Violences
faites aux femmes :
ces invisibles
qui échappent à la mort
mais restent blessées à vie
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En France, de nombreuses femmes restent lourdement blessées ou handicapées à vie après avoir subi des violences conjugales. Faute de données sur ces victimes, ce que déplorent de nombreuses associations, elles sont devenues invisibles. Une ex-infirmière en neurochirurgie raconte la prise en charge de ces victimes.
L'an dernier en France, tous les trois jours, une femme est morte sous les coups de son conjoint ou ex-partenaire, soit 102 au total, d'après les chiffres du collectif Féminicides par compagnons ou ex. Si le décompte des féminicides a gagné en précision depuis quelques années, celui des femmes restées gravement blessées après avoir reçu des coups dans le cadre conjugal reste lacunaire. Ni l'Observatoire des violences faites aux femmes, ni les associations de défense des droits des femmes n'ont de données chiffrées. Et pourtant le phénomène existe bel et bien.
"Il y a Lola, tabassée il y a 10 ans par son conjoint, hémiplégique, le regard vide, figé, vouée à passer sa vie entre alitement et 'fauteuil confort'", raconte Caroline Couppey. Cette infirmière et illustratrice a travaillé entre 2014 et 2021 dans un service de neurochirurgie en Île-de-France. "En sept années, je peux dire qu'au moins une dizaine de cas de violences conjugales ont donné lieu à des handicaps graves avec de profonds trauma crâniens. Rien que pour un service comme le mien qui comptait 35 lits. Je trouve cela énorme".
Lorsque les femmes arrivaient en neurochirurgie à la suite de violences conjugales, le personnel soignant était informé "soit par la famille, soit par les pompiers", se rappelle Caroline Couppey. "On prenait soin d'elles pendant des mois voire des années, c'était très dur".
"Emprisonnée dans ce corps"
De ces années, l'ex-infirmière en neurochirurgie a tiré une série de dessins, couchés sur le papier pour exorciser et redonner une visibilité à ces femmes abîmées : Sophia, Lola, Emilie, Pascale, Monique, Louise. "Aucune de ces histoires n'est tirée de mon imagination, j'ai mis bout à bout chaque témoignage de mes collègues et des patientes que j'ai suivies moi-même", dit-elle.
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"L'une de celles qui m'a le plus marquée est Louise", se remémore Caroline Couppey. "Cette femme avait tellement de lésions cérébrales qu'elle ne pouvait plus parler. Elle était immobile et crispée, comme un fœtus. Autrefois, Louise aimait danser, elle faisait du ballet. On savait qu'une procédure était en cours contre son mari. Sa famille était révoltée de le savoir, lui, encore libre, et elle, emprisonnée dans ce corps".
Certaines de ces patientes sont décédées, comme Emilie,
morte d'une méningite bactérienne liée aux multiples chirurgies
pratiquées. "C'est dramatique, car c'est à cause des violences que ces
femmes meurent. Mais la raison du décès invoqué est 'complications'".
Dans ses dessins, Caroline Couppey rend aussi hommage à Monique, presque entièrement paralysée. Cette septuagénaire s'est retrouvée dans cet état après avoir chuté dans les escaliers. "Elle avait été victime de violences conjugales mais n'avait jamais porté plainte, nous a confié un jour sa fille, qui lui rendait régulièrement visite". Dans le service, les infirmières sont mal à l'aise. Monique, qui n'arrive plus à parler de façon claire, pleure tout le temps. Son mari lui rend visite tous les jours. "C'était sans doute lui l'agresseur, mais c'est aussi lui qui s'occupait d'elle. C'était terrible à gérer au niveau des visites".
Handicapée et dépendante de son conjoint
Une situation problématique explique Claire Desaint, vice-présidente de l'association d'aide aux femmes handicapées Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir. "Une fois handicapée, la femme sera d'autant plus dépendante de son conjoint. Et des études récentes montrent que lorsque des femmes ont un handicap, cela aggrave encore le risque de subir des violences".
Cette association, qui dispose d'une ligne d'écoute plusieurs jours par semaine, reçoit aussi des appels de femmes handicapées à la suite de coups portés par le conjoint. "Il y a des femmes qui deviennent sourdes après des coups au visage parce que ça heurte le tympan, ou aveugles si elles tombent sur le nerf optique ou reçoivent un coup dans l'œil", énumère Claire Desaint.
"Au bout du fil, on nous raconte des choses de plus en plus dures : les chutes dans les escaliers, les coups dans le ventre pour des femmes enceintes." La vice-présidente de l'association se souvient d'une rencontre récente avec une femme "frappée au visage avec un fer à repasser".
Lancer une grande enquête nationale
"Il faut lancer une enquête nationale sur le sujet", préconise Claire Desaint, "sans compter l'impact psycho-traumatique pas pris en charge de façon adaptée. Or, cela peut entraîner des handicaps psychologiques, parfois des addictions, avec la même importance que pour des personnes victimes d'attentat".
D'autres associations de défense des droits des femmes sont du même avis. "C'est frustrant et inquiétant. Plusieurs études sur les violences faites aux femmes parlent dans leurs limites de l'absence de données sur les tentatives de féminicides", relève Fabienne El-Khoury, du collectif Osez le féminisme.
Plusieurs freins empêchent de mesurer l'étendue de ces violences. En France, huit femmes victimes de violence sur dix ne portent pas plainte, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes. "Les victimes sévèrement handicapées seront encore moins à même de le faire si elles dépendent de leur conjoint", estime la militante.
"Nous devons nous pencher du côté de l'hôpital pour faire un recensement des victimes, notamment les urgences, où la situation de femmes battues peut-être découverte lors d'un passage dans ce service", suggère Fabienne El-Khoury. "J'espère qu'un jour ce sera possible, sachant que les services hospitaliers, on le sait, sont débordés".
Pour
Pauline Baron, de Nous toutes, l'absence de statistiques est encore trop
fréquent dans le domaine des violences faites aux femmes. "C'est aussi
une façon de maintenir dans le flou", estime la militante, "pour éviter
de rendre compte de l'ampleur de ces violences et ne pas avoir à
débloquer des fonds pour intervenir".
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