sûreté et du risque nucléaire. C'est le pape de la sûreté.
Les promoteurs de l'énergie nucléaire ne pouvant pas garantir une sûreté absolue de type déterministe, y ont substitué l'approche probabiliste. En usant de l'impact psychologique des petits nombres cette approche a pris le relais pour justifier une industrie dont on ne pouvait pas garantir la sûreté.
Three Mile Island a mis les pieds dans le plat : un accident d'une probabilité extrêmement faible osait se produire. Nucleonics Week (26 avril 1979), se référant aux travaux antérieurs de l'expert Rasmussen écrit : " La séquence [accidentelle qui a eu lieu à TMI] (...) devait avoir d'après Wash 1400 une probabilité de 10-7 à 10-8 par année réacteur [c'est à dire une occurrence rarissime de 1 pour 10 à 100 millions d'années-réacteur ] (...) mais comme Rasmussen l'a signalé, quand les opérateurs laissent fermées les valves de contrôle de l'alimentation en eau, alors cette probabilité se change en 1 par année-réacteur et c'est ce qui est arrivé " .
Curieux. En analyse probabiliste on est supposé prendre en compte la totalité des événements possibles. Mais il semble bien, d'après cet aveu du père de l'approche probabiliste du risque nucléaire, que les experts, lorsqu'ils qualifient les accidents graves en lançant ces chiffres rassurants de probabilités si faibles qu'on a tendance à les considérer comme impossibles, n'ont pas tenu compte de certains événements (mais est-ce possible d'inventorier la totalité du possible ?).
En somme on peut résumer l'approche probabiliste de Rasmussen de la façon suivante : si tout se passe bien il n'y aura pas de problème, les probabilités que nous avons calculées en sont la preuve. Mais si cela se passe mal, alors je ne peux rien garantir!


" Accident nucléaire ? Vite, une pastille "
C'est le titre d'un article de la Nouvelle République du 8 novembre 1996 qui commente la décision de distribuer des pastilles d'iode stable aux habitants près des centrales nucléaires. En conclusion le journaliste cite des propos tenus par le sous-préfet de Vienne : " On a été surpris par le degré de maturité des gens. En faisant une démarche volontaire, ils sont devenus acteurs de leur propre protection [souligné par nous]. Plus on parle du risque, plus il est partagé [sic] ".
En somme, maintenant que les gens sont en possession de leur pastille ce sont eux qui sont maîtres de leur sécurité. Après un accident nucléaire, s'il leur arrive quelque chose ils en seront responsables.
A en croire le sous-préfet, avant que ces pastilles n'aient été distribuées seules quelques personnes couraient un risque en cas d'accident. Qui ? EDF, la préfecture ? La population était hors du risque. Après la distribution des pastilles ces quelques personnes à risque réussissent à le partager avec toute la population. En somme, d'après les propos du sous-préfet, refuser la pastille c'est refuser le risque ! A entendre ce genre de stupidité chez des gestionnaires qui devraient intervenir en cas d'accident on peut craindre le pire.
La publicité est-elle néfaste ?
Un groupe de professeurs se sont insurgés contre certaines campagnes publicitaires. Leurs propos ( Le Monde, 15 novembre 1989) ne manquent pas de pertinence. En voici quelques extraits :
" Les responsables politiques sont inhibés par les groupes de pression économiques et sociaux ainsi que par la crainte de déplaire aux médias et aux publicitaires qui assurent leur promotion personnelle. Cette dérive est dans la logique d'une société où la fausse communication publicitaire tient lieu de présentation objective de la réalité et où le téléviseur remplace l'instituteur ".
" L'État "rationnel" est remplacé par un groupe de pression supplémentaire qui, au nom de l'efficacité et du développement économique, met en péril la société par son inaptitude à préserver ses qualités fondamentales : la transparence, le respect de l'avis majoritaire et tout simplement une morale ".
" La démarche publicitaire est une manipulation destinée à contourner les défenses logiques d'un citoyen ".
EDF, Framatome, CEA, ANDRA, COGEMA sont-ils dans le collimateur de ces professeurs ? Non, il s'agit du tabac et de l'alcool.
Parmi les signataires, le Pr. Maurice Tubiana propagandiste sans réserve de l'industrie nucléaire. Les campagnes publicitaires, les colloques-bidons, les visites payées organisées par les grands de l'industrie nucléaire n'ont jamais gêné ce professeur qui n'hésita pas à souligner, avec une pointe d'envie, que " l'efficacité de M. Goebbels était redoutable " (Gazette Nucléaire n117/118, août 1992, p. 18).


Des épidémiologistes français ne peuvent-ils témoigner que masqués ?
Le Monde du 2 août 1997 commente sous le titre " Surmortalité par leucémie près des centrales nucléaires. Les résultats d'une étude britannique l'indiquent, une étude publiée dans la revue scientifique "British Medical Journal" ".
Nous pouvons constater que cette fois-ci les brillants officiels de l'INSERM n'ont pas osé affronter le ridicule en bavant sur cette revue scientifique comme ils l'avaient fait à l'occasion de la publication de l'étude de Jean-François Viel sur les leucémies de La Hague. Jean-Yves Nau, l'auteur de l'aricle, ne mentionne pas le mutisme des officiels de l'INSERM. Par contre il cite un " épidémiologiste spécialiste des rapports entre le nucléaire et l'environnement " qui lui déclare :  " Ce travail me semble très intéressant. La démarche est originale et les conclusions sont frappantes. Il fournit une nouvelle preuve de l'intérêt qu'il peut y avoir à conduire des enquêtes statistiques dans ce domaine ".
Qui est cet épidémiologiste ? Nous ne le saurons pas car il est intervenu " sous le couvert de l'anonymat ". Là encore, aucun commentaire du journaliste. Liberté du scientifique ? Mais alors que penser de ces scientifiques qui n'ont pas besoin, eux, pour survivre, d'être protégés par l'anonymat ? L'INSERM, organisme scientifique ou organisme aux ordres ?
L'industrie nucléaire n'est pas la seule activité protégée par l'INSERM. Combien de temps a-t-il fallu pour que le sida soit reconnu comme un danger en France ? Et les cancéreux de l'Institut Pasteur ? Le sang contaminé ? L'INSERM vient enfin d'oser publier un rapport sur l'amiante et braver le ministre. Quelle est la contribution de l'INSERM dans l'étude des cancers professionnels au CEA, à EDF ? Qui a contribué à enterrer l'étude sur l'excès flagrant de cancers du poumon et du larynx chez les mineurs d'uranium français ? Et le radon dans les habitations quand l'INSERM s'en inquiétera-t-il ?


Un nouveau risque nous menace : le risque psychologique
Un institut s'est créé il y a quelques années, l'Institut européen des Cyndiniques (IEC). Cyndinique vient du grec Kindunos, le danger. Les cyndiniques sont donc des experts du danger.
Dans un texte du 18 juin 1997 annonçant un colloque organisé par l'IEC il est précisé :  " L'IEC s'interroge sur les nouveaux risques auxquels toutes les composantes de la société dont l'entreprise [souligné par le cyndinique de service] auront à faire face dans les prochaines années ".
L'industrie moderne avec tous les risques d'accidents graves pourrait donc faire courir un nouveau danger pour ses propres entreprises. Logique curieuse, comment une entreprise peut-elle se développer en se mettant elle-même en danger ? Évidemment le danger vis-à-vis de l'entreprise qui aurait causé une catastrophe ou qui peut la causer, ne vient pas de l'entreprise elle-même mais de l'extérieur, des individus, de la société, des "turbulences sociales".
La Lettre des Cyndiniques n18 de mars 1996 indique qu'au cours d'un colloque (6-7décembre 1995) un représentant des cyndiniques, G. Y. Kervern " introduit la notion de risque psychologique majeur ". Ce nouveau risque nous menace-t-il ou menace-t-il les responsables des risques objectifs et de ceux qui auront à les gérer ? On pourrait dire que les cyndiniques sont les experts du danger mais aussi sont des experts en danger ?


Qu'attendent les généticiens pour se rendre utiles à l'industrie nucléaire !
Il est évident que les effets biologiques du rayonnement sont un handicap très pénalisant que certains trouvent inadmissible pour le développement de l'industrie nucléaire.
Il a été assez rapidement observé que les effets du rayonnement, pour des doses identiques, dépendaient très fortement des individus. Ainsi :
" Si l'on était capable d'analyser les mécanismes en jeu et de donner pour chaque individu, la valeur des différents temps de latence génétiques [il s'agit ici du temps qui s'écoule entre l'irradiation et l'apparition d'un cancer radioinduit], on pourrait établir, par individu, un profil de risque et sélectionner les travailleurs soumis au risque carcinogène. Les implications sont suffisamment importantes pour que les expérimentations des prochaines années en cancérogénèse radioactive soient consacrées à l'étude de ces mécanismes ".
Ce texte a été écrit par Jean-Claude Nénot, adjoint au chef de service de la Protection Sanitaire - Département de Protection, CEA, et Jacques Lafuma, chef de la Section de Pathologie et de Toxicologie Expérimentales - Département de Protection, CEA. Il a été publié dans la Revue Générale Nucléaire (RGN) n3, mai-juin 1976.
Ces deux experts ont fait partie de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) et leur patron, le Dr. Jammet a siégé à la CIPR pendant plus de 30 ans. Ces spécialistes-experts en Protection sanitaire au CEA, rêvent d'une race d'hommes sélectionnés pour leur insensibilité au rayonnement. Ont-ils effectué des recherches dans cette direction ? Les développements foudroyants en biologie génétique ont dû réveiller en eux leur vieux fantasme. Sont-ils intervenus auprès des généticiens pour orienter des recherches dans ce sens ? Construire ces hommes nouveaux ce serait tout de même plus important que de cloner une vulgaire brebis ! Tchernobyl avec ses multiples irradiés a dû les intéresser. Il y avait là certainement tout un vivier génétique particulièrement intéressant pour la mise au point de cette race nouvelle qu'ils rêvaient de développer.


L'université catholique de Lyon s'intéresse à "une éthique de l'énergie nucléaire"
C'était en 1990 et nous allons faire référence aux Cahiers de l'Institut Catholique de Lyon.
Le Recteur de l'Université Catholique de Lyon, Monseigneur Gérard Defois, précise les motivations de ce groupe de réflexion EDF/Framatome/Université Catholique de Lyon sur l'éthique nucléaire : " Quelques comportements d'ecclésiatiques au cours des cinq dernières années lors de problèmes locaux ont fait craindre à des responsables d'EDF une réaction "globalement négative" des autorités religieuses en cas d'incidents graves. Pour prévenir les malentendus il leur a paru bon d'informer avec exactitude et de dialoguer de façon approfondie ".
Bien sûr Mgr Defois a obtempéré à EDF, reconnaissant ainsi que des ecclésiastiques locaux étaient peut-être incapables d'avoir un jugement "positif" sur les problèmes nucléaires cncernant les "incidents graves". La hiérarchie catholique condamne sa base sur l'injonction d'EDF. Signalons en passant que les "incidents graves" préoccupent EDF.
Mgr Defois transcrit sans originalité la problématique des décideurs EDF :
" La non-information favorise la désinformation et les réactions collectives de peur ou de refus que l'on a connues en divers pays. Elles génèrent l'angoisse et la dramatisation des risques " et il insiste : " La question de l'information nous est apparue une donnée essentielle pour une responsabilité publique en ce domaine " c'est pourquoi cette haute autorité ecclésiatique s'est tournée vers EDF pour obtenir l'information rassurante capable de tranquilliser ses ouailles. Il affirme la " nécessité de maîtriser à la fois la peur, l'insécurité et le progrès en tant que développement de l'homme ". Et pour cela il va chercher ses informations auprès de gens qui sont payés par EDF pour rassurer. Il ne semble pas capable de s'interroger afin de savoir s'il est raisonnable d'être anxieux quand la situation est grave.
Mgr Defois, représentant d'une morale qui a fait ses preuves n'est pas insensible aux problèmes sociaux de l'emploi : " Nous ne pouvons en même temps proclamer le droit de tous à l'emploi et au développement, et bloquer artificiellement les avancées scientifiques qui permettent la multiplication des biens et de la puissance de production ". Ainsi toute critique de ce "progrès" ne serait qu'artificielle même en cas d'"incident grave" ! Et la morale chrétienne se réduira à un vulgaire avantage pour l'emploi, sans se préoccuper de la qualité de ce genre d'emploi qu'EDF fait miroiter. Signalons que 800 000 "liquidateurs" ont eu un emploi après Tchernobyl. Mais qui s'inquiète de l'état de santé des liquidateurs ?
Il est assez important de détailler un peu la discussion, lors de ce colloque, entre les gestionnaires du nucléaire (payés par EDF pour cette tâche) et des représentants de la hiérarchie catholique.
Le titre de l'intervention de Bruno-Marie Duffé, chargé de cours à la Faculté de Théologie de l'Université Catholique de Lyon, est significatif : L'opinion publique : de l'ignorance à la peur. Pour cet universitaire la peur est le résultat de l'ignorance. Il fait référence à l'imaginaire, à "l'épée de Damoclès", mais ne semble guère préoccupé par les risques réels d'une catastrophe nucléaire, risques qui peuvent faire peur d'une façon tout à fait rationnelle.
Pour ce personnage, " La peur naît de la conjoncture de plusieurs perceptions dont le trait commun est la non maîtrise du réel ". Est-il si déraisonnable d'avoir peur quand vous ne pouvez intervenir en rien sur ce qui peut vous arriver de catastrophique ? Et bien sûr il fait référence au traumatisme de "l'inoubliable blessure d'Hiroshima". Pourquoi ne fait-il pas référence à des déclarations d'août 1945 de la hiérarchie catholique française contre l'usage des bombes A dont furent victimes les Japonais ? Tout simplement parce que cette hiérarchie fut totalement muette, trop préoccupée à essayer de se dédouaner de sa collaboration ouverte avec l'occupant nazi.
Mais cet ecclésiatique n'est pas naïf, il reconnait les problèmes : " Nous sommes malades de cette incapacité à concilier le discours commercial qui nous invite à consommer notre électricité nucléaire et le discours éthique qui nous ouvre à nos responsabilités humaines, au devenir de l'homme, du monde et des peuples ". Cela ne l'empêche pas de collaborer avec les représentants du discours commercial au détriment d'une responsabilité éthique. Pour lui il n'est pas question de trancher entre le discours commercial et l'éthique : " En aucun cas il ne s'agira pour nous de céder le pas à une nouvele idéologie qui prétendrait apporter le dernier mot au débat et ainsi résoudre la tension entre la position réaliste et amorale de la technoscience et la sensibilité humaniste et volontiers moralisatrice de l'opinion critique spontanée ".
En somme, sur le problème des dangers de l'énergie nucléaire, [qui impliquent non seulement les personnes qui subissent l'accident mais aussi leurs descendants avec les déchets nucléaires] ce responsable catholique refuse de prendre parti entre l'aspect commercial du problème et la responsabilité éthique. Pour lui les problèmes ne sont pas tant d'être "résolus" mais d'être "assumés". C'est une démission totale de la responsabilité éthique qui laisse le pouvoir de décision aux décideurs commerciaux.


L'efficacité dans l'information du public

A l'Hôtel Intercontinental à Paris s'est tenu, les 13, 14 et 15 janvier 1977, un très sérieux colloque sur le thème : " Implications psychosociologiques du développement de l'industrie nucléaire " Cette brillante réunion a donné lieu à un épais compte rendu des débats de 562 pages, édité par la Société Française de Radioprotection. Nous conseillerons volontiers à nos lecteurs de lire cet ouvrage, malheureusement son prix élevé est assez dissuasif. Mais rassurez-vous, nous essaierons de vous en dégager les meilleurs morceaux.

Cependant, nous ne résistons pas au plaisir de vous donner un extrait de la dernière page où M.
le professeur Tubiana clôt ces journées studieuses :
" Un des points qui ressort de ces débats est la nécessité pour les scientifiques de reconsidérer la façon dont est faite l'information. Il faut que nous cessions de voir celle-ci à travers un schéma simpliste et rationaliste, mais l'acceptions telle qu'elle est. Il est nécessaire que nous réfléchissions sur la façon dont nous considérons le public, il faut que nous étudions la façon dont se forme l'opinion publique, et la façon dont doit être abordée l'information du public, en tenant compte de l'existence des mythes, sans sous-estimer leur importance et leur influence, et en sachant qu'il est toujours plus difficile d'extirper une idée fausse, d'empêcher la propagation d'un mythe, que de répandre des informations exactes. "
Après tout, cela n'est pas faux, il faut en effet réfléchir à la façon de faire comprendre aux technocrates que le salut par le nucléaire c'est un mythe (au sens de M. Tubiana). Mais poursuivons la lecture :
" Il faut que nous recherchions l'efficacité dans l'information du public au lieu de nous contenter d'une information éthérée parfaitement satisfaisante mais inintelligible ou inefficace. Au début de la dernière guerre, il y avait en France un Ministre de l'information qui s'appelait M. Giraudoux et en Allemagne un Ministre de l'information qui s'appelait M. Goebbels. Sans aucun doute, Jean Giraudoux était beaucoup plus intelligent, beaucoup plus subtil que M. Goebbels, et l'écouter était un délice, mais je crains que M. Giraudoux n'ait jamais fait changer d'opinion à une seule personne, alors que l'efficacité de M. Goebbels était redoutable. "
Nous ne ferons pas de commentaires, cela serait superflu !... Et pour ne pas nous faire accuser de couper au bon endroit, nous vous donnons la fin du texte :
" Sans faire de transposition, c'est une leçon dont il faut se rappeler. L'information doit être honnête et elle doit être rigoureuse. Mais il ne faut pas non plus oublier qu'une information, pour être efficace, doit s'effectuer selon certaines règles et qu'on ne peut pas négliger ces règles. C'est pourquoi tout ce qui peut nous aider à comprendre comment se construit une opinion publique, comment chemine l'information, est à la fois utile et intéressant si l'on veut éviter que ne s'approfondisse le fossé entre les scientifiques et l'opinion publique. "
La Gazette Nucléaire n° 20 septembre 1978




Le nucléaire et la stabilité de l'emploi


Deux petits textes parus dans le Canard Enchaîné (25 juin 1997 et 9 juillet 1997) tentaient de rassurer les manifestants de Malville contre la fermeture de Superphénix. Le Canard précisait " La durée de vie du plutonium étant de 24 000 ans il y aura des boulots de vigiles pour ... 240 siècles ". En réalité au bout de ces 240 siècles seule la moitié du stock de plutonium aura disparu et il ne serait pas prudent de laisser ce qui reste sans surveillance. Après 2400 siècles le stock aura notablement diminué, il n'en restera plus que 0,1%.
Serait-il alors prudent de licencier les vigiles ? Non car quand le plutonium 239 disparaît il donne naissance à de l'uranium 235. Ce radioélément n'est pas officiellement classé parmi les radioéléments à forte radiotoxicité mais il a, parmi ses descendants, le protactinium 231, redoutable radiotoxique (plusieurs fois plus radiotoxique que le plutonium) qui sera présent dans le stock avec sa ribambelle de descendants tous bien dangereux, tant qu'il y aura de l'uranium 235 présent.
De plus cet uranium 235 est un excellent produit pour confectionner des bombes de bonne qualité (voir l'effet sur Hiroshima). La moitié de l'uranium 235 ne disparaît qu'au bout de 7 millions de siècles et au bout de 70 millions de siècles le stock aura beaucoup diminué il n'en restera plus que 0,1% de la quantité initiale. On pourrait alors envisager le licenciement des vigiles mais pas avant d'avoir fait quelque chose pour empêcher le gros paquet de plomb du bout de la chaîne de polluer définitivement la région. Voilà qui devrait réjouir tout ceux qui sont à la recherche d'un "développement durable" pour limiter le chômage...



Le nucléaire et les gouvernements socialistes


Les gouvernements socialistes sous Mitterrand après la victoire de 1981 ont démarré les travaux sur 15 réacteurs nucléaires soit 22,4% du parc actuel. Si l'on tient compte de la puissance de ces réacteurs socialistes ils représentent 33% de la puissance électronucléaire installée en France.
Rappelons que le parti socialiste signait en 1979 avec huit autres organisations une pétition nationale exigeant quelques mesures radicales dont " la suspension du programme électronucléaire actuel tant que le débat démocratique n'aura pas été conduit à son terme ". La pétition exigeait aussi la levée du secret entourant l'énergie nucléaire.
C'était avant les élections qui portèrent la gauche au pouvoir. En fait de débat démocratique on a eu quelques débats bidons où les problèmes spécifiques de l'énergie nucléaire n'ont pas été posés en particulier la possibilité d'un accident majeur sur nos réacteurs. Il est vrai que les élus socialistes ne sont pas les seuls responsables, il ne faudrait pas oublier la responsabilité (voire la complicité) des médias. Et après le traditionnel " On a gagné, on a gagné ", le programme nucléaire s'est poursuivi pour atteindre le record mondial de surcapacité.
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/intro_variete.html



* Bella et Roger Belbéoch, nés en 1928, sont physiciens, ingénieurs ESPCI.
Roger Belbéoch a travaillé dans un laboratoire universitaire de recherche (Orsay, Paris-Sud) et s'est spécialisé dans les accélérateurs de particules et la physique des faisceaux de haute énergie. Bella Belbéoch, ingénieur-docteur, a travaillé au Centre d'Etudes Nucléaires de Saclay (CEA) et étudié par rayons X les propriétés structurales des solides tant en recherche appliquée que fondamentale.
Utilisateurs d'installations productrices de rayonnement ils se sont intéressés aux effets biologiques des rayonnements ionisants qui, depuis plus de 25 ans, sont à l'origine de leur questionnement sur les dangers de l'énergie nucléaire. Auteurs de Tchernobyl, une catastrophe, (Éd. ALLIA, Paris 1993), et de nombreux articles dont Société nucléaire (R. Belbéoch, Les Notions philosophiques, PUF, 1990) ils collaborent à la Gazette Nucléaire, revue éditée par le GSIEN, Groupement de Scientifiques pour l'Information sur l'Energie Nucléaire.


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