LA COMMISSION EUROPÉENNE
S’APPRÊTE À CLASSER
LE NUCLÉAIRE
COMME ÉNERGIE VERTE
Bruxelles devrait parallèlement accorder au gaz le label d’énergie de transition, à l’issue de négociations en faux-semblants avec Paris et Berlin.
La centrale nucléaire de Chinon, sur le territoire de la commune d’Avoine (Indre-et-Loire), en juillet 2020.
Ce devait être tranché avant la fin de l’année. Lors du conseil européen des 21 et 22 octobre, les chefs d’État et de gouvernement européens avaient pressé la Commission de décider, d’ici à la fin novembre, du sort qui serait réservé au nucléaire et au gaz dans la taxonomie, ce classement des activités économiques en fonction de leurs émissions de CO2 et de leurs conséquences sur l’environnement. Ursula von der Leyen, la présidente de l’exécutif communautaire, avait promis que ce serait chose faite avant leur prochain rendez-vous, prévu le 16 décembre.
A l’heure où les Européens ont décidé d’atteindre la neutralité carbone en 2050, où la dépendance au gaz russe inquiète, et où les prix de l’énergie flambent, il s’agit là d’un enjeu crucial
Il n’en a finalement rien été. L’ancienne ministre d’Angela Merkel, qui gère le dossier en direct avec Paris et Berlin depuis qu’elle s’est fait bousculer par les Vingt-Sept, n’a en effet cessé de repousser son arbitrage, qu’on attend désormais pour janvier. Elle devrait finaliser sa proposition d’ici au 30 décembre, afin de la soumettre (pour simple avis), comme le veut la procédure, à un groupe d’experts. Et, si tout se passe comme prévu, la Commission présentera son projet le 18 janvier.
De la décision de Bruxelles dépendra la capacité des secteurs du nucléaire et du gaz à financer leurs futurs investissements. À l’heure où les Européens ont décidé d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément à l’accord de Paris, où la dépendance au gaz russe inquiète de plus en plus, et où les prix de l’énergie flambent, il s’agit là d’un enjeu crucial.
Lire aussi (2018) : Les États européens trouvent un accord sur la classification des activités économiques « vertes » (Article réservé à nos abonnés)
« Nous sommes très proches de la finalisation de notre travail sur [la taxonomie], qui inclura à la fois le gaz et le nucléaire », a affirmé le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, dans un entretien au quotidien allemand Die Welt, le 17 décembre. Dans les grandes lignes, « l’arbitrage politique est arrêté », abonde un diplomate. Il semble, en effet, acquis que l’atome sera considéré comme une énergie verte et le gaz comme une énergie de transition. Mais à certaines conditions, qui, elles, restent encore à caler et qui s’apparentent à un véritable casse-tête chinois pour Ursula von der Leyen.
Une affaire stratégique pour la France
La taxonomie, « c’est un tout petit sujet », a voulu minimiser Olaf Scholz, lors d’une conférence de presse commune avec Emmanuel Macron, à l’issue du conseil européen du 16 décembre. Le chancelier allemand a confié à l’un de ses interlocuteurs qu’il ne « va pas embêter Emmanuel avec ça ». Le président français, lui, est à la manœuvre depuis des mois pour défendre la cause du nucléaire, arguant sans relâche qu’il s’agit là d’une énergie bon marché, à bas carbone et stable, ce qui est précieux, en ces temps de lutte contre le réchauffement climatique et de flambée des prix de l’énergie. Pour la France, qui se prépare à renouveler son parc nucléaire, l’affaire est stratégique.
Certes, mais Olaf Scholz, dont le pays a fait le choix de sortir du nucléaire, doit aussi veiller à ne pas (trop) fâcher sa coalition. Et là, la chose n’est pas simple : les Verts sont contre le nucléaire mais aussi contre le gaz, qui émet du CO2 ; le SPD, lui, peut vivre avec le gaz mais il est très remonté contre l’atome… Dans ce contexte, le chancelier ne peut se permettre de se montrer, publiquement du moins, compréhensif vis-à-vis de Paris. D’ailleurs, lors du conseil du 16 décembre, il s’est montré très ferme sur son refus d’intégrer le nucléaire dans la taxonomie. Dans ce contexte, Bruxelles doit veiller à donner des arguments à Berlin, afin que l’arbitrage final ne fasse pas imploser la toute jeune coalition allemande.
Afin de satisfaire sa majorité, « Olaf Scholz souhaite que le mot transition soit d’une manière ou d’une autre accolé au nucléaire. Le nucléaire n’est pas une énergie de transition, mais on peut considérer que les centrales de troisième génération sont une technologie de transition », explique une source européenne. Reste à savoir jusqu’à quand les investissements dans ce type d’installations seront éligibles à la taxonomie : 2040 disent certains, 2050 répond Paris, qui veut se caler sur l’échéance à laquelle l’Union européenne s’est engagée à la neutralité carbone. La Commission cherche aussi à encadrer la question du traitement des déchets qui pose problème en matière d’environnement. « Les Français recyclent déjà une partie des déchets nucléaires dans l’usine de la Hague [Manche]. La question, c’est d’aller plus loin et de définir un calendrier pour le recyclage de ces déchets », explique un diplomate.
Quant au gaz, il sera éligible à la taxonomie comme énergie de transition s’il remplace le charbon et s’il respecte certaines normes techniques. Il s’agit notamment de définir, pour les centrales, un seuil maximal d’émission de CO2 et un nombre maximal d’heures d’activité. Il faut également déterminer à partir de quelle année le gaz ne sera plus une énergie de transition.
Compromis difficile
Sur tous ces sujets, au-delà des débats entre les Verts et le SPD allemands, Bruxelles doit aussi composer avec de nombreux États membres, à commencer par les pays d’Europe de l’Est, Pologne et Hongrie en tête, qui comptent sur le gaz pour fermer leurs centrales à charbon, tout en ayant à cœur de construire une Europe moins dépendante du gaz russe. Et qui militent pour une taxonomie qui ne serait pas trop contraignante avec le gaz.
C’est donc un compromis très difficile que doit trouver Ursula von der Leyen, qui a fait du Green Deal sa marque de fabrique et qui a aussi beaucoup à perdre dans l’histoire. Tout en préservant Berlin d’une crise politique, il lui faut s’attacher à ne pas coaliser contre sa proposition des intérêts divers parmi les Vingt-Sept, qui en viendraient à représenter la majorité qualifiée nécessaire pour la faire tomber.
Berlin votera très certainement contre le texte que la Commission présentera le 18 janvier, ainsi que Vienne et Luxembourg, qui sont également farouchement antinucléaires. Mais « l’idée c’est que Berlin aura néanmoins implicitement validé la copie de Bruxelles. Ce qui veut dire que Berlin continuera à soutenir Ursula von der Leyen et que la coalition ne sera pas mise en péril », décrypte un haut fonctionnaire.
En octobre, la présidente de la Commission a pensé, un temps, qu’elle pourrait rendre son verdict avant le départ d’Angela Merkel, qui « était prête à prendre en partie le blâme », explique un diplomate. Mais Olaf Scholz a souhaité qu’il n’en soit pas ainsi. Peut-être lui arrive-t-il, aujourd’hui, de le regretter.
Par Virginie Malingre, (Bruxelles, bureau européen), publié le 28 décembre 2021
Photo en titre : La centrale nucléaire de Chinon, sur le territoire de la commune d’Avoine (Indre-et-Loire), en juillet 2020. GUILLAUME SOUVANT / AFP
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