Je ressens une urgence.
L’urgence de dire à chacun de regarder plus loin que le bout de son nez, plus loin que sa propre parentalité.
Régulièrement, l’allaitement est sujet à des articles qui font
scandale, souvent dans des presses douteuses comme Closer qui s’est
encore brillamment illustré ces derniers jours, mais aussi et de plus en
plus dans des webzines qui pourtant traitent uniquement de maternité,
de parentalité, et donc d’allaitement. Une telle en photo sur Instagram
en train d’allaiter son enfant d’un an, une autre publiant sur Twitter
un moment de tire-allaitement entre deux concerts en tournée, une autre
encore parlant de son bonheur d’allaiter ses jumeaux, ou encore une
autre évoquant l’allaitement de son enfant de 2 ans.
Et partout, toujours, ces mêmes remarques. « Froid dans le dos « , «
Quand on sait que le sevrage se fait à 6 mois », « alors que l’enfant
devrait être aux petits pots », « elle refuse de se détacher de son
enfant », « ces femmes qui veulent garder leurs enfants sous leurs jupes
», « surtout que l’enfant marche déjà », « l’impact sur le
développement de l’enfant », « les risques pour l’identité sexuelle des
garçons »…on pourrait noircir ainsi des centaines de lignes d’une
compilation de toutes ces phrases assassines sur l’allaitement, sur
l’allaitement « long », et sur les mères qui allaitent trouvées dans la
presse, qu’elle soit spécialisée Maternité ou non.
Mais pourrions-nous prendre juste un peu de distance ?
Pourrions-nous s’il vous plaît laisser de côté nos choix, nos
préférences, ce qu’impliquent nos modes de vie et regarder le problème
avec recul et objectivité ? Les premiers laits infantiles ont fait leur
apparition à partir des années 1850. Nous sommes en 2013. Cela ne fait
donc même pas 200 ans que la question du non-allaitement se pose en
phénomène de société et comme une action de masse. Bien sûr, les femmes
ont, de tout temps, cherché comment contourner l’allaitement, chaque
période de l’histoire présente ses propres problématiques sociales, et
de tout temps des femmes n’ont pu allaiter pour diverses raisons
(majoritairement, il s’agissait avant les fameux manques de lait apparus
une fois les laits industriels sur le marché, du décès en couche de
beaucoup de femmes. Il fallait donc trouver un substitut à ce lait
maternel disparu, soit via une nourrice, qui donnait donc du lait
humain, soit via du lait animal. On remerciera à ce sujet l’invention
des laits infantiles qui ont permis à des millions d’enfants d’échapper à
une mort certaine du fait de l’inadaptation totale des laits animaux
avant l’ère de la recherche. Oui, moi, WM, je trouve un aspect positif
aux préparations pour nourrissons et c’est bien le seul que je
m’autoriserai à formuler : avoir diminué, à une époque où les conditions
d’hygiène étaient désastreuses, la mortalité infantile pour tous ces
enfants à qui personne ne pouvait offrir de lait humain).
Si les laits infantiles existent depuis moins de 200 ans, l’existence
de l’être humain se compte, elle, en millions d’années. Alors je vous
pose la question : comment avons-nous donc fait ? Comment avons-nous donc
fait pour survivre sans ces sacro-saints laits infantiles que les
enfants doivent consommer dès 6 mois ? Pensez-vous vraiment qu’à 6 mois,
Cro-Magnon sevra son petit en lui proposant du steack haché et 125
grammes de haricots mixés ? Pensez-vous vraiment qu’en 1650, on cessait
l’allaitement à 6 mois pour ensuite ne donner à l’enfant que des
solides ?
Pouvons nous également nous attarder sur une situation tout à fait
paradoxale ? Dans notre société les publicités pour les laits de
croissance, d’éveil et de tout ce que vous voulez, encore rangés dans
les laits infantiles, sont légion et bon nombre de parents les achètent,
conscients de l’importance du lait dans les premières années de la vie
de l’enfant (beaucoup moins conscients de l’enfumage des industriels par
contre, rapport aux prix exorbitants de ces laits dits « spéciaux »
alors qu’après 12 mois, du lait de vache entier présente les mêmes
propriétés que les laits de croissance et qu’aucun bénéfice n’ont été
démontrés pour ces laits « spéciaux »). Il n’est pas rare, pour ne pas
dire qu’il est tout à fait commun, de constater qu’à 3 ans les enfants
sont encore nombreux à réclamer leur biberon le matin au réveil.
Personne ne s’en offusque, c’est tellement mignon un bébé avec son bibi,
n’est-ce pas.
Mais rappelez-moi une chose. Dans le biberon, il y a quoi ? Du lait,
merci. De vache, si je ne m’abuse. Et dans le sein d’une mère il y a
quoi ? Des haribos ? Du ketchup ? Rien ? Ah mais non mais c’est bien sûr. Du
lait, voilà. Humain, qui plus est. Du lait humain pour l’enfant humain,
dites donc, quel scoop. Incroyable que des femmes puissent avoir
l’envie de s’en servir, vraiment, quelle idée.
J’aimerais comprendre pourquoi il est à ce point admis qu’un enfant
de trois ans peut tout à fait réclamer un biberon de lait, et pourquoi
il est tout à fait horrifiant qu’un enfant de trois ans soit encore
allaité. A une époque encore très proche de nous, jusqu’au 19ème siècle,
les nourrices palliaient au non-allaitement (choisi, dans les hautes
couches sociales notamment, ou imposé) en allaitant les enfants jusqu’à
leur sevrage naturel. Ma grand-mère, qui a 85 ans, qui est donc née au
même siècle que moi et a connu, pour une part, la même société moderne,
me raconte souvent que de son temps, les enfants tétaient jusqu’à
facilement 2 ans et demi ou trois ans, parfois plus longtemps, et que
personne ne s’en souciait. Mon grand-père lui-même a été allaité deux
ans et demi.
Alors, pourquoi ?
Pourquoi aura-t-il suffi d’une petite cinquantaine d’années pour en
arriver là ? Comment se peut-il que l’on assiste à de tels propos face à
l’allaitement « long » ? Il serait intéressant d’ailleurs de se pencher
sur cette appellation. Si on parlait plutôt d’allaitement écourté pour
tous les enfants sevrés avant qu’ils ne le choisissent ? Ah mais non,
pardon, on ne peut pas. Parce que ça culpabiliserait, encore et
toujours. Pourtant, ce sont quand même des allaitements écourtés si on
se place du point de vue de l’honnêteté intellectuelle et de la réalité
de notre espèce.
Alors vous me direz « les mères qui donnent le biberon sont aussi
stigmatisées ». Ah ça je ne le nie pas. Il me semble d’ailleurs que nous
vivons dans un pays où quoique l’on fasse, en tant que parent, on sera
toujours montré du doigt. Pour autant je me permets de rectifier une
chose. Les mères qui donnent le biberon, par choix ou pas, ne sont
nullement qualifiées de mères étouffantes. Elles ne sont pas non plus
étalées dans des articles de journaux concernant leur marginalité. Elles
ne sont pas non plus qualifiées d’hyper-possessives. Elles ne sont pas
non plus priées d’aller nourrir leur enfant sur la lunette immonde et
souillée de pisse des toilettes publiques. Et surtout, elles ne sont pas
qualifiées de psychologiquement dangereuses pour l’enfant ou pire,
d’incestueuses.
Toutes ces mères, sont insultées, comme ça, sans problèmes,
régulièrement. Avec l’aval des rédacteurs en chef des magazines qui
publient ces horreurs. Lorsque certains lecteurs réagissent pour
dénoncer ces propos outrageants et rétablir des vérités sur
l’allaitement, on entend toujours revenir le refrain disant que les
ayatollahs du nichon sont de retour. Mais par pitié de quoi parle-t-on ?
De mères aimantes ou de criminelles dangereuses ? A longueur de temps et
dès que des propos sur le biberon sont tenus, une omerta se lève et on
ne peut rien dire sous peine de culpabiliser les mères. Mais pour
déculpabiliser tous ceux qui ont choisi de ne pas suivre ce que la
Nature avait prévu, ce qui est leur droit le plus absolu, ou bien
malheureusement un non-choix, à l’inverse on se permet de traîner ainsi
dans la boue toutes ces femmes qui ne font rien d’autres qu’utiliser ce
qui est prévu pour leur enfant. Voilà, tout simplement. Et si par
malheur on ose rappeler que l’allaitement est normal, alors on
culpabilise les mères qui ne le pratiquent pas. On marche sur la tête.
Le serpent se mord la queue sans cesse.
J’allaite mon enfant depuis 21 mois.
Par choix, par convictions profondes. Par amour pour elle, parce que
je considère que c’est ce qu’il y a de mieux à faire pour ma famille.
Mais je suis donc anormale comme tant d’autres avant moi, et tant
d’autres qui viendront après. Je le serai encore plus dans 6 mois, quand
mon deuxième enfant viendra au monde et qu’il sera allaité comme sa
soeur. EN MÊME TEMPS que sa soeur. Un sein chacun, my god, c’est
dégoûtant !
Je n’ai pas le droit de parler du biberon en termes négatifs par
contre je n’ai pas non plus le droit de rectifier des informations
erronées quand je les lis parce que je culpabilise les mères qui
n’allaitent pas. Je n’ai pas le droit de parler du biberon mais ces
mêmes personnes qui prônent si fort le choix sont souvent les premières à
parler des mères allaitantes au long cours en des termes insoutenables
de méchanceté et d’ignorance.
Stop.
Sortons la tête du sable, arrêtons de nous mentir pour nous conforter
dans nos propres situations. Les bébés ne naissent pas avec des boîtes
de poudre accrochées au body. Les bébés sont programmés pour être
allaités, et pas seulement jusqu’à 6 mois. Allaiter un enfant qui marche
ou qui parle ou qui souffle trois bougies n’est pas anormal.
Alors au nom de toutes ces femmes anormales, messieurs-dames de la
presse, quidam quelconques, voisins, parents, amis, je vous le demande :
Réflechissez.