Journalistes intimidés à BASF :
pourquoi nous continuerons
de couvrir les luttes
25 novembre 2025
Les journalistes envoyés par Reporterre Léa Guedj et Pierre-Yves Lerayer, violentés par un policier en compagnie du reporter de Blast Jose Rexach, lors de l'action écologiste contre l'usine BASF de Saint-Aubin-lès-Elbeuf, le 17 novembre. - © Maxime Sirvins
Deux journalistes de Reporterre ont été violentés par la police alors qu’ils suivaient une action de désobéissance civile. Pouvoir suivre les militants, y compris lorsqu’ils sortent de la légalité, est pourtant essentiel à l’information.
Jusqu’où aller pour informer ? Faut-il franchir les barrières d’une usine qui produit des pesticides ? Suivre les militantes et militants qui traquent la fabrication de substances interdites en Europe ? Chez Reporterre, nous sommes souvent confrontés à cette question. Depuis des années, nous suivons les actions de désobéissance civile. C’est ainsi que lundi 17 novembre, notre journaliste Léa Guedj et notre photographe Pierre-Yves Lerayer se sont rendus sur le terrain pour raconter l’action d’écologistes contre une usine normande du géant agrochimique BASF.
Sur place, ils ont été violentés par les forces de police, qui les ont gazés à bout portant. Ils ont été violemment agrippés à plusieurs reprises. Le téléphone portable de Léa Guedj lui a été confisqué durant de longues minutes. Ils avaient pourtant décliné leur identité de journalistes. « Y’a pas de presse ici », leur a rétorqué un policier. « Allez, casse-toi », leur répond un autre dans des vidéos que nous avons consultées.
« Si vous sortez pas, c’est que vous êtes une manifestante »
D’autres journalistes présents sur le site ont également été intimidés. « Ils m’ont demandé de sortir car on était sur un site privé. J’ai temporisé, un peu trop longuement à leur goût. Ils m’ont alors dit "si vous sortez pas, c’est que vous êtes une manifestante" », raconte à Reporterre Pauline Moullot, journaliste à Libération présente lors de l’action.
Cette attitude belliqueuse envers la presse est-elle légale ? La propriété privée l’emporterait-elle sur le droit à être informé ? En juin 2020 déjà, notre journaliste Alexandre-Reza avait suivi les activistes d’Extinction Rebellion sur les pistes de l’aéroport d’Orly. Il avait été arrêté, emmené en garde à vue pendant dix heures, puis condamné à une amende de 750 euros, sous prétexte de « manquement à la sûreté aéroportuaire » et d’avoir accédé aux zones de sûreté à accès réglementé « sans raison légitime » de s’y trouver.
Deux victoires judiciaires pour Reporterre
Une condamnation que Reporterre avait attaquée en justice. Trois ans plus tard, en novembre 2023 le tribunal administratif de Melun nous a donné raison, estimant que la condamnation d’un journaliste constituerait « une ingérence disproportionnée au droit fondamental à la liberté d’expression et d’information ». Il a écarté l’argument selon lequel l’action aurait pu être couverte sans commettre d’infraction et celui selon lequel le journaliste n’aurait pas pu être identifié par la police.
« Cette décision du tribunal administratif fait jurisprudence en creux », explique Me Alexandre Faro, l’avocat de Reporterre. « Mais le juge reste précautionneux et ne veut pas consacrer un droit d’infraction qui s’appliquerait aux journalistes. Il dit simplement qu’au cas par cas, dans certaines circonstances, il considère qu’une condamnation d’un journaliste serait une ingérence disproportionnée à la liberté d’expression et d’informer », poursuit-il.
En novembre 2021, une autre de nos journalistes, Elsa Souchay, avait suivi une action d’opposants aux OGM qui avaient pénétré dans les locaux d’une entreprise pour éventrer des sacs de semences, identifiés comme contenant des grains génétiquement modifiés. Poursuivie pour vol et dégradations commis en réunion, elle a également été relaxée.
Le droit d’informer librement peut donc primer en justice. Mais ce n’est pas toujours le cas. En 2020, Konbini avait été condamné pour avoir suivi l’association animaliste DxE à l’intérieur d’un élevage de poulets.
À la même époque, des journalistes de presse locale avaient été convoqués par la gendarmerie pour avoir suivi des décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron.
Sans journalistes, qui documentera la répression ?
« Couvrir une action illégale, pour un journaliste, est-ce se rendre complice de l’action ? Et quand la couverture de l’action nécessite pour le journaliste de pénétrer dans des lieux interdits, doit-il y renoncer ? », s’interrogeait alors Arrêt sur images. « Si policiers et tribunaux continuent de confondre journalistes et militants — sur les tarmacs, dans les élevages intensifs et ailleurs — les rédactions pourraient ne plus couvrir ce type d’actions. Et c’est l’information du public qui en pâtira », conclut le média.
Face à l’urgence écologique, et à la portée limitée des mobilisations plus classiques, les mouvements écologistes sont de plus en plus nombreux à faire le choix de la désobéissance civile. Pour Reporterre, média dont le suivi des luttes est l’une des raisons d’être, ne pas couvrir ces actions serait manquer à notre mission.
En tant que journalistes, notre place est sur le terrain : nous ne pouvons nous contenter de relayer les communiqués de presse, qu’ils proviennent des ONG comme des grandes entreprises. Nous ne pouvons pas rester sagement derrière les grilles pendant que les activistes dénoncent les pratiques toxiques et climaticides de certaines multinationales.
Sans journalistes, qui documentera la répression exercée par la police française et dénoncée jusqu’à l’ONU ? Qui pourra témoigner des pratiques illicites et dangereuses pour la santé et l’environnement de groupes qui n’ont que le profit pour boussole ?
Mener ce travail de terrain, faire face aux poursuites : tout cela n’est possible que grâce à vous lectrices et lecteurs de Reporterre. Car notre journal et ses journalistes ne vivent que par vos dons. Ce sont eux qui nous donnent la force d’être vos yeux et vos oreilles auprès de celles et ceux qui se battent pour dénoncer les injustices environnementales. Et ce sont eux qui nous permettront de continuer. Alors, si vous le pouvez, soutenez un média indépendant, à but non lucratif, faites un don.
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