Article écrit par Georges Lapierre invité demain jeudi 16 août 2012, au Café Repaire du Conflent.
Isthme de Tehuantepec
Dans la gueule du requin
mardi 9 août 2011, parC’est une petite île dans la lagune de l’isthme de Tehuantepec, sur la côte pacifique au sud du Mexique. Cette petite île avec son cordon ombilical, la barre de Tileme (se prononce tilémé), qui la relie en saison sèche à la terre ferme du côté d’Alvaro Obregón, partage la lagune en deux parties, la lagune supérieure et la lagune inférieure. La lagune inférieure communique par une passe étroite avec l’océan. D’un côté de cette passe se trouve San Francisco del Mar, de l’autre Santa Maria, à la pointe d’une bande de terre étroite qui sépare la lagune du Pacifique, sur cette bande de terre ferme se trouvent d’autres zones de peuplement comme San Mateo del Mar. Toute cette partie de l’Isthme en direction de l’océan Pacifique est habitée par les Ikoots (ou Huaves), peuple sans doute venu du lointain Pérou via l’Amérique centrale dans des temps immémoriaux. Le peuple ikoot, qui se consacre principalement à la pêche dans la lagune et parfois dans le Pacifique à l’aide de cerfs-volants [1], entretient des relations de voisinage étroites, et parfois problématiques [2], avec son voisin immédiat, le peuple binnizá (ou zapotèque). Mais revenons à notre petite île.
Elle connaissait un peuplement important au XVIe siècle au moment de la première conquête espagnole comme en témoignent les ruines d’une imposante église dominicaine de 46 mètres de longueur. Elle domine encore de toute sa superbe, héritée des temps passés et tragiques que nous pouvions croire révolus, une trentaine de maisons de pêcheurs ikoots dispersées dans la verdure entre les collines boisées, ou cerros, et une petite plage donnant sur la lagune inférieure. Au cours des années relativement récentes une grande partie de la population s’est déplacée par vagues continues sur la rive occidentale de la lagune pour former un nouveau village beaucoup plus important, San Dionisio del Mar, devenu le chef-lieu municipal, l’ancien village de l’île, ou Pueblo Viejo, n’étant plus qu’une agence municipale, avec tout de même son assemblée et ses « autorités », l’Honorable Conseil. En 2004, l’Assemblée agraire ou assemblée des comuneros de San Dionisio, réduite pour l’occasion à trois cents membres (sur plus de mille comuneros) a accordé la disposition entière de l’île et de la barre de Tileme à l’entreprise espagnole Preneal, par le biais de sa filiale, ou prête-nom, mexicaine, Demex.
Du temps de la colonie, les rois d’Espagne avaient tenté de protéger, assez vainement, il faut le dire, l’Espagne étant bien loin du Mexique, les peuples indiens de la convoitise effrénée des colons en leur accordant la reconnaissance de leurs territoires, par des « titres primordiaux », los titulos primordiales ; il semblerait qu’aujourd’hui, depuis le traité de libre commerce signé en 1992 entre le Mexique et les États du Nord, États-Unis et Canada, et la modification de l’article 27 de la Constitution, plus rien ne protège les peuples des prédateurs venus d’ailleurs. Nous pouvons nous poser la question : qu’y a-t-il de changé sous le soleil mexicain ? Au pouvoir, la même oligarchie entièrement dévouée à ses intérêts confondus avec ceux des entreprises marchandes transnationales dites encore capitalistes ; dans la société, le même incommensurable mépris pour les peuples originaires et, plus généralement, pour la population autochtone ; dans le pays, une nation tout entière sous la férule d’une armée de plus en plus visiblement au service des puissances étrangères.
La guerre de conquête de la vie sociale par les grands marchands capitalistes n’a jamais cessé, même si elle a pu parfois donner l’impression d’hésiter face à l’ampleur des luttes qu’elle a suscitées. Elle n’a marqué le pas que pour reprendre de plus belle avec une force et un élan que nous ne soupçonnions pas. Aujourd’hui, cette guerre menée contre les peuples apparaît dans toute sa violence comme un incendie longtemps retenu, travaillant en secret, et qui éclate soudain, dévorant tout dans le grondement des flammes. Nous sommes revenus, ici, au Mexique, aux temps de Porfirio Diaz. Il ne s’agit pas seulement pour les entreprises capitalistes de s’emparer des territoires, de la terre, des ressources, de l’or, de l’argent, du fer, des métaux rares et précieux, du pétrole, du vent, des arbres, des plantes médicinales, de l’eau... ; il ne s’agit pas seulement de voir dans la présence des peuples autochtones, une gêne, un obstacle à écarter d’un revers de manche. Non, plus fondamentalement, la fin ultime de cette guerre, son objectif véritable, est la destruction de toute vie sociale autonome, de toute vie collective, comme si le pouvoir du monde marchand, ou encore, le pouvoir des grands marchands sur le monde, se nourrissait et se renforçait de la désagrégation sociale qu’il engendre. Nous sommes face à la dynamique du pouvoir, le pouvoir de la pensée du grand marchand sur tout autre forme de pensée ; et cette pensée est effective, non seulement elle transforme le monde, mais, et c’est là sa fin dernière, elle s’assujettit l’ensemble de l’humanité. La résistance d’une vie sociale autonome, aussi réduite soit-elle, met en péril cette dynamique du pouvoir. Là se trouve le front de la lutte de l’humanité contre le totalitarisme.
L’offensive contre les peuples indigènes du Mexique et de l’Amérique centrale s’est intensifiée dès la fin du XXe siècle avec le Plan Puebla Panama, rebaptisé « Projet pour l’intégration et le développement de Mésoamérique ». Le projet de mettre en mouvement six mille aérogénérateurs dans l’isthme de Tehuantepec appelé Corrido Eolico del Istmo (Couloir éolien de l’Isthme) s’inscrit dans cette stratégie de conquête concoctée dans les hautes sphères du pouvoir. Dès le départ ce fut une affaire de famille, c’est-à-dire de gros sous, avec aussi ses non-dits, ses zones d’ombre, ses secrets de famille. La revue Proceso avait rappelé en son temps le lien familial qui unissait le ministre de l’Intérieur du gouvernement de Felipe Calderón, Juan Muriño, au Groupe énergétique du Sud-Est (Groupo Energetico del Sureste, GES) et celui-ci aux entreprises espagnoles chargées de la construction des aérogénérateurs (Gamsa, Iberdrola, Preneal, Endesa, etc.). Juan Muriño a trouvé la mort dans un « accident » d’avion des plus suspects. Était-ce lui qui était visé ou José Santiago Vasconcelos, ex-titulaire du ministère de la Justice chargé de la délinquance organisée, disons, pour simplifier, de la lutte contre les narcos ? Le gouvernement s’est empressé de clore le dossier : circulez, il n’y a rien à voir.
Tout a été mis en œuvre pour tromper les gens et les amener à signer des contrats léonins. Ce sont des régions de culture orale, où la parole compte et garde un certain poids, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de « baratin », de mensonges, de trahisons, mais cela signifie aussi que les rapports restent des rapports entre sujets, que ces sujets soient des sujets collectifs ou des individus, chacun peut réagir, a les moyens de se défendre, de faire marche arrière s’il se rend compte qu’il est en train de se faire avoir, cela reste une relation entre des personnes ; l’écrit, en l’occurrence les contrats en bonne et due forme, fait intervenir un tiers, l’État garant du droit, des lois et des accords passés, dans les termes définis par les lois, entre les deux partenaires d’un échange bien particulier : l’échange marchand. Nous avons affaire à deux cultures différentes, sinon opposées : une culture orale où les échanges ne se font pas nécessairement dans un esprit de gain et qui privilégie les rapports de réciprocité ; une culture du contrat où la recherche du profit ou d’un avantage devient le moteur d’une relation dite d’affaire ou encore une relation d’échange de type marchand.
Un tel décalage ne pouvait que bénéficier aux entreprises transnationales, qui ont joué la carte de l’oral, de l’amitié, de la tape sur l’épaule, de la promesse, de la confiance, de la main sur le cœur, pour ensuite, dans un tour de passe-passe, sortir la carte de l’écrit et faire signer des contrats incompréhensibles ou même, purement et simplement, des contrats en blanc comme à Unión Hidalgo : « Como éramos muchos nos dijo : “Firma aquí, luego lo rellenamos” » (comme nous étions beaucoup, on nous a dit : signe ici, ensuite nous le remplissons). Quand les petits propriétaires d’Unión Hidalgo se sont rendu compte qu’ils avaient été abusés, vingt-cinq d’entre eux en colère ont bloqué le passage des engins, la police est intervenue et l’entreprise a porté plainte, pour l’instant les travaux ont été arrêtés mais des poursuites à l’égard des petits propriétaires sont en cours, pourtant ceux-ci sont bien décidés à empêcher la construction des éoliennes et à dénoncer le contrat inique qui les lie à l’entreprise. Affaire à suivre.
Face à des collectivités, moins faciles à manœuvrer que des individus, la stratégie des transnationales s’est faite plus tortueuse et, dans une certaine mesure, plus politique car elles ont eu le soutien inconditionnel des trois grands partis, le PRI, le PRD, le PAN, et des organismes d’État censés protéger les populations, mais qui agissent visiblement en collaboration avec les entreprises comme la Procuraduría Federal de Protección al Ambiente (Profepa), la Secretaría de Medio Ambiente y Recursos Naturales (Semarnat), la Secretaría de Desarrollo Social (Sedeso), ainsi que le Manifiesto de Impacto Ambiental (MIA). C’est en s’appuyant sur ces forces de l’État et en subornant certaines autorités communales qu’elles ont pu faire pression sur les assemblées agraires avec parfois falsification des signatures ou des actes d’assemblées ejidales comme à La Venta, à cela s’ajoute le conseil donné aux autorités municipales de ne pas divulguer le contrat auprès de la population.
C’est à la suite de tels agissements que la trentaine de familles de pêcheurs de Pueblo Viejo eurent un mal de chien à se procurer le contrat qui les dépossède de leur île : la compagnie de construction espagnole Preneal a l’usufruit de l’ensemble de l’île et de la barre de Tileme pour trente ans. Les surfaces indiquées dans le contrat correspondent parfaitement. Elle se prépare déjà à obtenir des dividendes de la forêt qui recouvre l’île dans le cadre des accords de Kyoto sur le climat, cela depuis 2004, date de la signature du contrat. Pourtant ce sont des générations de pêcheurs qui ont pris soin de leur environnement et en particulier des manglares [3], qui jouent un rôle important dans la reproduction des espèces et en particulier des crevettes. Notons qu’il n’est pas fait allusion aux mangroves dans le contrat, ce qui est assez louche. Déjà des biologistes ont débarqué sur l’île pour faire l’inventaire de ses richesses et de ses ressources, qui sont nombreuses, chevreuils (shucuauj), iguanes (ish), armadillos [4]..., sans parler de la flore. Au cours d’une réunion des habitants, une « autorité » de Santa Maria del Mar présente précisait que Preneal commençait à louer des concessions sur la lagune. Il ne restera bientôt plus aux pêcheurs que leur lancha [5] pour... partir et quitter l’île.
Objectif atteint ?
Toute la forêt va être saccagée, les tours en métal des éoliennes sont fixées sur des socs en ciment de plusieurs milliers de tonnes profondément enfoncés dans le sol, les excavations sont gigantesques, il faut voir à l’œuvre ces entreprises pour se rendre compte des dégâts qu’elles occasionnent. Sur la barre de Tileme, qui sépare la lagune en deux parties, une partie supérieure et une partie inférieure et qui joue un rôle essentiel dans la dynamique de la lagune, l’échafaudage de deux cents aérogénérateurs va être catastrophique, cet ensemble va modifier d’une manière radicale tout l’équilibre écologique de l’ensemble, modifier les courants, atteindre les cycles vitaux ; la barre de Tileme, où, jusqu’à présent, paissent en liberté des troupeaux de vaches, ne sera plus qu’un immense bourbier et une plaie de ciment. En fin de compte ce projet d’éoliennes est aussi destructeur de vie qu’un barrage ou une mine à ciel ouvert. Objectif atteint ?
Le 25 septembre 2005 eut lieu à Unión Hidalgo le premier forum de la société civile afin d’analyser l’impact du Couloir éolien de l’Isthme sur l’environnement. Si la plupart et des membres des associations indigènes et les militants écologistes présents (nous devons pourtant mettre en exergue l’attitude très ambiguë des militants de Greenpeace, favorables au projet « sous certaines conditions ») étaient fort conscients des dégâts que ce projet allait occasionnés, en particulier concernant les oiseaux migrateurs, nous ne touchions pas encore du doigt, si je puis dire, la réalité. Celle-ci allait apparaître peu à peu dans toute son horreur au fur et à mesure de l’avancée des travaux, toute la région de Juchitan, et en particulier La Venta et La Ventosa, est désormais envahie de molinos. En février 2006, au cours de l’initiative zapatiste de l’Autre Campagne, le sous-commandant Marcos a exprimé la solidarité des zapatistes envers la population de la région en lutte contre le Couloir éolien de l’Isthme. Le président du Mexique, Felipe Calderón, et le gouverneur de l’État, Ulises Ruiz, durent inaugurer le parc éolien, la Venta II (premier objectif atteint), en avril 2007 sous haute protection militaire. Au cours du forum organisé en novembre 2008 à Juchitan, les participants ont pris la décision de se transformer en Assemblée des peuples de l’Isthme pour la défense de la terre (Asamblea de Pueblos del Istmo en Defensa de la Tierra).
Tout récemment, fin juillet 2011, s’est tenue à Unión Hidalgo la dernière Assemblée des peuples de l’Isthme pour la défense de leur terre et de leur territoire, elle regroupait outre les petits propriétaires d’Unión Hidalgo en rébellion, des délégués de San Dionisio, de San Mateo, de San Francisco, d’Alvaro Obregón... La résistance s’organise. Objectif atteint ?
Pas encore.
Oaxaca, le 6 août 2011,
Georges Lapierre
Elle connaissait un peuplement important au XVIe siècle au moment de la première conquête espagnole comme en témoignent les ruines d’une imposante église dominicaine de 46 mètres de longueur. Elle domine encore de toute sa superbe, héritée des temps passés et tragiques que nous pouvions croire révolus, une trentaine de maisons de pêcheurs ikoots dispersées dans la verdure entre les collines boisées, ou cerros, et une petite plage donnant sur la lagune inférieure. Au cours des années relativement récentes une grande partie de la population s’est déplacée par vagues continues sur la rive occidentale de la lagune pour former un nouveau village beaucoup plus important, San Dionisio del Mar, devenu le chef-lieu municipal, l’ancien village de l’île, ou Pueblo Viejo, n’étant plus qu’une agence municipale, avec tout de même son assemblée et ses « autorités », l’Honorable Conseil. En 2004, l’Assemblée agraire ou assemblée des comuneros de San Dionisio, réduite pour l’occasion à trois cents membres (sur plus de mille comuneros) a accordé la disposition entière de l’île et de la barre de Tileme à l’entreprise espagnole Preneal, par le biais de sa filiale, ou prête-nom, mexicaine, Demex.
Du temps de la colonie, les rois d’Espagne avaient tenté de protéger, assez vainement, il faut le dire, l’Espagne étant bien loin du Mexique, les peuples indiens de la convoitise effrénée des colons en leur accordant la reconnaissance de leurs territoires, par des « titres primordiaux », los titulos primordiales ; il semblerait qu’aujourd’hui, depuis le traité de libre commerce signé en 1992 entre le Mexique et les États du Nord, États-Unis et Canada, et la modification de l’article 27 de la Constitution, plus rien ne protège les peuples des prédateurs venus d’ailleurs. Nous pouvons nous poser la question : qu’y a-t-il de changé sous le soleil mexicain ? Au pouvoir, la même oligarchie entièrement dévouée à ses intérêts confondus avec ceux des entreprises marchandes transnationales dites encore capitalistes ; dans la société, le même incommensurable mépris pour les peuples originaires et, plus généralement, pour la population autochtone ; dans le pays, une nation tout entière sous la férule d’une armée de plus en plus visiblement au service des puissances étrangères.
La guerre de conquête de la vie sociale par les grands marchands capitalistes n’a jamais cessé, même si elle a pu parfois donner l’impression d’hésiter face à l’ampleur des luttes qu’elle a suscitées. Elle n’a marqué le pas que pour reprendre de plus belle avec une force et un élan que nous ne soupçonnions pas. Aujourd’hui, cette guerre menée contre les peuples apparaît dans toute sa violence comme un incendie longtemps retenu, travaillant en secret, et qui éclate soudain, dévorant tout dans le grondement des flammes. Nous sommes revenus, ici, au Mexique, aux temps de Porfirio Diaz. Il ne s’agit pas seulement pour les entreprises capitalistes de s’emparer des territoires, de la terre, des ressources, de l’or, de l’argent, du fer, des métaux rares et précieux, du pétrole, du vent, des arbres, des plantes médicinales, de l’eau... ; il ne s’agit pas seulement de voir dans la présence des peuples autochtones, une gêne, un obstacle à écarter d’un revers de manche. Non, plus fondamentalement, la fin ultime de cette guerre, son objectif véritable, est la destruction de toute vie sociale autonome, de toute vie collective, comme si le pouvoir du monde marchand, ou encore, le pouvoir des grands marchands sur le monde, se nourrissait et se renforçait de la désagrégation sociale qu’il engendre. Nous sommes face à la dynamique du pouvoir, le pouvoir de la pensée du grand marchand sur tout autre forme de pensée ; et cette pensée est effective, non seulement elle transforme le monde, mais, et c’est là sa fin dernière, elle s’assujettit l’ensemble de l’humanité. La résistance d’une vie sociale autonome, aussi réduite soit-elle, met en péril cette dynamique du pouvoir. Là se trouve le front de la lutte de l’humanité contre le totalitarisme.
L’offensive contre les peuples indigènes du Mexique et de l’Amérique centrale s’est intensifiée dès la fin du XXe siècle avec le Plan Puebla Panama, rebaptisé « Projet pour l’intégration et le développement de Mésoamérique ». Le projet de mettre en mouvement six mille aérogénérateurs dans l’isthme de Tehuantepec appelé Corrido Eolico del Istmo (Couloir éolien de l’Isthme) s’inscrit dans cette stratégie de conquête concoctée dans les hautes sphères du pouvoir. Dès le départ ce fut une affaire de famille, c’est-à-dire de gros sous, avec aussi ses non-dits, ses zones d’ombre, ses secrets de famille. La revue Proceso avait rappelé en son temps le lien familial qui unissait le ministre de l’Intérieur du gouvernement de Felipe Calderón, Juan Muriño, au Groupe énergétique du Sud-Est (Groupo Energetico del Sureste, GES) et celui-ci aux entreprises espagnoles chargées de la construction des aérogénérateurs (Gamsa, Iberdrola, Preneal, Endesa, etc.). Juan Muriño a trouvé la mort dans un « accident » d’avion des plus suspects. Était-ce lui qui était visé ou José Santiago Vasconcelos, ex-titulaire du ministère de la Justice chargé de la délinquance organisée, disons, pour simplifier, de la lutte contre les narcos ? Le gouvernement s’est empressé de clore le dossier : circulez, il n’y a rien à voir.
Tout a été mis en œuvre pour tromper les gens et les amener à signer des contrats léonins. Ce sont des régions de culture orale, où la parole compte et garde un certain poids, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de « baratin », de mensonges, de trahisons, mais cela signifie aussi que les rapports restent des rapports entre sujets, que ces sujets soient des sujets collectifs ou des individus, chacun peut réagir, a les moyens de se défendre, de faire marche arrière s’il se rend compte qu’il est en train de se faire avoir, cela reste une relation entre des personnes ; l’écrit, en l’occurrence les contrats en bonne et due forme, fait intervenir un tiers, l’État garant du droit, des lois et des accords passés, dans les termes définis par les lois, entre les deux partenaires d’un échange bien particulier : l’échange marchand. Nous avons affaire à deux cultures différentes, sinon opposées : une culture orale où les échanges ne se font pas nécessairement dans un esprit de gain et qui privilégie les rapports de réciprocité ; une culture du contrat où la recherche du profit ou d’un avantage devient le moteur d’une relation dite d’affaire ou encore une relation d’échange de type marchand.
Un tel décalage ne pouvait que bénéficier aux entreprises transnationales, qui ont joué la carte de l’oral, de l’amitié, de la tape sur l’épaule, de la promesse, de la confiance, de la main sur le cœur, pour ensuite, dans un tour de passe-passe, sortir la carte de l’écrit et faire signer des contrats incompréhensibles ou même, purement et simplement, des contrats en blanc comme à Unión Hidalgo : « Como éramos muchos nos dijo : “Firma aquí, luego lo rellenamos” » (comme nous étions beaucoup, on nous a dit : signe ici, ensuite nous le remplissons). Quand les petits propriétaires d’Unión Hidalgo se sont rendu compte qu’ils avaient été abusés, vingt-cinq d’entre eux en colère ont bloqué le passage des engins, la police est intervenue et l’entreprise a porté plainte, pour l’instant les travaux ont été arrêtés mais des poursuites à l’égard des petits propriétaires sont en cours, pourtant ceux-ci sont bien décidés à empêcher la construction des éoliennes et à dénoncer le contrat inique qui les lie à l’entreprise. Affaire à suivre.
Face à des collectivités, moins faciles à manœuvrer que des individus, la stratégie des transnationales s’est faite plus tortueuse et, dans une certaine mesure, plus politique car elles ont eu le soutien inconditionnel des trois grands partis, le PRI, le PRD, le PAN, et des organismes d’État censés protéger les populations, mais qui agissent visiblement en collaboration avec les entreprises comme la Procuraduría Federal de Protección al Ambiente (Profepa), la Secretaría de Medio Ambiente y Recursos Naturales (Semarnat), la Secretaría de Desarrollo Social (Sedeso), ainsi que le Manifiesto de Impacto Ambiental (MIA). C’est en s’appuyant sur ces forces de l’État et en subornant certaines autorités communales qu’elles ont pu faire pression sur les assemblées agraires avec parfois falsification des signatures ou des actes d’assemblées ejidales comme à La Venta, à cela s’ajoute le conseil donné aux autorités municipales de ne pas divulguer le contrat auprès de la population.
C’est à la suite de tels agissements que la trentaine de familles de pêcheurs de Pueblo Viejo eurent un mal de chien à se procurer le contrat qui les dépossède de leur île : la compagnie de construction espagnole Preneal a l’usufruit de l’ensemble de l’île et de la barre de Tileme pour trente ans. Les surfaces indiquées dans le contrat correspondent parfaitement. Elle se prépare déjà à obtenir des dividendes de la forêt qui recouvre l’île dans le cadre des accords de Kyoto sur le climat, cela depuis 2004, date de la signature du contrat. Pourtant ce sont des générations de pêcheurs qui ont pris soin de leur environnement et en particulier des manglares [3], qui jouent un rôle important dans la reproduction des espèces et en particulier des crevettes. Notons qu’il n’est pas fait allusion aux mangroves dans le contrat, ce qui est assez louche. Déjà des biologistes ont débarqué sur l’île pour faire l’inventaire de ses richesses et de ses ressources, qui sont nombreuses, chevreuils (shucuauj), iguanes (ish), armadillos [4]..., sans parler de la flore. Au cours d’une réunion des habitants, une « autorité » de Santa Maria del Mar présente précisait que Preneal commençait à louer des concessions sur la lagune. Il ne restera bientôt plus aux pêcheurs que leur lancha [5] pour... partir et quitter l’île.
Objectif atteint ?
Toute la forêt va être saccagée, les tours en métal des éoliennes sont fixées sur des socs en ciment de plusieurs milliers de tonnes profondément enfoncés dans le sol, les excavations sont gigantesques, il faut voir à l’œuvre ces entreprises pour se rendre compte des dégâts qu’elles occasionnent. Sur la barre de Tileme, qui sépare la lagune en deux parties, une partie supérieure et une partie inférieure et qui joue un rôle essentiel dans la dynamique de la lagune, l’échafaudage de deux cents aérogénérateurs va être catastrophique, cet ensemble va modifier d’une manière radicale tout l’équilibre écologique de l’ensemble, modifier les courants, atteindre les cycles vitaux ; la barre de Tileme, où, jusqu’à présent, paissent en liberté des troupeaux de vaches, ne sera plus qu’un immense bourbier et une plaie de ciment. En fin de compte ce projet d’éoliennes est aussi destructeur de vie qu’un barrage ou une mine à ciel ouvert. Objectif atteint ?
Le 25 septembre 2005 eut lieu à Unión Hidalgo le premier forum de la société civile afin d’analyser l’impact du Couloir éolien de l’Isthme sur l’environnement. Si la plupart et des membres des associations indigènes et les militants écologistes présents (nous devons pourtant mettre en exergue l’attitude très ambiguë des militants de Greenpeace, favorables au projet « sous certaines conditions ») étaient fort conscients des dégâts que ce projet allait occasionnés, en particulier concernant les oiseaux migrateurs, nous ne touchions pas encore du doigt, si je puis dire, la réalité. Celle-ci allait apparaître peu à peu dans toute son horreur au fur et à mesure de l’avancée des travaux, toute la région de Juchitan, et en particulier La Venta et La Ventosa, est désormais envahie de molinos. En février 2006, au cours de l’initiative zapatiste de l’Autre Campagne, le sous-commandant Marcos a exprimé la solidarité des zapatistes envers la population de la région en lutte contre le Couloir éolien de l’Isthme. Le président du Mexique, Felipe Calderón, et le gouverneur de l’État, Ulises Ruiz, durent inaugurer le parc éolien, la Venta II (premier objectif atteint), en avril 2007 sous haute protection militaire. Au cours du forum organisé en novembre 2008 à Juchitan, les participants ont pris la décision de se transformer en Assemblée des peuples de l’Isthme pour la défense de la terre (Asamblea de Pueblos del Istmo en Defensa de la Tierra).
Tout récemment, fin juillet 2011, s’est tenue à Unión Hidalgo la dernière Assemblée des peuples de l’Isthme pour la défense de leur terre et de leur territoire, elle regroupait outre les petits propriétaires d’Unión Hidalgo en rébellion, des délégués de San Dionisio, de San Mateo, de San Francisco, d’Alvaro Obregón... La résistance s’organise. Objectif atteint ?
Pas encore.
Oaxaca, le 6 août 2011,
Georges Lapierre
Notes
[1] Technique originale qui permet de transporter les filets au-delà de la vague ou barre côtière en profitant du courant d’air de l’Isthme.[2] Concernant surtout les limites de terre.
[3] Mangroves.
[4] Tatous.
[5] Barque utilisée dans la lagune.
Deux autres articles font suite :
http://www.lavoiedujaguar.net/Bien-le-bonjour-d-Oaxaca-le-15
http://www.lavoiedujaguar.net/Rencontres-a-San-Dionisio-del-Mar
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