La Guyane ébranlée
par un nouveau projet
de mégamine à ciel ouvert
25 mai 2020 / Hélène Ferrarini (Reporterre)
Après la Montagne
d’or, les opposants guyanais à l’industrie minière doivent repartir au
combat. La commission départementale des mines a rendu un avis favorable
à une nouvelle mégamine d’or à ciel ouvert, nommée Espérance. Une
preuve de plus du blanc-seing donné aux industriels de l’extraction
minière par l’État.
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Il aura fallu moins d’un an pour qu’un nouveau projet de mine d’or industrielle fasse parler de lui en Guyane. En mai 2019, le gouvernement rejetait le projet controversé de la Montagne d’or ; en avril 2020, un projet d’une envergure comparable inquiète déjà ceux qui se mobilisent contre l’extraction industrielle de l’or. Il s’appelle Espérance, du nom du site où il se trouve dans l’ouest de la Guyane, à une dizaine de kilomètres du fleuve Maroni, frontière avec le Suriname et bassin de vie de dizaines de milliers d’habitants. But de l’opération : l’extraction de vingt millions de m3 de roches pour creuser une fosse de 300 mètres de profondeur, sur 1,5 km de longueur pour un premier gisement évalué à 65 tonnes d’or.
En Guyane, les projets d’exploitation de gisements d’or primaire sont légion. Les groupes miniers préparent « la grande braderie » du territoire, à des stades plus ou moins avancés. C’est souvent leur passage en commission départementale des mines qui met en lumière leur degré d’avancement. Cette instance spécifiquement guyanaise est censée se réunir tous les mois pour rendre des avis consultatifs sur des dossiers miniers, après instruction par les services de l’État et avant avis du préfet, qui le transmet aux ministères de la Transition écologique et solidaire et de l’Économie, en charge des mines.
- Le gisement se situe près du fleuve Maroni.
Les dossiers miniers reçoivent quasi systématiquement des avis favorables
Après une annulation de dernière minute de la commission des mines, la réunion s’est finalement tenue par visioconférence, deux semaines plus tard, le 29 avril. Le dossier a obtenu un avis favorable pour un renouvellement de dix ans, là où la Compagnie minière Espérance et Newmont en demandait 25. Cette prolongation doit encore faire l’objet d’un décret du Conseil d’État. « C’est toujours ainsi », regrette un membre de la commission des mines. « Les opposants aux projets miniers sont toujours en minorité. On vote mais on se demande parfois à quoi cela sert. » Des représentants miniers siègent au sein de la Commission, dont Carol Ostorero, qui dirige la Compagnie minière Espérance, et préside la Fédération des opérateurs miniers de Guyane. Mme Ostorero dirige plusieurs entreprises guyanaises de transport de matériel de chantier et d’exploitation de l’or, dont une est actuellement en procès pour suspicion de pollution environnementale. Mais les entrepreneurs miniers ne cumulent que trois voix au sein de la commission des mines. Si les dossiers miniers reçoivent quasi systématiquement des avis favorables, c’est grâce au soutien des élus locaux et des représentants de l’État, sans lesquels le rapport de force pourrait basculer du côté des organisations environnementales et des populations autochtones, généralement opposées aux projets miniers, qui ont aussi des représentants au sein de la commission.
Ce vote pour un projet dès à présent estampillé « Montagne d’or bis » a entraîné une levée de boucliers. Trois jours après la commission, le collectif Or de question, constitué il y a près de quatre ans pour lutter contre le projet de la Montagne d’or, tenait à Cayenne une conférence de presse pour réitérer son opposition aux mégamines. Les médias métropolitains ont largement repris la nouvelle, obligeant la ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne à écrire un tweet affirmant qu’elle s’opposerait « à tout projet qui ne prendrait pas en compte nos exigences environnementales », faisant sienne l’expression forgée par son prédécesseur François de Rugy à propos de Montagne d’or. Le 23 mai 2019, à l’issue du premier conseil de défense écologique et à trois jours des élections européennes, il parlait de « l’incompatibilité du projet actuel avec les exigences de protections environnementales ». Sauf qu’un an après cette sortie largement médiatisée, il est difficile de savoir ce que signifie concrètement cette formule.
Quelles sont les exigences environnementales de la France en termes d’exploitation minière en contexte guyanais ? Le nouveau « délégué mine - coordinateur pour les projets miniers » auprès du préfet de Guyane ne nous a pas fourni de réponses. Depuis sa nomination en septembre 2019, Didier Le Moine, ancien directeur de l’industrie, des mines et de l’énergie en Nouvelle-Calédonie a évité, à notre connaissance, toute confrontation médiatique. La création de ce poste chargé de « la promotion et [du] développement d’une filière minière industrielle responsable » témoigne toutefois de l’intérêt de l’État pour le sujet.
Des députés souhaitent interdire l’utilisation de cyanure
Interrogé par Reporterre, le ministère de la Transition écologique et solidaire a botté en touche. La demande de renouvellement de concession faite par la CME et Newmont est « une procédure préalable à la demande d’autorisation de travaux et n’emporte pas de considération environnementale à ce stade » répond le ministère. « C’est lors de l’examen de ces autorisations de travaux que sera jugé la compatibilité avec les enjeux environnementaux. Il sera attendu une conformité particulièrement exemplaire sur le respect de la séquence éviter-réduire-compenser afin d’assurer la préservation des enjeux de biodiversité et de la forêt primaire. » Le ministère ne ferme donc pas la porte à l’exploitation industrielle de l’or de Guyane sous forme de mégamine à ciel ouvert nécessitant le recours à la cyanuration. C’est ce que prévoyait le projet de la Montagne d’or et c’est à quoi devrait ressembler celui d’Espérance.
Le jour se couche sur la forêt guyanaise, à Saül.
« Nos exigences environnementales, ce serait d’interdire le cyanure », tranche Fabien Gay, sénateur communiste de Seine-Saint-Denis et porteur d’une proposition de loi en ce sens. « Si on interdit l’usage du cyanure, alors de fait les mégamines ne seront plus rentables », explique l’élu. Il vient d’adresser une question à la ministre de la Transition écologique et solidaire concernant ses intentions à propos du cyanure et du projet minier Espérance. Il y a peu de chance que cette proposition de loi arrive à l’ordre du jour d’un Sénat majoritairement de droite et où les niches parlementaires du parti communiste sont rarissimes. « Il faudrait que le soutien citoyen soit plus massif », dit Fabien Gay. Le député guyanais Gabriel Serville, du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), a de son côté déposé à l’Assemblée nationale une proposition de résolution visant à interdire le cyanure. Il espère faire adopter cette mesure sous forme d’amendement dans le cadre de la réforme du Code minier, qui était annoncée pour… fin 2019. Si Gabriel Serville l’espère désormais pour 2021, Fabien Gay craint qu’elle ne « tombe aux oubliettes ». Vu le nombre de tentatives avortées, cela ne serait pas surprenant. Le ministère de la Transition écologique et solidaire reconnaît tout au plus que « les calendriers des réformes sont impactés par la crise sanitaire » et « en train d’être recalés ».
Via des sociétés locales, des multinationales lorgnent sur le sous-sol guyanais
En attendant, la cyanuration a déjà fait son entrée en Guyane. Ce procédé de production de l’or primaire permet de récupérer les quelques grammes du métal convoité par tonne de roches réduites en poudre sous l’action de concasseurs très gourmands en énergie. En mars 2020, la société AMG (Auplata Mining Group) se félicitait d’avoir fondu son premier lingot obtenu par cyanuration sur le site de Dieu Merci, à 120 kilomètres à vol d’oiseau de Cayenne, avant de mettre l’usine à l’arrêt le temps du confinement.
Exceptée une usine-pilote appartenant à la même société dans le complexe chimico-portuaire de Cayenne, l’installation industrielle de Dieu Merci est la première de ce type en Guyane. Signe du soutien de l’État à cette usine, en plus des autorisations indispensables à la construction et à la mise en service du site, la direction générale des Finances publiques vient d’accorder à Auplata un crédit d’impôt de 5,8 millions d’euros au titre du « crédit d’impôt des investissements réalisés outre-mer par les entreprises ».
Autre blanc-seing donné à l’industrialisation de la filière aurifère par l’État : l’accord de Bercy en février 2019 au changement de contrôle d’Auplata, désormais intégrée dans un groupe international, exploitant des mines au Pérou et ayant des parts dans une compagnie minière marocaine.
La métamorphose opérée par Auplata, passée d’une PME guyanaise à une compagnie internationale, est un avatar parmi d’autres de la prise d’intérêts de groupes d’envergure mondiale dans des permis guyanais, par l’intermédiaire de sociétés implantées localement. C’est ainsi qu’aujourd’hui les deux plus importants producteurs d’or au monde, Newmont et Barrick Gold, lorgnent via des montages plus ou moins complexes sur le sous-sol guyanais. Au sommet de l’État, il reste le joker des « exigences environnementales » — dont on attend toujours une définition.
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Lire aussi : Montagne d’or : les paroles du gouvernement n’enterrent pas le projet
Source : Hélène Ferrarini pour Reporterre
Photos :
. chapô : Mine Espérance, au nord de la Guyane. Compagnie minière Espérance
. Fleuve maroni. Lechatsylvestre / Wikipedia
. Forêt. © Hélène Ferrarini/Reporterre
Source : https://reporterre.net/La-Guyane-ebranlee-par-un-nouveau-projet-de-megamine-a-ciel-ouvert?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne
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