Fin de vie :
les dérives,
c’est en France
qu’elles existent…
La situation française est préoccupante...
Jeudi 14 avril 2022
« Vous savez, en réanimation, j’ai fait comme tous mes collègues, j’ai arrêté des respirateurs. Souvent sous la pression car il fallait libérer des lits. C’était illégal. » (Dr Jean Leonetti, rapporteur de la loi sur la fin de vie de 2016, opposant à la légalisation de l’aide active à mourir à la demande d’un patient en fin de vie.)
Selon un rapport de l’Institut national des études démographiques
(Ined), 0,8% des décès, en France, sont le fait de « l’administration
d’un médicament létal ». Seulement les trois quarts de ces décès par
« administration d’un médicament létal » font suite à une demande du
patient en fin de vie.
En l’état actuel du droit français, un meurtre (c’est-à-dire
l’action de tuer volontairement un être humain) commis avec
préméditation est puni de la réclusion criminelle à perpétuité (article
221-3 du code pénal). Pourtant, aucune suite n’a jamais été donnée à ces
actes.
Sous couvert de compassion – et parfois, comme dans le cas du Dr
Jean Leonetti, de facteurs économiques ou matériels – des gestes d’aide
active à mourir sont accomplis pour des patients dont on suppose qu’ils
sont arrivés au bout de leur vie, pour lesquels la médecine serait
impuissante à apporter un traitement curatif. On le suppose, mais ces
gestes étant clandestins, nous n’en avons aucune certitude car ils ne
sont pas documentés. Ce qui est certain, c’est que l’Ined reconnaît
officiellement que 0,2% des décès étudiés sont le fait de
« l’administration d’un produit létal » sans (notez, le « sans »)
demande du patient lui-même. Rappelons à ce stade que le patient en fin
de vie, dès lors qu’il est un citoyen capable, peut légalement
s’exprimer soit directement, soit par l’intermédiaire de ses directives
anticipées, soit par l’intermédiaire de sa personne de confiance s’il
n’est plus en mesure de le faire lui-même.
Nous pouvons retourner ces faits dans n’importe quel sens, ils
illustrent à eux seuls – et de manière récurrente – les dérives que la
loi du 2 février 2016 n’arrive pas à endiguer. Pourquoi ? Parce que la
loi actuelle sur la fin de vie, en ne plaçant pas le patient en fin de
vie au cœur de toutes les questions qui le concernent, en refusant
d’ouvrir le champ des possibles, laisse certains patients en fin de vie
dans une impasse et certains médecins, compréhensifs et compatissants,
devant le dilemme suivant : respecter la loi et laisser agoniser son
patient, ou outrepasser la loi et accompagner humainement son patient
dans la mort. Certains médecins ont été dénoncés après avoir commis des
gestes de compassion et ont vu leur carrière brisée. Cela fait
réfléchir…
Par ailleurs, il n’existe en France aucun organisme qui contrôle
les décisions de fin de vie ; des commissions de contrôle qui existent
dans tous les pays qui ont légalisé la pratique de l’euthanasie.
Les pays qui ont légalisé l’aide active à mourir, qu’il s’agisse
d’euthanasie ou de suicide assisté, ont ouvert le champ des possibles.
Le patient en fin de vie peut librement choisir les conditions de sa
propre mort, entre obstination raisonnable, soins palliatifs, sédation
terminale et aide active à mourir. Les soignants peuvent librement
accepter ou non de suivre leur patient sur ce chemin.
En matière d’avortement, il est toujours préférable pour une femme
qui ne veut pas devenir une mère de s’adresser à la médecine, dans le
cadre d’une loi, sous le contrôle de la justice qui veille, plutôt que
de se débrouiller avec des « faiseuses d’anges », plus ou moins habiles,
avec les risques – parfois de mort – que l’on connaît, et toujours
contre rémunération.
Il en est de même en matière de fin de vie. La mort étant la seule
certitude de la vie, dès lors qu’elle se profile, il est préférable que
les personnes qui le souhaitent puissent bénéficier d’une aide active à
mourir dans le cadre d’une loi plutôt que de bénéficier de la
compréhension clandestine de médecins qui se mettent en danger ou de
subir les petits arrangements et les petits trafics de faiseurs de mort,
souvent rémunérés, bien trop souvent des charlatans qui vendent de la
mort-aux-rats en la faisant passer pour autre chose…
Dans les pays qui l’ont légalisée, l’aide active à mourir reste
toujours un acte singulier. Aucun soignant qui la pratique ne le fait le
cœur léger. Mais il le fait avec la certitude de celui qui fait preuve
de respect à l’égard de son patient et d’abnégation. Il le fait avec
d’autant plus de certitude que la pratique est codifiée et surveillée.
Les aides actives à mourir (euthanasie ou suicide assisté) ne sont
alors autorisées qu’au regard de critères très précis (aux Pays-Bas, on
les appelle les critères de minutie). Ils portent sur la relation du
patient au pays, sur son âge, sur l’état d’avancement et la gravité de
sa pathologie, sur l’engagement de son pronostic vital, sur le nombre de
médecins engagés dans la procédure et leur spécialité. Ces critères
sont cumulatifs. Si tous ne sont pas remplis, l’aide active à mourir ne
sera pas accordée.
Dans les pays qui ont légalisé l’aide active à mourir, une
commission de contrôle examine ensuite chaque acte. Le cas échéant,
cette commission rapporte les faits suspects à la justice. Cela arrive,
parfois. Cela reste rare. Il faut en effet remonter à 2015, en Belgique,
pour trouver la transmission d’un dossier à la justice, à la suite d’un
élément faisant douter du respect des conditions essentielles de la
loi.
En Suisse – où l’euthanasie reste interdite mais où le suicide
assisté est autorisé – chaque accompagnement de fin de vie pratiqué par
l’une des six associations qui œuvrent dans ce domaine fait l’objet
d’une information à la police locale, laquelle se déplace pour effectuer
les constatations. Dans tous les cas, un médecin légiste pratique une
autopsie pour confirmer les raisons du décès. Ces éléments sont ensuite
transmis à la justice qui a le choix de poursuivre ou non. Cela arrive,
parfois. Cela reste rare. La présidente de Lifecircle a été condamnée à
une peine de prison avec sursis pour violation de la loi sur les
produits thérapeutiques pour des faits survenus en juin 2016. En avril
2017, une affaire de suicide assisté a conduit le vice-président
d’Exit-Suisse romande devant la justice du canton de Genève qui l’a
condamné à une peine de 120 jours-amendes avec sursis ; une condamnation
annulée ensuite par le tribunal fédéral.
Il faut être bien ignorant et, surtout, de mauvaise foi pour
prétendre que l’absence de loi, avec ses arrangements et ses trafics,
est préférable à une loi votée par des parlementaires. La loi, parce
qu’elle est soumise au contrôle de l’Etat et donne lieu à des rapports,
protège les citoyens des dérives systémiques. Alors que l’absence de loi
ne permet ni le contrôle ni les rapports, et engendre les dérives.
Observons que les lois de légalisation de l’aide active à mourir
n’existent que dans des démocraties (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg,
Suisse, Autriche, Espagne, Etats-Unis, Canada, Australie…). Aussi parce
que c’est dans les démocraties que la police et la justice œuvrent pour
les citoyens. La légalisation de l’aide active à mourir, comme
l’interruption volontaire de grossesse ou le mariage entre personnes de
même sexe, est un marqueur du respect de l’individu au niveau social.
N’a-t-on jamais vu une dictature promouvoir des lois sociétales qui
permettent l’autodétermination des citoyens ?
PhL
Source : https://www.admd.net/articles/decryptages/fin-de-vie-les-derives-cest-en-france-quelles-existent.html?utm_source=Sarbacane&utm_medium=email&utm_campaign=AVRIL%20FIN
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