Jean Monestier Le Soler, le 13.05.2012
à
LIGNES d’ATTAC
21 ter, rue VOLTAIRE
75011 PARIS
Réf : 12O13LTA
Au sujet d’ENERCOOP.
Bien que non labellisé expert ou scientifique en quoi que ce soit, je suis militant depuis les années 70, adhérent d’ATTAC depuis la naissance de l’association, et j’aimerais diffuser ma position de citoyen sur Enercoop.
On a su lourdement faire remarquer, à charge de la production d’électricité d’origine nucléaire, que l’électricité ne se stocke pas et que tout kiloWattheure doit être produit au moment où il est consommé, ou vice-versa. Comme les réacteurs nucléaires ont une très grande inertie dans le réglage du volume de leur production, on est obligé de les utiliser en base, pour la partie de la production dont on est sûr qu’elle sera consommée ou exportée, et de faire appel à des sources de production bien plus souples, usines hydrauliques, turbines à gaz, etc., pour répondre aux pointes de consommation (quotidiennes ou saisonnières).
On pourrait dire que l’inconvénient de nombreuses sources d’énergie renouvelable est le même, mais à l’envers. Pour plusieurs d’entre elles, éolienne, photovoltaïque, la production peut varier énormément d’une minute à l’autre, alors que la consommation est moins primesautière. Malgré les nombreux trucs utilisés pour réduire ce problème, et notamment l’effet réseau, où l’éolien breton compenserait (avec quelles pertes de rendement ?) la nuit qui tombe sur le Languedoc, une réflexion soutenue sur le stockage de l’énergie est incontournable. Un livre dont a fait état le réseau Sortir du Nucléaire est paru il y a quelques mois sur ce thème : « Le stockage de l’énergie », coordonné par Serge Odru et édité par Dunod. Il existe plusieurs catégories de techniques dans ce domaine ; les stockages obtenus mécaniquement (chûtes hydrauliques, air comprimé, etc.) ; les stockages sous forme de chaleur (géothermie, sels fondus, etc.) ; et les procédés purement chimiques (batteries, hypercondensateurs, hydrogène, méthane, etc.). Le stockage sous forme d’énergie hydraulique est le plus classique, mais il nécessite de gros moyens à mettre en place par un investissement unique, qui peut se révéler très perturbant pour l’environnement sur le terrain. Il faut en effet créer deux retenues d’eau de capacités égales ayant entre elles la plus grande différence possible d’altitude, construire une conduite forcée entre les deux, équiper en aval cette dernière de pompes et de turbines, qui devront bien sûr avoir été reliées au réseau, où que se trouve l’installation en question.
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Il semblerait qu’EDF, qui compte sur les doigts des deux mains les équipements de ce type qui lui appartiennent, déclare qu’elle n’éprouve pas le besoin d’en construire d’autres. Cela dénote bien une volonté de résoudre en externe et non en interne l’inertie du volume de kWh d’origine nucléaire, et c’est aussi très cohérent avec les propos de certains de ses responsables, quand ils avouent sur les radios nationales, que, au fond, les énergies renouvelables ne les intéressent pas. Il semblerait que les Suisses, au contraire, trouvent un certain plaisir à nous acheter de l’électricité en excès à 3 cts le kWh et à nous la revendre à 15 cts ? 25 cts ? aux heures de pointes. Mais ce sont les Suisses.
Quelle est l’attitude d’Enercoop vis-à-vis de cette question ? Apparemment, nous nous trouvons face à un impensé. Si j’ai bien compris tout ce que j’ai lu et entendu, Enercoop me garantit que, si je lui achète sur une année 2500 kWh pour ma consommation, 2500 kWh issus de sources d’énergie renouvelable seront achetés par Enercoop à des producteurs. Mais Enercoop ne me garantit apparemment aucune simultanéité dans ces opérations. Si j’utilise en grande partie ce courant entre 18h00 et 24h00, la production achetée pour me satisfaire ne sera pas forcément d’origine renouvelable à ces mêmes heures, voire, ce qui serait cohérent, à la minute près. Une compensation anonyme s’opère à travers le réseau. Après des discussions musclées avec des militants faisant pour Enercoop une promotion acharnée sur le plan idéologique, j’ai fini par comprendre que, une fois décodé l’embrouillamini du réseau, géré, rappelons le, par ERDF, et du très libéral mix énergétique, si j’adhère à Enercoop, j’aurai l’honneur de consommer de l’électricité où la part de production d’origine nucléaire ne sera pas de 80 % comme à l’EDF, mais peut-être de 70%, voire de 60% selon les horaires de mes habitudes de consommation. Il s’agirait donc d’abord de soutenir une posture politique, et non une pratique alternative radicale.
Très personnellement, je maintiens que cela ne me convient pas. J’ai fait partie des gens qui ont évoqué la personnalité de René Dumont lors de la première réunion des Amis de la Terre de Paris où il a été question de présenter un candidat aux élections présidentielles de 1974 (j’ai même eu la chance, grâce à mon père, qui était élu local, de lui apporter trois signatures de soutien). En 1976, j’ai aidé à convoyer des bus du 14ème arrondissement de Paris à Nogent-sur-Seine pour y exprimer l’ineptie de l’implantation d’une centrale nucléaire à 100 km de Notre-Dame. En 1978, je suis allé marcher sous la pluie à Malville pour protester contre les nucléocrates qui se sont révélés prêts à tuer pour développer leur ruineux délire. Malgré une manifestation apparemment plus fructueuse à Plogoff quelques années après, j’ai entretenu vis- à vis de la production d’électricité d’origine nucléaire une opposition obstinée et non négociable qui a été renforcée par le cataclysme de Tchernobyl en 1986. J’offre largement autour de moi l’édition « poche » de « La supplication », de Svetlana Alexievitch, allant parfois jusqu’à en envoyer un exemplaire auprès de personnalités qui ont prétendu gérer l’Etat au plus haut niveau, et qui, manifestement, ne savent pas de quoi elles parlent quand il s’agit des risques nucléaires auxquels on soumet les peuples.
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Il m’est donc strictement impossible de tourner le dos à tout cela pour soutenir Enercoop, qui n’a pas de politique suffisamment claire de distribution d’électricité, encore moins de politique de stockage de l’énergie, et me propose apparemment avant tout un mix énergétique vaguement « verdi ».
Et pourtant des recherches sont en cours, des projets sont étudiés dans différents pays. De la lecture du livre coordonné par Odru, j’ai retenu le stockage hydropneumatique, moins encombrant pour l’environnement, plus adapté à de petites collectivités, plus modulable aussi en fonction de budgets plus modestes, et, bien sûr, même s’il s’agit de technologies sophistiquées, les supercondensateurs, qui permettent, pour les tramways et autres équipements à démarrages fréquents, de diviser par deux le calibre des installations fixes d’alimentation électrique, et donc la quantité de cuivre, d’acier et de béton qu’il faut leur consacrer. J’ai vu aussi un film sur une ville allemande qui produit en interne 10 fois plus de courant électrique qu’elle n’en consomme. Elle en fait du méthane, via l’électrolyse de l’eau suivie d’une recombinaison de l’hydrogène qui en est issu avec du carbone issu du gaz carbonique de l’air. On appelle ce processus, sans doute assez complexe à mettre en œuvre, la méthanation. On remplit ensuite un gazomètre très classique de ce méthane, à partir duquel une turbine à gaz permettra de retrouver de l’électricité à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Quant au « mix énergétique », il considère les différentes sources d’électricité comme équivalentes en qualité. De son côté, le « prix unique » issu de la main du marché confond indistinctement les différents usages qui en sont faits. Je pense qu’il s’agit d’outils tout à fait libéraux, éloignés de toute préoccupation écologique, qui dissuadent de distinguer les productions nocives des productions soutenables, mais aussi les usages pertinents, par exemple la traction des tramways départementaux, qui ne consommaient presque rien, des gabegies actuellement non surtaxées que sont par exemple le chauffage des locaux par effet Joule ou la traction des TGV à 300 km/h et au-delà. Il faudra bien qu’Enercoop ou les militants soucieux d’énergie acceptent de mettre un peu la main dans ce cambouis là. Ensuite on pourra parler d’éthique écologique, de politiques énergétiques, et de positions/actions citoyennes.
Jean Monestier :
Diplômé en économie auprès de l’Université de Toulouse,
Artiste-Auteur-Indépendant
Objecteur de croissance.
Monsieur Monestier,
RépondreSupprimerJe ne comprends qu'en partie vos remarques, et en suis assez surpris, connaisseur que vous semblez être du fonctionnement du réseau.
Je suis consommateur et sociétaire d'Enercoop. Les militants d'Enercoop que vous avez pu rencontrer sont certainement des convaincus du modèle sans pour autant connaître les aspects techniques de la production et de l'équilibrage d'un réseau, et on ne saurait le leur reprocher.
Enercoop est complètement en accord avec ce que vous dîtes sur les problématiques d'heures de pointe, d'heures de production, de stockage, etc. Mais vous semblez oublier que tout d'abord, Enercoop est une jeune coopérative, dont les moyens financiers ne lui permettent absolument pas aujourd'hui d'investir dans des moyens de production à l'échelle de ses besoins, ou encore dans de la recherche, ou des moyens de stockage. Ces domaines sont particulièrement avides de capitaux.
Et ce n'est pas avec le contexte français, où tout est fait pour garantir au milieu du nucléaire de prospérer - et notamment que même des "convaincus" restent chez EDF - qu'Enercoop pourra investir lourdement dans un futur proche.
D'autre part, la majeure partie de l'approvisionnement électrique d'Enercoop est d'origine hydraulique: vous n'êtes certainement pas sans savoir que cette production est saisonnière, plutôt que horaire? Ainsi je puis vous dire que la production d'Enercoop aujourd'hui suit d'assez prêt - mais rien n'est parfait - la consommation des ses clients.
Bien entendu, la philosophie d'Enercoop est la décentralisation de la production, et l'adaptation des productions aux territoires, tout en étant citoyenne. Il existe donc un travail de fond (dont les correspondants locaux, dans chaque région, n'ont pas forcément connaissance) sur la prévision de la production en éolien et en solaire, avec un certain nombre d'acteurs du milieu, et donc sur l'équilibrage. Lorsque moyens financiers et techniques seront disponibles, alors Enercoop pourra "s'amuser" à contrôler à la minute près la production dont ses consommateurs auront besoin.
J'admire votre implication dans diverses luttes, et notamment contre la technologie nucléaire. Mais je peux vous garantir que continuer à rémunérer EDF via une facture d'électricité ne répond en rien à votre lutte, ni sur l'aspect technique, ni sur l'aspect politique. Enercoop est profondément politique dans sa démarche, et la "posture alternative radicale" est menée en parallèle par la création de coopératives régionales, qui, elles, peuvent se permettre le contact avec les collectivités, parler méthanation, supercondensateurs, et tenter de trouver des dynamiques locales pour développer ce type de moyen. Tout le monde est bienvenu au sein d'Enercoop pour porter cette bonne parole, convaincre les élus, les citoyens. C'est en tout cas ce que nous essayons de faire. Je ne pense pas que ce soit le cas de l'opérateur historique.
Donc, dans ce "cambouis-là" les gens d'Enercoop y mettent leur main, et ont ces mêmes idées que vous prétendez qu'ils n'ont pas. Peut-être devriez-vous rencontrer ses administrateurs?
Commentaire de Jean Monestier en réponse au commentaire de Laurent Ouvrard :
RépondreSupprimer"Ici Jean Monestier.
J'ai bien lu votre mise au point et je vous en remercie. Il me semble que tout le monde, y compris ATTAC, qui ouvre un débat sur Enercoop, gagnerait à ce que les choses soient précisément dîtes comme vous le faites, y compris bien sûr le taux exact de substituabilité du nucléaire par des énergies renouvelables (même à 5% près).
L'informatique doit pouvoir donner ces chiffres assez facilement. Dit autrement, je suis prêt à payer mes kWh nettement plus cher si ces paramètres sont clairement donnés sur les factures. Et je ne suis peut-être pas le seul.
Je maintiens par ailleurs que la notion de mix énergétique et la facturation indifférenciée des kWh quel que soit l'usage sont malsaines, mais je suis d'accord qu'il s'agit là d'un autre problème.
Amicalement.
Jean Monestier"